Un éternel recommencement ?

Chaque génération pense qu’elle fait face à des défis totalement inédits. Que nenni !

Ainsi, dans le journal Le Monde daté du 06 octobre 1970, on trouve dans les notes de lecture d’Alfred Sauvy (le grand serviteur de l’Etat), un ouvrage intitulé « Démocratiser le management » (cela ne s’invente pas !) avec comme auteur Robert Thalvard, ingénieur, syndicaliste, formateur en gestion.

Ce livre est fabuleux car il met en exergue, il y a plus de 50 ans, les principaux maux du management et les défis des organisations…actuelles !

Quelques extraits :

« …la centralisation présente de nombreux inconvénients, il n’est personne qui n’en soit d’avance convaincu. Il suffira donc de les rappeler brièvement : chefs harcelés et submergés par des tâches souvent mineures, subordonnés peu motivés pour prendre des initiatives et experts dans l’art de se « couvrir », fiefs férocement convoités et jalousement protégés, inertie à la base face aux initiatives du sommet. Les conséquences sont connues : l’avenir est sacrifié au quotidien, l’important à l’urgent, les facultés d’adaptation à la rigidité des consignes, les occasions de changement aux routines et à l’instinct de conservation » …

… « Décentraliser, c’est confier le pouvoir de décision au niveau le plus proche possible de la réalisation dans tous les domaines où celui-ci dispose des éléments essentiels d’appréciation. Cette conception n’est pas nouvelle, puisqu’elle était déjà exposée au siècle dernier, en particulier par le pape Léon XIII, sous l’appellation de principe de subsidiarité ».

Et l’auteur de préciser qu’une des conditions de la décentralisation, c’est « la reconnaissance aux subordonnés du droit de ne pas agir comme leur chef l’aurait fait s’il n’avait pas délégué, et même, à la limite, du droit de se tromper. Autrement, comme pour l’analyse des écarts, tout sera mis en œuvre pour que l’erreur reste clandestine. Déléguer comporte un risque qui doit être d’avance accepté. Si la méfiance s’avère payante, l’esprit d’équipe indispensable à l’exercice d’un pouvoir décentralisé ne pourra jamais s’instaurer».

Mais Thalvard prévient : « la décentralisation n’est pas moins exigeante vis-à-vis des supérieurs, car elle les oblige à s’engager vis-à-vis des autres et d’eux-mêmes en définissant clairement leurs politiques… Décentraliser est difficile pour la simple raison qu’il est demandé à tous de s’engager davantage vis-à-vis des autres ».

Ainsi, rajoute-t-il un conseil fondamental à entendre notamment…dans le contexte qui est le nôtre avec l’introduction de l’intelligence artificielle dans les organisations :

« Le remède à l’accoutumance ou à l’abdication est entrevu : il consiste à associer les personnes et les groupes à l’effort créateur et aux responsabilités, c’est-à-dire au pouvoir. Toute tentative de rationalisation appelle une compensation à ce niveau, sous peine de rendre l’économie comparable à une simple ruche bourdonnante ».

Cet ouvrage de Thavlard prônant la réforme du management s’inscrit dans une vague plus générale de critiques du management, vague qui a été exacerbée par les événements de mai 1968. Ainsi, dès août 1968, Réné Hugonnier fait paraitre un article intitulé « la faillite d’un certain type de management » dans la revue Jeune Patron. En septembre de la même année, le Centre des jeunes dirigeants (CJD) organise un congrès exceptionnel à la réforme de l’entreprise. Comme le précise Danièle Fraboulet dans son article « Le CNPF et les mutations de la vie politique et sociale de l’après Mai 68 », le « CJD considère que « l’explosion de 1968 » résulte de la « faillite du management traditionnel » défendu par le CNPF. Il condamne l’attitude de ce dernier, l’accusant d’avoir étouffé « les recherches ouvertes sur les réformes de l’entreprise par la fuite en avant trouvée dans les contraintes du Marché commun » ».

Le besoin de transformation « du management » n’est donc pas un fait récent, loin s’en faut ! Fort de ce recul historique, nous gagnerons à savoir pourquoi cette réforme voulue depuis plusieurs décennies ressemble toujours à la jument de Roland qui a toutes qualités sauf celles d’exister. A défaut, nous continuerions à « bricoler dans l’incurable » et à donner raison à Robert Musil : « c’est toujours la même histoire ! » ;

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