Si nos quêtes de sens ou nos besoins de mieux comprendre notre environnement et nos relations nous conduisent souvent vers des livres des coachs ou de penseurs, mais aussi dans leurs cabinets, on peut distinguer de vraies spécificités dans les réponses, dans les méthodes, dans les pratiques... Nous allons différencier le développement personnel, très en vogue et influencé notamment par le courant de la psychologie positive, et la philosophie qui a aussi vocation à éclairer l'existence... mais sur un tout autre mode.

Au départ, c’est peut-être une même quête de sens, un besoin de mieux comprendre notre existence, une volonté d’éclairer nos actions, qui va nous pousser dans les rayons de nos librairies ou bibliothèques côté développement personnel ou manuels de psychologie positive pour les uns, ou alors côté philosophie pour d’autres, même si certains classements sont par ailleurs discutables…

C'est un même besoin de prise de recul qui va nous inciter à prendre rendez-vous avec un coach, ou avec un intervenant philosophe.

Doit-on opposer développement personnel et philosophie ?

Si les questions sont les mêmes, les réponses se présentent comme sensiblement différentes. Ces derniers temps, on assiste même à des oppositions nettes qui sont médiatisées et qui créent des tensions entre ces différents intervenants... Apportons de la nuance en reconnaissant que les acteurs du développement personnel comme les philosophes partagent une intention commune : questionner vos inquiétudes et clarifier vos idées... Mais si les coachs vous promettent des réponses, des solutions, des recettes et des outils, la philosophie vous propose un questionnement plutôt inconfortable qui fait naître plus de questions que de réponses, et insistera sur la dimension non définitive de nos réponses face à l'incertitude de nos parcours et du réel.

Le développement personnel se présente comme un apport de techniques et d’outils à utiliser pour répondre à des objectifs bien identifiés (la confiance en soi, la réussite professionnelle, la communication, ce qu’on appelle la « gestion du temps »,… ). Ces techniques sont renseignées dans de nombreux livres également, ou peuvent faire l’objet de formations, séminaires ou de coaching, et remportent un franc succès depuis de nombreuses années, il y a un vrai marché fortement concurrentiel dans ce domaine…

Le marketing a beaucoup moins sa place pour la philosophie, même si on ne peut nier que la médiatisation peut plaire à certains, médiatisation qui s’attache d’ailleurs parfois davantage à la personnalité des penseurs qu’au contenu de leurs réflexions.

La démarche philosophique, dans sa tradition, ne vient pas apporter de la technique ou de l’outillage pour répondre immédiatement à une attente. Elle s’inscrit plutôt dans le temps long et se méfie des certitudes et des solutions qui ne tiennent pas compte de la complexité de l’être humain et de son environnement, de l'incertitude inhérente à nos parcours et nos décisions..., et elle vient souvent remettre en questions toutes les recettes existantes qui viennent nous aider à "réussir nos vies". La philosophie propose plutôt de la méthode que des outils, de la pensée que de la technique, et parfois même un art de vivre (via les Anciens et on peut lire les ouvrages de Pierre Hadot et Martha Nussbaum à ce sujet) plutôt que des règles à appliquer. La philosophie a tendance aussi à s’attacher davantage à la vie bonne qu’à la vie heureuse, et interroge toujours nos objectifs, la raison d'être de nos quête de sens : que signifient : le bonheur, la réussite, la bienveillance.... ; ces mots passe-partout méritent souvent qu'on les redéfinisse...

La quête de sagesse peut-elle être rassasiée ?

Certains philosophes actuels ont la dent très très dure vis-à-vis du développement personnel, qu’ils nomment souvent « marché juteux de la sagesse », dénonçant le caractère réducteur voire simpliste de certaines théories. Mais on ne peut nier que d’autres philosophes au contraire s’inscrivent un peu dans cette dynamique et sont fortement critiqués par leurs pairs…

Ce qui est dénoncé, dans un premier temps, c’est que la sagesse ne peut être considérée comme un produit… La philosophie ne veut pas être associée à l’utilité immédiate, mais plutôt à une démarche d’approfondissement à long terme. Elle interroge donc actuellement tous les présupposés utilisés dans les théories du développement personnel et la psychologie positive, qui même s’ils se revendiquent comme scientifiques et universitaires, ont quelques difficultés à accepter la remise en cause de leurs pratiques et de leur paradigme qui voit le bonheur accessible par la force de la volonté individuelle…. Edgar Cabanas et Eva Illouz ont sorti un livre en 2018, Happycratie, très dur, qui dénonce justement l’injonction au bonheur, et ce livre a été très très mal reçu par le monde des coachs et des différentes institutions du développement personnel, alors qu’il pose des questions essentielles sur les présupposés non interrogés par ces pratiques… Et il est très important que toute personne qui se dit spécialiste des questions liées à l’humain soit en capacité d’être attentive à toutes les critiques qui visent à approfondir la compréhension qu’on peut avoir de l’humanité, de l’existence, sans nier la fragilité inhérente à la vie qu’on voudrait parfois voir disparaître au profit d’une forme d’adaptation consentie à des conditions de vie qui n’ont rien de réellement acceptables… que ce soit dans la vie de tous les jours, dans certaines entreprises, dans la vie publique, etc

A contrario, les philosophes ne peuvent rejeter en bloc des pratiques qui sont sollicitées par tous les amateurs de développement personnel : un dialogue fécond peut être construit et s'appuyer sur une réalité qu'on ne peut nier... Cette réalité nous démontre que la majorité des individus en quête de sagesse préfèrent les réponses aux questions, préfèrent les thérapies rapides aux investigations inconfortables qui questionnent l'existence et le temps... Les réponses n'apaisent pas nécessairement la soif de comprendre... et des complémentarités restent à inventer... D'ailleurs, ne pourrait-on pas considérer la philosophie comme une forme de développement personnel... mais qui choisirait certainement d'autres termes que celui de "développement", car ce mot est lui-même questionnant ; n'affiche-t-il pas trop franchement une direction affichée a-priori...?

En résumé, la différence entre philosophie et développement personnel

Le développement personnel répond à des attentes bien précises, à des soucis d’efficacité. D’ailleurs le vocabulaire de la gestion règne en maître dans les théories développées dans ces ouvrages : on parle de « gestion des émotions », de « capital humain », de « maîtrise de soi » et justement de « développement » personnel… On a l’impression que l’homme est assimilé à la machine, il doit fonctionner…(du mieux possible) et répondre aux aléas de l'existence par des ajustements mécaniques efficaces...

La philosophie accompagne des questionnements à long terme, à vocation universelle et même souvent existentielle. Elle refuse l’idée de fonctionnement et s’intéresse à la question de l’intelligence humaine, notamment à travers les enjeux actuels de différenciation de l’intelligence humaine face à l’intelligence artificielle. Et plus que tout, la philosophie nous accompagne pour faire face courageusement au réel..., le réel dont on ne peut s'affranchir, et qui suppose nos actions et nos ajustements.

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