Une collègue attentionnée m’a fait parvenir un propos tout à fait intéressant, piqué je ne sais plus où, mais pour tout dire représentatif de la mentalité des salariés d’aujourd’hui : « on entre dans une entreprise pour un projet professionnel et pour un package de rémunération. On sort pour un problème de management ou d'ambiance et pour l'absence de perspectives ». Et cette collègue de commenter : « Le seul lien entre les deux c'est le projet professionnel. Intéressant, non ? » Ben oui ! Et pertinent !

Puis, à la réflexion, je me suis dit que le lien qu’elle avait fait pouvait peut-être se comprendre de plusieurs manières. Le plus naturel, celui qui m’était apparu en premier, est l’opposition entre un “projet professionnel” et “l’absence de perspective”. Il semble clair que ce qui motive un projet professionnel réside proprement dans les perspectives qu’il ouvre, et que la disparition de ces dernières ruine toute motivation. Néanmoins, dans une vie professionnelle, chacun de nous a pu voir son projet évoluer, au fil de modifications plus ou moins profondes, de circonstances, d’opportunités, etc. Autrement dit on peut changer de perspectives, pour peu que l’on réagence la réalité et les contraintes de l’entreprise avec notre propre évolution. Ce qui est en grande partie un problème de management. Et voilà l’opposition initiale qui s’est déplacée vers le “problème de management” ; car c’est aussi le rôle du management de veiller à la mise en adéquation constante et évolutive des besoins de l’entreprise et des contributions des collaborateurs dans une perspective gagnant/gagnant. L’absence de perspectives peut, certes, avoir des causes exogènes, mais il reste difficile de la couper tout à fait de la responsabilité managériale.

Le deuxième lien, désormais communément observable, est celui qui existe pour toute une catégorie de salarié entre “projet professionnel” et bonne “ambiance”. Nombreux sont ceux, en effet, pour lesquels le travail n’est pas la principale raison de vivre, et dont le “projet professionnel”, intégré à un projet de vie plus large et plus motivant, consiste simplement à assurer la rémunération nécessaire… mais tant qu’à faire dans une bonne ambiance de travail ! Il ne s’agit pas de vivre un calvaire quotidien qui va vous pourrir tout le reste avec ! Je sais bien que par les temps qui courent, mettre ses perspectives essentielles ailleurs que dans son travail assorti du toujours plus qui doit désormais l’accompagner, devient presque immoral… mais l’hypocrisie n’est pas forcément du coté que l’on croit. Il reste que, là encore, c’est le management qui est en grande partie responsable de l’ambiance qui règne dans les équipes ! On sort donc toujours, d’une manière ou d’une autre, en fait, pour un problème de management.

Que l’on me comprenne bien : loin de moi l’idée d’affirmer que le management est le seul et unique responsable de l’absence de perspectives et des mauvaises ambiances : la rupture contractuelle professionnelle ou “morale” peut dans certains cas être due au seul salarié. Ce que j’affirme en revanche, c’est que le management ne peut pas s’en laver les mains. Il est forcément concerné dans son principe et dans son exercice lorsqu’il est incapable d’ouvrir ou de faire évoluer des perspectives professionnelles, ou lorsqu’à défaut de générer une bonne ambiance, il échoue à limiter les effets de la mauvaise.

Au fond, je trouve cela réconfortant : on entre et on sort d’une entreprise parce que c’est d’abord une histoire d’hommes. Une histoire d’hommes qui doit figurer au cœur du projet professionnel d’un manager, puisqu’en tant que tel il doit participer activement à la gestion des projets professionnels de ses collaborateurs. Une histoire d’hommes qui doit aussi figurer au cœur du projet professionnel de tout salarié, parce qu’en tant que tel il est là pour trouver toute sa place dans un projet d’entreprise qui ne se réduit pas à la somme des projets individuels. C’est penser qu’il y a un “bien commun” auquel les uns et les autres contribuent, de façon complémentaire.

C’est pourquoi les entreprises où le seul résultat chiffré trimestriel tient lieu de projet –– ou plutôt d’absence de projet – s’enfoncent inévitablement, et avec pleine responsabilité, dans la crise. Et ses salariés avec, collaborateurs comme managers ; car ces derniers subissent alors des changements d'organisation si fréquents qu'ils passent plus de temps à s'adapter… qu'à regarder au loin. Dans l’impossibilité de s’éclairer eux-mêmes sur des orientations plus larges, ils éprouvent les plus grandes difficultés à ouvrir à leurs collaborateurs des perspectives cohérentes. En clair, cela devient alors un véritable problème de Direction. Mais là… silence et parachutes !

Probablement que les managers qui s'en sortiront le mieux seront ceux qui, dans leur périmètre de proximité, limiteront la crise grâce à un solide bon sens et quelques idées positives pour compenser les épreuves de la vie professionnelle.

Ceux-là verront leurs collaborateurs demeurer auprès d’eux.

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