Face aux discours habituels sur la difficile question de la motivation, nous pouvons nous demander avec un certain bon sens si la reconnaissance de notre propre production – du “produit” de notre travail – ne demeure tout de même pas en la matière un levier fondamental.

La difficulté de l’appréciation du travail effectué

Certes, il est souvent difficile d’identifier un critère absolu ou une mesure universelle pour établir un jugement qui permette d’apprécier ladite production de façon “objective”. Cependant, si nous abordons la question des rapports de l’homme à sa propre production, l’appréciation “subjective” semble subir également une variété de critères tout à fait considérable : on peut en effet en être satisfait ou non, fier, indifférent, mécontent, seulement préoccupé de sa valeur marchande, etc. Mais cette « valorisation » s’opère également selon les relations impliquées – et on comprend qu’elles soient fort différentes, – s’il s’agit de l’écrivain, de l’artiste, du médecin, de l’inventeur, du chercheur, du détenteur d’un monopole ou d’un brevet, de l’artisan, du patron ou du subordonné, du travailleur à la chaîne ou de l’inspecteur… des travaux finis ! Et encore faut-il considérer un autre facteur : selon que le professionnel travaille seul, en petit groupe, ou dans un réseau beaucoup plus vaste de coopérateurs ou de partenaires, selon la place occupée dans une hiérarchie et le mode d’exercice de cette dernière, selon l’utilité ressentie de la tâche effectuée ainsi que sa ou ses destinations (on parle de tâche « noble » ou « ingrate »), etc.

Il n’est pas dans notre propos de faire un recensement exhaustif de toutes ces éventualités, mais plutôt, à partir de quelques exemples, d’essayer de trouver un point commun qui les rassemblerait.

L’appréciation du travail professionnel dépend du regard des autres

On peut déjà s’apercevoir que, dans le domaine professionnel, l’individu qui ne produirait que pour lui-même, dans l’absence complète d’échanges – une sorte d’autarcie du professionnel – n’existe pas.

La production représente, en tout état de cause, une base d’échanges humains ; elle est en quelque sorte un langage et cela semble déjà apporter une dimension essentielle quant à la valeur qu’elle peut prendre pour chacun. Mais il reste à définir ce qui précisément est « échangé ». En effet, ce qui est échangé peut être un produit fini, certes ; mais cela peut être aussi l’effort ou ce qu’on appelle la force de travail, ou la mise à disposition de ses compétences et de son expérience, l’apport ou le partage d’idées nouvelles, le contrôle et la garantie de l’expert, l’admiration des pairs, etc.

Motivation et reconnaissance

Il reste que dans chaque cas le point important est de n’en point oublier l’origine humaine, à savoir que la personne puisse trouver d’abord à exister, c’est-à-dire à être valorisé – justement ! – comme « personne », vis à vis d’elle-même et des autres, au travers de ce qu’elle donne et au-delà de la rémunération qui vient le sanctionner. Valoriser ne veut pas dire seulement encenser, louer, féliciter, récompenser… mais donner à cette personne la possibilité de percevoir sa propre dignité, c’est-à-dire le fait avéré d’être cause responsable de ses actes, comme on peut dire : « Celui-là, c’est "quelqu’un" ! ». Ce « un » fait référence non pas au chiffre, mais au caractère unique de la personne, irremplaçable en tant que telle au milieu de ses semblables.

Bref, on est récompensé ou sanctionné pour ce que l’on a « fait », mais on ne se sent reconnu que pour ce que l’on « est ».

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