L’entreprise n’est pas la seule responsable…
D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, la santé mentale de l’individu serait liée à son bien-être au travail et à sa capacité de réponse aux problèmes. La dernière conférence des Régions de France a déclaré : « La santé mentale est collective ! » Quant aux économistes du mainstream (ou pensée dominante) ils souhaitent intégrer au PIB national des indicateurs quantitatifs pour mesurer le bonheur des concitoyens. Entre un constat qui pense global, celui des Régions de France, et une mesure objectivant ce qui est éprouvé par les sentiments, l’émotion ou l’affect d’experts au plus haut niveau d’abstraction, que choisir ? Si le critère de choix est celui de l’humain, assurément la proposition des Régions de France sera retenue.
La santé mentale est un phénomène collectif
Par nature, les élus locaux sont proches de leurs administrés, même si les applications numériques et l’Intelligence Artificielle (IA) prennent de plus en plus de place pour régler jusqu’aux moindres affaires du quotidien des concitoyens. Dans toutes les petites communes et les villes moyennes, le lien de proximité entre administrés et élus demeure plus étroit que celui dans les grandes métropoles. Ces circonscriptions de taille plus modeste résument à elles seules tous les domaines gérés par l’Etat, que ce soit l’économie, la ruralité, le social, l’environnement ou la situation de l’emploi. La Caisse d'allocation familiale y est présente régulièrement ainsi que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ou les impôts locaux. Les Mairies connaissent aussi les attentats, les agressions d’élus, et le chômage des autochtones et l’accueil des migrants. Ces collectivités territoriales savent pour le vivre tous les jours, que le malaise des individus ne se résume pas à leur vie au travail, aux transports et aux crèches pour leurs enfants. Le mal-être des usagers est à la fois présent et diffus, local et généralisé, imperceptible mais voyant sans que l’on puisse en déterminer une seule cause. Il est le symptôme d’une santé mentale collective qui se dégrade.
L’entreprise est-elle aussi proche de ses salariés que la commune de ses administrés ?
Le mal-être au travail fait partie de cette perte générale du sens de la vie, ce qui n’exonère pas pour autant la participation qu’y prendrait l’entreprise. Celle-ci contribuera peu pour prou à la satisfaction d’un quant à soi du personnel après la journée d’activité. S’interroger sur les causes des Risques Psycho Socio (RPS) beaucoup l’a fait et continuera à le faire. Une autre question à poser aux entités serait celle de la raison des RPS et notamment celle de l’impact de la nature de leurs relations avec les salariés. Le personnel est-il partie prenante aux décisions de l’entité ? Existe-t-il entre les salariés et l’entreprise, un lien d’influence réciproque qui irait dans le sens d’une finalité commune ? Ce lien existe-t-il entre l’entreprise et ses partenaires extérieurs ? Les individus ont-ils la capacité d’exercer un lobbying auprès d’eux qui influencerait sur leurs décisions, qu’il s’agisse des clients, des fournisseurs ou même des institutions ?
Le diktat de la hiérarchie ignore l’apprenance en situation de travail
L’entreprise est tout sauf une prison où le salarié serait enfermé dans des protocoles, le respect des horaires ou contraint par un résultat requis sans que sa contribution à la finalité de l’entité soit reconnue. La gouvernance s’est-elle déjà interrogée si en se levant le matin, le salarié était heureux de venir au travail sans craindre un diktat hiérarchique sous-jacent ou des rumeurs malsaines entre collègues ? Permet-elle, si elle le sait, que les pratiques acquises en situation de travail par la personne trouvent un terrain pour s’appliquer en dehors de la stricte compétence exigée ? Si la façon dont elle apprend (son apprenance) et les modes de fonctionnement différents qu’elle génère soit reconnues et utilisées, partagées ou traçables pour le futur ? L’ignorer est susceptible de provoquer un stress important chez l’individu qu’on ne saura pas soigner car on ignore d’où il vient ! Il s‘agit en fait de la légitimation de son identité personnelle au travail.
La jeune génération a compris que le niveau de conscience des entités est déjà celui des normes d’un « soit créatif » dans l’interaction contrôlée d’un cadre imposé. Tous ceux qui se désengagent du travail, jeunes ou plus âgés, sont ceux qui osé croire en eux, qui ont affronté le doute d’un avenir incertain. Ils ont su développer la confiance en leur capacité non reconnue par leur entité pour réussir à bien vivre leur vie. D’après une enquête récente de la DARES (1° trimestre 2023), le phénomène de désengagement est intergénérationnel. Le paradoxe qu’il affiche est que les plus de 50 ans demandent plus de flexibilité que les moins de 27 ans, notamment les Bac + 3 dont le souci de pérennisation au travail est plus important que les Bac +5 devenus nomades de l’activité.
La demande des salariés désengagés
La demande de ces « désengagés » est celle d’un avenir qui prenne en compte les grands enjeux environnementaux, notamment dans les tâches les plus élémentaires du travail. Parfois ils préfèrent s’investir dans des structures associatives dont le niveau de rémunération sera moins important quand elles satisferont leurs besoins fondamentaux. Les difficultés économiques, les menaces sur la santé, les crimes et les attentats, la proximité médiatique des guerres en Ukraine et au Moyen Orient ou les promesses politiques d’un gouvernement qui surfe déjà sur la peur et non sur la réunion du peuple en Nation, tout ceci ne saurait que provoquer un repli sur soi, un mal-être généralisé dont la cause n'est pas uniquement due à l’entreprise ; même si elle en fait partie. La santé mentale collective est convoquée.
Désormais, l’entreprise est dans l’obligation de faire ses preuves vis-à-vis du salarié
Pour faire encore envie, l’entreprise aurait à libérer le carcan étroit des comportements permis pour plus de démocratie dans les décisions quelle que soit la place de la personne dans le râteau hiérarchique. Aujourd’hui, la charge de la preuve s’est sans doute inversée. C’est à elle de faire ses preuves et de donner des garanties aux individus pour qu’ils soient heureux au travail. Au temps de l’après-guerre les avantages sociaux n’étaient pas aussi développés qu’actuellement ainsi que l’Hygiène Santé Sécurité (HSS). Les tâches étaient ingrates et souvent mal payées, et il était commun d’entendre les gens plaisanter et rire au travail... Un temps certes où l’on sortait du deuxième conflit mondial et où tout était à reconstruire. Quand aujourd’hui, le 3° du nom plane dans tous les esprits ; on possède le superflu avec des achats inutiles, sans pouvoir subvenir à l’essentiel, le bonheur dans sa vie et au travail.
Le dilemme de l’entreprise
Que préférera-t-elle ? Quantifier par des indicateurs normatifs le « bonheur au travail » résultant de la réponse de salariés à des sondages dont les questions fermées auront sans doute été pré-orientées, ce qui augmenterait sans coup férir le PIB ? Le taux d'absentéisme et les démissions éventuelles qui pourraient suivre, témoigneront effectivement du bonheur des gens.
L’entreprise aurait aussi à réfléchir non pas au mode d’organisation qui n'est jamais que la mise en forme d’une stratégie dont l’orientation politique serait peut-être à remettre en cause. L’humain n’est pas plus un « capital » qu’une « ressource » Il n'appartient pas à la structure. Le développement de sa conscience vers une réalisation personnelle au travail a désormais des exigences. Celle de la qualité de l’interaction, de la reconnaissance des pratiques apparues en situation de travail, et de la prise en compte de ses « propensions fondamentales » ou tendances innées, qui satisferont ses besoins internes primaux pour mieux vivre sa vie au travail.
Les détenteurs du capital sont-ils parties prenantes avec une entreprise partie prenante avec ses salariés ?
Le questionnement est osé car pas souvent posé en ces termes. Les actionnaires sont-ils ou non, avec toutes les nuances que la finance permettrait, parties prenantes avec les salariés ? L’exigence d’un résultat à deux chiffres est-elle compatible avec un rythme travail plus humain et adapté aux demandes d’une planète en souffrance ? L’IA remplacera-t-elle tous les postes charnières du métier ce qui ne saurait que tayloriser un peu ceux qui sont éloignés du résultat final de l’entité ?
La problématique qui se poserait à l’entreprise serait plutôt du style, comment favoriser le bonheur de mes salariés en leur donnant plus de liberté au travail quand moi-même (en tant que dirigeant de l’entreprise) je ne possède pas de marge de manœuvre avec les actionnaires ? La clé du dilemme appartient sans doute au système capitaliste financier, dans l’état actuel de son orientation.
L’actuel système travail fondé sur la hiérarchie fait ce qu’il peut pour s’adapter à une économie qui demanderait également plus d’inventivité dans son modèle de fonctionnement. Tel est la recommandation du dernier rapport du Giec (2023), « Changer le modèle de l’entreprise ».
Changer le modèle de l’entreprise
Le modèle est une structure qui participe au mode de fonctionnement des entités. Elle représente leur dimension commune. Le domaine d’activité, la taille ou le type de produits ou de services ne la remet pas en cause. Par analogie, chaque personne possède un système sanguin ou musculaire, le modèle. Et celui de chacun est différent de celui de l’autre individu, il est modélisé ; c’est une modélisation. Quelle est la marge de manœuvre des DRH/RRH pour négocier avec les apporteurs de capitaux la modélisation d’un mode de fonctionnement qui privilégierait plus de démocratie au travail comme susceptible de favoriser une meilleure production dans le sens des besoins vitaux de la survie sur terre ? Survie dont ils dépendent ainsi que leurs enfants ! Abandonner le « greenwashing » ou le « workwashing » pour aller vers un niveau de conscience plus élevé qui redonnerait à l’entreprise sa « Raison d’être » (Loi NOTRE 2011)…
La nouvelle frontière des intelligences
Les salariés se désengagent. Les salariés sont malades de la façon dont ils exercent leur travail. Les jeunes se méfient des grands comptes quand il n’y a pas si longtemps y faire carrière était le nec plus ultra d’une vie réussie. L’IA ne pourra pas remplacer tout le monde même si déjà elle est présente dans tous les secteurs d’activité. Lors de la conférence de mars 2023 entre les membres du G20 et les robots humanoïdes, ceux-ci leur ont déclaré : « Qu’ils étaient plus en capacité de gérer le monde qu’eux car ils n’étaient pas émotifs ».
La nouvelle frontière pour laquelle combattre sera-t-elle celle de l’intelligence émotionnelle contre l’intelligence artificielle ? La fonction RH est sur la brèche. Que choisira-t-elle ? Le peut-elle vraiment ? En fait, le voudra-t-elle ?
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