A l’heure où 61 % des recrutements sont jugés difficiles par les entreprises [1], une des réponses est bien souvent sous les yeux mêmes des organisations à savoir faire évoluer en interne leurs propres collaborateurs et les accompagner de manière efficiente dans leur mobilité professionnelle ainsi que dans l’acquisition de nouvelles compétences. En effet, pourquoi chercher à recruter en externe les talents déjà présents en interne ?

Or historiquement - et malgré des avancées notables en la matière ces dernières années - la mobilité interne a toujours été en retrait en France et le parent pauvre des politiques RH. Certes la mobilité interne est perçue comme un enjeu stratégique pour 87 % des entreprises interrogées mais elle est jugée non prioritaire pour 55 % d’entre elles. Son déploiement demeure très hétérogène en fonction des organisations. Seules 53 % des entreprises déclarent disposer d’un processus de mobilité interne en 2022 et parmi les entreprises n’en ayant pas, seules 20 % souhaitent en mettre un en place rapidement. [2]

Pour reprendre une expression tirée de l’étude myRHline, « les entreprises sont davantage croyantes que pratiquantes » sur ce sujet. C’est vraiment regrettable… Négliger la mobilité interne est, en effet, une grave erreur car cette dernière présente de nombreux avantages.

Mobilité interne, quesako ?

Souvent résumée à un changement de poste avec accroissement des responsabilités et reconnaissance hiérarchique supérieure le tout couronné par une augmentation salariale (mobilité verticale), la mobilité interne est cependant plus diverse que cela et peut, dans les faits, revêtir trois formes distinctes : la mobilité verticale donc, la mobilité horizontale ( changement de poste ou de fonctions à un niveau hiérarchique identique) et enfin la mobilité géographique ( changement de lieu de travail).

Ces différentes mobilités peuvent être souhaitées et initiées par les collaborateurs eux-mêmes ou bien proposées directement par les entreprises. Dans les faits, ce sont, en France, majoritairement les collaborateurs qui sont à l’initiative et se déclarent candidats. Suivant les études, les chiffres oscillent entre 60 et 70% à l’initiative du salarié versus 30 à 40 % à l’initiative des RH ou N+1.

Capacité à pourvoir certains postes pénuriques ou emplois « émergents »

Nombreuses sont les entreprises françaises, dès lors qu’un poste s’ouvre, à avoir le réflexe de recruter à l’externe et ce de manière quasi-automatique au lieu de penser, en premier lieu, à leurs propres collaborateurs.

Or selon une étude de Harvard Business School, 60% des postes à pourvoir au sein d’une organisation pourraient être exercés par les collaborateurs mêmes de l’organisation si tant est que soient mis en place les programmes adéquats de formation, d’accompagnement et de montée en compétences. 60%, c’est phénoménal ! [3] Et, en moyenne, les entreprises disposant d’un processus de mobilité pas parfait mais bien ficelé réalisent 1/3 de leurs recrutements via la mobilité. [2]

C’est donc une réelle hérésie d’aller, systématiquement, chercher à l’extérieur les compétences au lieu de capitaliser sur les talents déjà présents au sein d’une organisation, talents qui font incontestablement sa force.

La mobilité interne est, en effet, un des moyens les plus efficaces de faire face à la pénurie de compétences et de recruter des profils rares. Et je ne vous parle même pas des « nouveaux métiers » qui émergent, chaque année, de plus en plus nombreux et pour lesquels il n’existe quasiment aucune ressource disponible sur le marché.

Des recrutements plus rapides et moins onéreux

Outre le fait de rendre tout simplement « possibles » certains recrutements, la mobilité interne facilite également grandement leur mise en œuvre opérationnelle en les rendant plus rapides et moins onéreux.

Un recrutement interne permet, en effet, d’éliminer une grande majorité des étapes d’un recrutement « standard » externe (évaluation des aptitudes, vérification du CV, contrôle des références...) et permet, de plus, d’éliminer ou de limiter certaines dépenses ( (par exemple les honoraires de cabinets de recrutement, les frais de diffusion ou de sponsorisation d’annonces).

La mobilité interne contribue ainsi à diminuer de façon drastique les coûts ainsi que les délais de recrutement. Ces dépenses sont également optimisées grâce à une intégration et une prise de fonction globalement plus aisées et moins risquées.

Une intégration et une prise de fonction moins risquées et plus aisées

Selon une étude de Matthew Bidwell [5], les recrutements externes - malgré un apport en expérience et un niveau d’éducation supérieurs - s’avèrent moins performants que les « internes » sur les deux premières années.

Recruter un collaborateur en interne est donc nettement moins risqué. Cela n’est pas étonnant dans la mesure où l’entreprise connaît en fait déjà très bien le salarié et ce de manière concrète et opérationnelle. Elle a pu évaluer sur le terrain ses forces et ses faiblesses et elle sait qu’il partage les valeurs de l’entreprise et adhère à sa culture. Elle est donc en mesure d’identifier ce qu’elle peut ou non lui demander et comment l’accompagner au mieux.

Quant au collaborateur, il est déjà familier avec le mode de fonctionnement, les processus, les principaux rouages, la stratégie ainsi que la culture de l’entreprise. Son onboarding ou intégration n’en sera que plus rapide, effective et réussie !

En « recrutant » ou plutôt en faisant évoluer en interne un collaborateur, une entreprise minimise les risques d’une « erreur de casting ». Il n’est donc pas surprenant que 56 % des entreprises qui ont un processus de mobilité interne la considèrent comme plus performante que le recrutement à l’externe. [2]

Mais mettre en place une politique de mobilité interne dynamique permet également de fidéliser ses talents et de maximiser leur engagement ce qui n’est pas une mince affaire de nos jours !

Fidélisation des talents et maximisation de l’engagement des collaborateurs

Au lieu de déclencher un processus de recrutement en externe dès qu’il y a un poste à pourvoir, une entreprise a tout à gagner à proposer ce poste en priorité à ses collaborateurs actuels.

L’évolution professionnelle est, en effet, l’une des préoccupations majeures des collaborateurs. Selon une étude Hays de 2021, 60 % des collaborateurs préféreraient bénéficier d’une mobilité interne à un mouvement externe. Leur offrir des perspectives d’évolution en interne permet de les fidéliser, de les rassurer, de leur apporter un sentiment de sécurité vis-à-vis de l’entreprise et d’augmenter in fine leur engagement.

Concernant la fidélisation, les collaborateurs sont en grande majorité reconnaissants de la possibilité qui leur est offerte de développer leurs compétences et satisfaits de la confiance ainsi accordée. S’ils sont convaincus de l’efficacité (et au courant de leur existence 😉) des programmes de mobilité interne, ils se tourneront plus « naturellement » vers le service RH de leur entreprise que vers un concurrent quand ils éprouveront le besoin de « bouger » et/ou d’acquérir de nouvelles compétences.

La mobilité interne est donc un excellent outil de fidélisation de ses collaborateurs qui permet, en outre, d’augmenter leur engagement, 30 % d’augmentation selon une étude de A. Fulton et M. Crawley. [6] Et qui dit collaborateurs engagés dit collaborateurs plus épanouis, motivés, productifs, créatifs et innovants et, cerise sur le gâteau, une meilleure ambiance globale de travail !

Il serait vraiment dommage de ne pas promouvoir à chaque occasion offerte la mobilité interne et de passer ainsi à côté de la possibilité d’améliorer et de soigner sa marque employeur.

Un impact positif sur la marque employeur & l’image employeur

Comme Thomas Chardin l’a si bien écrit [7], dans la guerre actuelle des talents, les efforts des entreprises semblent se porter essentiellement sur leur attractivité à savoir recruter vite des candidats et moins sur les deux autres volets tout aussi fondamentaux que sont la fidélisation et l’engagement.

Ce « service après-vente » du recrutement n’est que très rarement envisagé. Or le recrutement n’est que la partie émergée de l’iceberg, dissimulant les problématiques de fidélisation, d’engagement et d’absentéisme.

Déployer et animer une politique de mobilité interne structurée, maîtrisée et dynamique est très rare et permet à une entreprise de tirer son épingle du jeu. C’est extrêmement révélateur d’une culture d’entreprise.

Cela traduit le fait qu’une entreprise est à l’écoute des souhaits d’évolution de ses collaborateurs, encourage l’apprentissage de nouvelles compétences et valorise le développement de leur employabilité. Cela booste indéniablement la marque employeur et facilite le recrutement de nouveaux talents… Et la boucle est bouclée 😉 !

Conclusion

Très largement sous-exploitée et négligée en France, la mobilité interne présente pourtant d’indéniables avantages et peut fortement contribuer à diminuer les difficultés de recrutement, de fidélisation et d’engagement des collaborateurs.

Il est donc vraiment regrettable que les entreprises n’utilisent pas pleinement le potentiel de cette « arme de performance massive » qu’est la mobilité interne et ne parviennent pas à lever les principaux freins invoqués à savoir les managers qui ne joueraient pas le jeu, la culture d’entreprise et les salariés qui ne seraient pas suffisamment proactifs dans leur carrière.

Un tout petit bémol cependant pour finir : la mobilité interne est à consommer avec un chouïa de modération sous peine de voir les entreprises fonctionner en vase clos et se priver de l’apport et de la richesse des recrutements externes et des interventions ponctuelles de consultants experts en leur domaine.
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Références

[1] Enquête Besoins en Main-d’œuvre 2023 de Pôle Emploi | https://statistiques.pole-emploi.org/bmo

[2] Etude RH : la mobilité interne en entreprise en 2022 – myRHline

[3] Article « Future-Proofing Your Organization » de Michael Mankins, Eric Garton et Dan Schwatz | HBR – septembre/octobre 2021 : https://hbr.org/2021/09/future-proofing-your-organization#:~:text=%5B%20Practice%203%20%5D&text=The%20good%20news%20is%20that,filling%20new%20business%2Dcritical%20roles.

[4] Emerging technologies impact on society & work in 2030 | https://www.delltechnologies.com/content/dam/delltechnologies/assets/perspectives/2030/pdf/SR1940_IFTFforDellTechnologies_Human-Machine_070517_readerhigh-res.pdf

[5] Paying more to get less: specific skills, incomplete information and the effects of external hiring versus internal mobility – article de Matthew Bidwell paru dans Administrative Science Quarterly – Janvier 2011

[6] Career enablement best practices - article d’ Anna Fulton et de Maya Crawley- Fuel50 Global Benchmarking Research, 2017

[7] Thomas Chardin, DRH : mission ou démission, 3 pistes d’action à l’heure du choix | Diateino

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