Existe-t-il des secrets des RH ? Y aurait-il des vérités cachées qui nous empêchent de gérer correctement la fonction ou d’assumer le management de proximité au quotidien ? Il est difficile de répondre mais les problèmes de RH sont là, permanents, jamais résolus et si l’on ne parle plus des problèmes d’hier, ce n’est pas parce qu’on en a trouvé la solution mais parce qu’une salve de difficultés nouvelles vient de s’imposer.

Ainsi beaucoup s’accordent aujourd’hui à voir dans l’attractivité, le recrutement et la rétention des collaborateurs, les principaux problèmes de GRH. Parions que dans une situation économique qui pourrait bien changer dans un futur proche (le retour des grandes grèves dans le secteur automobile aux Etats-Unis en est un signe), on n’en parlera plus, non que le secret de l’attractivité aura été découvert, mais parce que la question ne sera plus d’actualité.

Si aucune solution définitive ne s’impose en matière de RH, si la fonction a toujours du mal à s’affirmer, si les préoccupations humaines passent souvent dans les entreprises pour de secondaires questions d’intendance, ou des soucis aussi inévitables que les moustiques en vacances ou les embouteillages en fin de weekend, c’est peut-être aussi parce que les secrets des RH demeurent, parce qu’il manque l’effort de les découvrir, comme pour la pierre précieuse dans le champ de La Fontaine. Il existe trois secrets dont les deux premiers sont – relativement – révélés et acceptés par certains qui n’osent pas forcément l’avouer. Le troisième est plus inaccessible.

Le premier secret

Premier secret : on ne peut pas se passer des personnes, on en a besoin pour faire fonctionner des organisations, la quasi-totalité d’entre elles pour l’instant. Ce secret a été longtemps caché car une lecture de l’évolution des organisations pendant ce dernier siècle et demi nous révèle que la vie des organisations serait plus facile sans tous ces problèmes humains. Tout comme une bonne gestion devrait ne jamais créer de dépendance vis-à-vis des clients ou des fournisseurs, il ne faudrait aussi ne plus faire dépendre la performance de l’implication des personnes. Au fil du temps, aujourd’hui comme hier du temps de la chaîne de montage, la technologie et l’expertise organisationnelle donnent des moyens de se passer des humains : la robotisation et l’intelligence artificielle ouvrent de nouvelles et imprévisibles perspectives en ce sens.

D’ailleurs, beaucoup décrivent le merveilleux monde du travail qui va en résulter, rejoignant en cela, à un siècle d’intervalle, les ouvriers qui se réjouissaient de leur meilleure rémunération chez Ford. Peuvent en témoigner tous ceux qui font leurs heures de télétravail tout en pensant au paradis de la consommation enfin accessible après la réalisation de leurs tâches. On ne soulignera jamais assez combien les avatars rénovés du taylorisme rejoignent l’individualisme ambiant de nos sociétés.

Dans cet univers, la clé des RH, c’est de gérer le flux de salariés, non sans avoir renouvelé la sémantique depuis la marque employeur jusqu’à la rétention des talents en passant par l’expérience collaborateur sans oublier la collaboratrice. Toutefois, l’illusion de se débarrasser des personnes se heurte à deux limites. La première, c’est que dans ces organisations qui ne dépendent pas des personnes, on croit que c’est grâce à l’intelligence des concepteurs des organisations ou des processus, alors que c’est le plus souvent parce que les conditions de marché permettent à ce modèle « sans personnes » de fonctionner : quand on est habitué à des services de mauvaise qualité, seuls disponibles, on n’imagine pas que des services plus attentifs au client grâce à l’implication des agents peuvent rendre les premiers insoutenables.

La seconde limite, c’est que cette vision d’une entreprise non dépendante des personnes est anthropologiquement naïve, elle sous-estime la liberté irréductible des personnes. Elles ont de la liberté, peuvent toujours l’exercer et ne se privent pas de le faire pour faire mieux que ce qui est prescrit, parfois pire, le plus souvent en contournant allègrement les règles et prescriptions des organisations.

Le deuxième secret

Le deuxième secret rappelle l’histoire de celui qui perd ses clés et les cherche là où est la lumière plutôt qu’à l’endroit où il les a perdues. Histoire célèbre de papillote de Noël, elle met, plus sérieusement, l’accent sur le fait que l’on cherche toujours là où c’est rassurant de chercher et sous le lampadaire, au moins on voit … qu’elles n’y sont pas. Le lampadaire, en matière de ressources humaines, c’est l’idée qu’il existerait une boîte à outils, que certains connaitraient les bonnes pratiques et les bons outils pour traiter des problèmes de RH. Et persuadés que ces bonnes solutions, tendances, outils, techniques existent, on ne cesse de les chercher avec des résultats plutôt décevants.

L’illusion de la boîte à outils demeure, car elle flatte le bon sens. Il n’y a rien de plus humain que d’imaginer l’existence de solutions à tous les problèmes. Plus les problèmes nous assaillent - de santé ou d’amour -, plus on espère l’existence d’un philtre qui lui apporterait des solutions. La littérature et l’histoire nous en donnent de nombreux exemples et il en va de même pour ceux qui sont confrontés à la difficulté des problèmes humains qui se posent à tous les managers ou praticiens des ressources humaines, non pas dans les livres, mais dans la réalité de leurs organisations. Tous ceux qui se retrouvent dans ces situations concrètes d’animation de la collaboration connaissent la tentation d’écouter les sirènes de tous les conseilleurs et pourvoyeurs de solutions faciles.

On y croit d’autant plus que notre société technophile et technocratique y conduit. L’orgueil humain est tel qu’aucun problème ne pourrait échapper à sa volonté et ne saurait remettre en cause sa grandeur et sa toute-puissance : n’enseigne-t-on pas à chacun de ne jamais aller voir son patron avec des problèmes mais toujours des solutions ? Et comment un individu censé tout maîtriser de lui-même, de son origine et de son destin, pourrait-il buter sur les problèmes triviaux de la vie d’une entreprise ? D’ailleurs, sur l’air éternel du « Corbeau et du Renard », les vendeurs en tout genre de solutions simples prolifèrent, font passer pour tendances ce qu’ils viennent de découvrir et conseillent avec arrogance les conseils qu’ils ne savent toujours s’appliquer à eux-mêmes.

Et pourtant, un peu d’attention devrait aider à dévoiler ce secret. En regardant l’histoire et la société qui nous entourent, pour peu que l’on ait posé ses lunettes idéologiques, il est assez clair que les personnes ne sont jamais telles qu’on les rêve ou telles qu’on les craint. Il est tout aussi clair que les valeurs, les compétences, les intentions ne valent jamais rien tant qu’elles ne sont pas incarnées. Un peu d’humilité dans l’observation, dès sa propre maison, devrait pourtant nous doucher de l’idée que la molécule du succès dans les ressources humaines n’a toujours pas été découverte. Ne pas croire ceux qui nous vendent ce qui n’existe pas, c’est déjà un secret vertueux.

Le troisième secret

Le troisième secret est le plus secret des trois. Il s’énonce facilement : la performance sociale ne génère pas forcément de la performance économique. Il existe pourtant depuis des décennies de nombreuses versions de cette illusion : de bonnes conditions de travail créeraient de la performance financière tout comme le bon équilibre entre la vie personnelle et professionnelle ; plus récemment, on considérait que le bien-être serait un facteur de réussite économique. Dans une étude récente[1], des chercheurs montrent que l’on ne peut établir ce cercle vertueux idéal selon lequel la performance sociale entrainerait la performance économique qui renforcerait alors la performance sociale. Certes il existe des corrélations entre ces deux formes de performance mais on ne peut établir la causalité et encore moins la dynamique vertueuse entre les deux.

Pas facile d’admettre ce secret parce que l’on rêve de ce cercle vertueux entre le social et l’économique existe : cela conforte nos convictions les meilleures, notre morale la plus exemplaire. Mieux encore, prouver que la performance sociale conduit à la performance économique permettrait de convaincre les décideurs et les actionnaires qui, c’est bien connu, ne pourraient changer de pratique dans la gestion des ressources humaines, que s’ils y trouvent un intérêt financier : s’occuper du social exige donc de prouver que cela rapporte. Il n’est pas anodin d’ailleurs de voir se développer des recherches qui s’évertuent à démontrer que la diversité, l’égalité femme/homme ou la RSE génèrent de la performance économique.

Et pourtant. Est-il indispensable de prouver une relation causale pour investir dans le social, au risque de l’impasse quand on n’y parvient pas. Investir dans l’humain, reconnaître la dimension sociale des organisations et leur responsabilité en la matière ne peuvent-ils être tout simplement une question d’éthique de la part de managers ou de dirigeants qui ne sont pas, par nature, moins humains que les autres. L’humain dans les organisations ne peut-il être tout simplement considéré comme une question éthique pour tous ceux qui agissent dans une organisation ?

N'est-il pas temps d’admettre tout simplement que le profit (ou tout autre synonyme plus politiquement correct) est une contrainte avant d’être un objectif et que les questions à débattre concernent la manière de le générer et de l’utiliser plutôt que son essence même ?

Ne peut-on aujourd’hui sortir du manichéisme simpliste, de la binarité complaisante consistant à opposer le social et le financier, l’humain et l’économique, le travail et le bien-être ? Certes le binaire est dans la ligne des facilités idéologiques mais rien n’empêche d’être un peu plus subtil, on a l’histoire du management avec ses illusions perdues et ses succès inattendus pour nous y inciter.
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[1] Zhao,X, Murrell, A. Does a virtuous circle really exist ? Revisiting the causal linkage between CSP and CFP. Journal of Business Ethics (2022) 177 :173-192.

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