La communication, c’est facile. Mais en quoi ?

La communication, c’est déjà l’explication facile de toute une série de problèmes : quelle que soit la situation, on peut toujours arguer de difficultés de communication ; en matière de communication, comme en psychanalyse, l’état de santé n’existe pas. Ainsi, en politique, si de nouvelles lois rencontrent la contestation, on parle de déficit de communication plutôt que de divergence d’intérêts ; dans les relations interpersonnelles, c’est de malentendus dont il s’agit plutôt que des effets pervers de l’utilisation de moyens de communication qui font fi des nuances sémantiques, de la syntaxe et de la grammaire ; dans le management les résistances aux bienfaits des transformations s’expliquent aisément par un défaut de communication plutôt que par l’aveu que, dans des organisations foncièrement tayloriennes, on n’a pas fait le long et rigoureux effort de partage d’une vision commune avant d’exiger des acteurs leur adhésion aux transformations en cours.

Mais il est facile de constater que la communication aide le bon fonctionnement de nos organisations. Elle répond aux besoins des organisations actuelles. Une bonne communication entre les personnes, c’est déjà un facteur de bien-être dans l’entreprise, même s’il est moins mis en avant que le babyfoot et les after, même si de bonnes relations auxquelles la communication contribue, ne figurent pas au premier rang dans les enquêtes de satisfaction. Tout le monde a pu expérimenter les effets délétères d’une mauvaise communication. Mieux encore, les organisations, de plus en plus complexes, multiplient les dimensions de leur fonctionnement ; elles sont à la fois verticales, horizontales, matricielles, elles étaient auparavant permanentes alors qu’elles sont aussi provisoires, dans le mode projet par exemple, elles étaient traditionnellement physiquement rassemblées alors que les voilà éclatées par le télétravail : la bonne volonté et les systèmes d’information ne suffisent pas à en assurer un bon fonctionnement, encore faut-il que la communication circule selon les canaux et processus mis en place, mais surtout, au-delà de ce formalisme, dans la qualité de la communication entre les acteurs. Enfin certaines de nos organisations revendiquent un besoin d’engagement ; comment s’engager si l’on ne comprend rien, si l’entreprise dans ses projets, ses missions, ses visions et les comportements de ses acteurs ne témoigne pas d’une certaine cohérence compréhensible par tous ? Là encore, la communication de qualité est un facteur d’engagement.

La communication, c’est un thème facile à aborder, de manière tranchée et définitive. En voici deux illustrations, à l’opposé l’une de l’autre. A ce rayon des opinions faciles et tranchées, l’idée que la communication n’est plus un problème maintenant que nous vivons dans une époque moderne. Un de mes étudiants disait récemment que le travail, c’est de faire ce qui est demandé, calé n’importe où devant son ordinateur ; certes le labeur solitaire sur son appareil constitue de la communication, mais l’idée de rencontrer d’autres personnes physiquement, l’idée que d’une communication fortuite, non médiatisée par de complexes processus, pouvait sortir de la performance sans compter du bien-être, ne rentrait clairement pas dans sa définition de « faire son travail ». La communication est-elle vraiment encore un problème quand à la moindre différence d’appréciation, on en appelle aux grands principes, on y voit une remise en cause personnelle ou un manque de reconnaissance ; la communication est-elle encore un problème si la fuite, l’arrêt maladie ou la démission sont la première et unique réaction possible au moindre désaccord ? La communication est-elle encore un problème si l’IA qui, bien domptée, va bientôt écrire à la manière de Proust, pourra donner l’impression de communiquer à peu de frais ? La communication est-elle encore un problème quand des logiciels transformeraient aujourd’hui la voix d’un interlocuteur pour l’ajuster à la tonalité émotionnelle de son interlocuteur ?[1]

A l’opposé de cette approche, il existe une autre approche facile consistant à croire que la communication est importante mais qu’il y a, en la matière, les doués et ceux qui ne le sont pas. Les génies de la communication existeraient, ils entrent en contact avec tout le monde, ils séduisent, ils captent l’attention et prennent assez facilement le leadership dans les groupes. Facilité encore : les doués n’ont rien à faire puisqu’ils sont doués et les autres non plus puisqu’ils n’y peuvent rien… Trop facile, même si les doués, que l’on croit rencontrer parfois, nous agacent un peu, en nous renvoyant à nos insuffisances et difficultés supposées. Alors, évidemment, on cherche à mettre en pratique quelques conseils très pratiques et faciles à mettre en œuvre … et cela ne fonctionne jamais, nous confortant dans l’idée que décidément, les « pas-doués » ne peuvent rien faire.

La communication, c’est facile à la lecture des auteurs qui apportent régulièrement de nouvelles théories et approches, comme c’est le cas avec le très récent ouvrage cité plus haut. Selon Duhigg, une bonne communication s’installe quand les interlocuteurs parviennent à se connecter, quand ils se mettent sur une même longueur d’onde, en résonance l’un avec l’autre. L’auteur donne d’ailleurs un peu de chair à cette résonance ; pour lui, la communication interpersonnelle, la conversation, peut relever de trois ordres différents et une bonne communication ne peut s’instaurer si l’on se trompe de conversation et, pour autant que l’on a trouvé la bonne conversation à tenir, encore faut-il savoir parler le langage de cette conversation. On se retrouve donc avec deux enjeux pour bien communiquer : repérer chez l’autre quelle conversation il tient et savoir en parler le langage.

Les trois conversations s’exprimeraient sous forme de trois questions : « de quoi s’agit-il ? », « qu’est-ce qu’on ressent ? » ou « qui sommes-nous ? ». La première concerne des choses pratiques, une décision à prendre, un problème à analyser. La deuxième conversation touche aux émotions, ce que l’on ressent et la troisième a trait à nos identités, à ce que nous sommes ou pensons être. Ainsi, rien de pire que d’être au niveau factuel de l’analyse quand l’autre exprime ses sentiments et attend d’être entendu et pris en charge ; rien de pire non plus que de manquer le fait que dans une conversation, c’est la personne dans son identité, son sentiment d’appartenance à ses groupes de référence, qui se sent touchée alors que l’interlocuteur croyait aborder les caractéristiques objectives d’une situation.

Mais si les conversations peuvent relever de trois objets différents, et pour autant qu’on l’ait repéré, encore faut-il savoir mener la conversation sur le registre en question. Le premier est de savoir ce dont on parle, le problème qui doit être traité ou la décision qui est à prendre. Une bonne communication s’instaure si on se met implicitement ou explicitement d’accord sur les questions en jeu, la manière de les traiter et d’avancer. Bien communiquer c’est avoir repéré ce qui intéresse l’autre, l’avoir exprimé, s’être soi-même prononcé sur ce dont on parle ou veut parler. Même si nous nous trouvons dans l’ordre du pratique ou du factuel, cela requiert de l’écoute, de la sensibilité aux marques, fugaces parfois, d’intérêt de l’autre pour telle ou telle question. Combien de réunions professionnelles échouent et créent de l’insatisfaction parce que personne ne parlait réellement de la même chose.

Le deuxième type de conversation se situe au plan émotionnel. Même si on parle de faits, ce sont des émotions qui s’expriment ou sont en jeu. La clé dans ce genre de conversation n’est pas seulement de permettre aux autres d’exprimer leurs émotions mais aussi de s’ouvrir et de partager les siennes propres. Bien communiquer c’est savoir s’enquérir des émotions de l’autre à partir de ses croyances, valeurs ou expériences, c’est aussi savoir dynamiser la conversation en sachant s’ouvrir soi-même. Cela ne requiert pas seulement de l’oreille, mais aussi de la sensibilité au langage corporel et de la capacité à s’ajuster à l’humeur et à l’intensité émotionnelle de l’autre.

Dans le troisième type de conversation, c’est l’identité des personnes qui est en jeu, l’identité perçue et nous savons aujourd’hui combien ces appartenances sont sensibles. La bonne communication ne consiste pas seulement à éviter certains sujets – des menaces potentielles contre l’identité de l’interlocuteur comme les nomme l’auteur - ou à reconnaître implicitement les identités supposées de l’autre (beaucoup d’erreurs sont possibles en la matière), cela consiste le plus souvent à aider, par ses questions et partages, à élargir le champ des identités auxquelles on se réfère ; c’est le vieux mâle blanc qui parle : certes il l’est mais il n’est peut-être pas que cela…

Faciles encore, les conseils à tirer pour améliorer la communication. Premier conseil, poser des questions et même des « questions profondes », celles qui invitent l’interlocuteur à s’exprimer sur des sujets très personnels. Deuxième conseil, parler de soi, s’ouvrir en se mettant en résonance avec l’autre. Troisième conseil, créer des situations où la communication (verbale et non-verbale) s’avère possible : chacun appréciera les limites de nos outils courants de communication, très utilisés bien que pauvres en contenu partagé. Et quatrième et dernier conseil facile, chercher toujours ce que l’on peut avoir de commun et de partagé parce que c’est toujours là le carburant pour communiquer mieux.

Il serait quand même cavalier de terminer un texte sur les facilités de communication sans une réserve terminale : finalement la seule toute petite (!) difficulté, c’est que tout cela ne dépend que de la bonne volonté de chacun et chacune…
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[1] Duhigg, C. Supercommunicators – How to unlock the secret language of connection. Random House, 2024.

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