par « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ». Michel Audiard[1].
N’en déplaise aux Tontons flingueurs en général et à Maître Folace[2], le notaire du Mexicain, en particulier les marins ne sont pas les seuls à être férus de phraséologie. Nous pouvons trouver cette addiction chez certains managers, dirigeants, recruteurs, formateurs, consultants, coaches et autres auteurs lors de la description des soft skills, les compétences comportementales.
Le besoin de faire des phrases se traduit par une suite de mots destinée à proposer une réponse à la question, comment décrire ce qui est immatériel, mais constatable ?
Les phrases, le modèle et les soft skills, oui, mais quoi ?
Un peu d’histoire
Le terme soft skills est né aux États-Unis d’Amérique, voici son histoire[3]. L’armée des États-Unis d’Amérique a étudié durant de la guerre de Corée 1950/53, les compétences individuelles attendues par les circonstances, notamment celles non liées avec des matériels et/ou des techniques. La décennie 60 a vu apparaitre la notion de soft skills. Ce vocable figure pour la première fois en 1968 dans un document de doctrine « Systems Engineering of Training CON Reg 35-100-1. The regulation aimed to apply systems engineering ». Ce travail de recherche avait pour but de distinguer les activités qui mettent en œuvre l’expertise de contenu « hard skills » de celle qui traite des relations avec les personnes « soft skills ». La conférence de 1972 réunissant les experts respectifs du CONARC[4] pour la formation et ceux de l’HumRRO[5] pour l’organisation a engendré la définition initiale des soft skills comme étant « Compétences liées à l’emploi impliquant des actions affectant les relations humaines ». Cette décision a défini et uniformisé le contenu enseigné dans les cours en supprimant la notion de compétences générales[6] de la terminologie de l’ingénierie des systèmes de formation.
Ainsi les compétences liées à la pensée critique, la résolution de problèmes, la prise de parole en public, le leadership, la fluidité interculturelle sont identifiées en tant que soft skills. Au gré des apports successifs de la recherche et de l’expérimentation, les soft skills sont devenus en français les compétentes comportementales pour devenir aujourd’hui le facteur implicite majeur de la vie professionnelle.
La frénésie des phrases
Une des premières phrases décrivant les soft skills fut : « Attributs personnels qui permettent à quelqu’un d’interagir efficacement et harmonieusement avec d’autres personnes ». Mais bien d’autres ont été imaginées par des organisations, des consultants, des formateurs, des sociétés d’études… La compilation non exhaustive énumère les phrases usitées couramment pour décrire les soft skills :
Description de ce que l’on doit être : discipliné ; audacieux ; fiable ; communicant ; motivé ; persévérant ; empathique ; authentique…
Injonctions du type « il faut » : prendre du recul ; tout donner ; se battre ; être fort ; gérer votre stress ; actualiser ses connaissances ; mettre le client au centre de l’entreprise ; résoudre des problèmes complexes ; prendre des décisions, développer son leadership et son influence sociale…
Injonction paradoxale « il faut et soyez » : prenez du recul et impliquez-vous ; soyez empathique et utiliser votre intelligence émotionnelle, soyer créatif et respectez les règles, soyez proactif attendez mes instructions, applique les règles, mais développer la tolérance…
Liste de capacités à : s’organiser ; s’adapter ; l’autonomie ; travailler en équipe ; l’initiative ; travailler sous pression ; analyser ; l’humilité, la bienveillance ; négocier ; fédérer…
Prédisposition : traits de personnalité, le plus souvent innée et stable comme la curiosité ou l’aisance relationnelle.
Nouvelle appellation : Mad skills : compétences inhabituelles, exceptionnelles, hors contexte, artistiques, sportives…Compétences douces : ce qui selon le dictionnaire doit vouloir exprimer, agir sans brusquerie, gestes mesurés et délicats, caractère facile…
Ces différentes incantations, vocables sans rapport avec la situation, souhaits en forme de vœux pieux, ces lettres au père Noël assorties de qualification absolue : j’aime, je n’aime pas, c’est bien, mal, bon mauvais, fais-moi ceci…apporte à la confusion entre le sens et l’objectif. Le sens des compétences comportementales est d’apporter à la relation humaine les moyens pratiques pour fluidifier le dialogue entre les acteurs d’une situation. L’objectif est de comprendre les moyens pratiques opérationnels pour y parvenir.
Les phrases, le modèle et les soft skills, oui, mais comment ?
Cette liste hétérogène de principes applicables aux soft skills fut développée, enrichie par les acteurs de la recherche, de l’enseignement, de la formation, du conseil et du management sans compter les dictats prononcer par les réunions d’influents érigées en prédicateurs. Ils sont mobilisés par leur volonté de faire connaitre leur point de vue sur la question. Les différentes listes de principes définissant les composants des soft skills et leurs modes de mise en œuvre sont aussi nombreuses que variées telles les recettes disponibles pour le cassoulet, la choucroute, le couscous et autres plats populaires. Les soft skills sont devenus un système compliqué qui appelle à devenir un système complexe. Je souhaite vivement contribuer à la phraséologie des softs skills, mais à ma façon en appliquant les conseils de Boileau[7], Clémenceau[8]et d’Engels[9] par la modélisation.
Boileau pour les préceptes :
« Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément ». "
Clémenceau pour les concepts«…Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte ».
Engels pour la méthode : « La liberté n’est pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées ».
Les travaux de recherche pour la modélisation :« Opération qui formalise, à l'aide d'un modèle, la manière dont les éléments qui interviennent dans un processus, une réalité complexe, s'organisent les uns par rapport aux autres, agissent les uns sur les autres ». Le goût de faire de phrase je l’ai donc pratiqué lors de l’exploitation de ma thèse de doctorat[10] pour modéliser les soft skills par l’assemblage des éléments suivants :
- Le livre de John Stuart Blackie,[11] L’Education de soi-même,1874.
- L’étude de France Travail sur les compétences attendues par les employeurs[12].
- Les conclusions managériales de la thèse de doctorat de l’auteur.
Modèle edsm7c ; Education de Soi-Même en 7 Clés :
01 Apprendre à Apprendre : donner, recevoir et maîtriser les enseignements.
02 Posture : évoluer de l’apparence à la stature.
03 Obtenance : obtenir l’accord.
04 Stress : produire le bon stress à la place du mauvais stress.
05 Management : faire faire et obtenir.
06 Art oratoire : maîtriser son charisme par la rhétorique.
07 Qualité : supprimer l’écart entre l’attendu et le vécu pour provoquer un sentiment de satisfaction.
Etude de France Travail appliquée dans le modèle edsm7c :
Cet exemple s’applique pour toutes les phrases descriptives des soft skills. Ainsi la transhumance des soft skills d’un système compliqué vers un système complexe est effectuée pour conduire à son exploitation rationnelle.
Conclusion
« La seule différence est qu’ils ont commencé à comprendre ce qu’ils sont vraiment et qu’ils ont commencé à mettre en œuvre les moyens que la nature leur a accordés ». Richard Bach[13].
Tout se complique quand on ne sait pas précisément où l’on en est et ce que l’on est en train de faire. Tout se simplifie quand le pourquoi et le comment sont clairement identifiés : le pourquoi par le précepte, le concept et la méthode et le comment par la méthodologie, l’action et le résultat.
Les soft skills relève de la formation et de l’organisation des relations humaines et rien d’autre si l’on veut leur affecter d’autres considérations, il faudra utiliser d’autres phrases et nouvelles appellations.
Je laisse à Athéna[14] le soin de tirer les conclusions du mentorat propre aux soft skills. Elle vient de quitter sa posture de mentor et s’adressant à Télémaque déclare « Je vous quitte, ô fils d’Ulysse ; mais ma sagesse ne vous quittera point, pourvu que vous sentiez toujours que vous ne pouvez rien sans elle. Il est temps que vous appreniez à marcher tout seul… »[15]
A ce jour il est peu aisé de consulter Athéna, mais il est opportun de s’inspirer de son comportement de Mentor pour devenir son propre Mentor.
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Nota bene : Le livre blanc "La modélisation des soft skills" est téléchargeable gratuitement ICI
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[1] Michel Audiard, 1920-1985, homme de lettres français
[2]https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=c%27est%20curieux%20chez%20les%20marins%20ce%20besoin&mid=A71325DEFC758D17D468A71325DEFC758D17D468&ajaxhist=0
[3] D’après la publication de Jennifer Parlamis , Ph.D. Social and Orgaizationnal Psychologie university of San Francisco School of Management Journal of Management Inquiry: Sage Journals (sagepub.com) Getting to the CORE: Putting an End to the Term “Soft Skills”
[4] Continental Army Command
[5]Human Ressouorces Research Organization
[6] U.S. Continental Army Command and U.S. Army Defense School, 1972
[7] Nicolas Boileau, sieur Despréaux, 1636-1711, homme de lettre français. L'Art poétique (1669-1674), Chant premier, v. 147-154, éd. ULB, p. 52.
[8] Georges Clemenceau, 1841-1929, homme d’état français
[9] Friedrich Engels 1820 – 1895, philosophe allemand
[10][10] Thèse soutenue le 27 juin 2016 au Cnam. https://machuret.fr/wp-content/uploads/2016/11/Machuret-th%C3%A8se-doctorat-int%C3%A9grale-V-16-10-27.pdf
[11] John Stuart Blackie,1809 / 1895, universitaire écossais https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/ark:/06871/0018546040.
[12] Pôle emploi a publié une enquête en février 2018 sur la question : Diplôme, compétences techniques ou comportementales : quelles sont les principales attentes des entreprises ?enquête BMO, besoins en main-d’œuvre, réalisée en 2017 pour Pôle emploi par BVA et Crédoc.
[13] Richard Bach, 1936- homme de lettres américain. Jonathan Livingston le goéland 1970
[14] Athéna déesse grecque antique, dotée des vertus : sagesse, présence, vision perçante, stratégie militaire. Elle est protectrice du travail, des sciences, des arts, des héros et ne plus elle fait trembler les méchants.
[15] Les aventures de Télémaque, Fénelon, Librairie Delagrave, 1919, p448 §3