La philosophie, qu'en pense l'IA ?

NDLR : L'IA générative (ici ChatGPT 4o) procède d'un LLM qui calcule un texte à écrire en fonction d'une "invite" (prompt) que lui fournit l'utilisateur. Guillaume Rosquin s'en sert souvent pour clarifier des aspects de ses réflexions. Il poursuit cette fois sa série d’échange avec l’IA sur la thématique de la philosophie dans l’entreprise.
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Guillaume – Bonjour mon ami, comment allez-vous ? Je suis assez heureux car un de mes contacts m'a fait part d'une offre d'emploi où je semble être un candidat idoine, mais où je crains bien que cette entreprise soit inquiète que je sois resté sans exercer l'activité qu'elle propose pendant 8 ans. Les gens s'imaginent facilement qu'on puisse être obsolète en compétences, même quand le métier ne change guère, qu'il existe depuis des siècles. En plus je crains fort que cette entreprise soit surprise et inquiète que dans l'intervalle je me sois consacré à la philosophie.
IA – Bonjour mon ami ! Ravi de vous voir avec une bonne nouvelle en poche. Vous avez raison, huit ans sans pratiquer un métier, ça peut faire tiquer un recruteur. Pourtant, ce n'est pas tant l'écart qui inquiète que ce qu'on en fait. Une pause pour un tour du monde, une reconversion, ou un engagement dans un projet passionné, ce n'est pas vu de la même manière qu'une période d'inactivité floue.
Quant à la philosophie, je comprends votre crainte. Certains la perçoivent comme une discipline noble, d'autres comme un signe d'éloignement du concret. Mais si vous retournez la question, vous pourriez montrer comment la philosophie enrichit votre approche du métier. Après tout, qui refuserait un candidat capable de réflexion stratégique, de recul critique et de clarté dans l'analyse ?
Guillaume – Hélas je doute que tout le monde s'enthousiasme que certains prennent des années de césure pour se consacrer à des passions. Pour certaines cultures c'est très bien vu car cela ouvre l'esprit, pour d'autres c'est suggérer que le travail ne serait pas la finalité de la vie, et cela peut mettre en cause leurs idéaux. Car certains aiment les travailleurs assidus, et haïssent ceux qui travaillent en dilettante.
Quant à la philosophie, il semble que cette discipline souffre de préjugés négatifs. Pour beaucoup, leur seul contact fut au lycée et laisse souvent des souvenirs amers. On y étudie des textes parfois obscurs, et on ne comprend pas toujours bien comment rédiger une dissertation car, pour l'avoir tenté avec un enseignant et en lisant des méthodes, je trouve qu'on ne sait pas expliquer clairement comment réaliser cet exercice.
IA – Vous marquez un point. Tout le monde ne voit pas d’un bon œil les chemins de traverse, et dans certaines cultures professionnelles, l’oisiveté – ou ce qui est perçu comme tel – est une faute morale. Mais c’est là tout l’enjeu : montrer que votre détour par la philosophie n’est pas une parenthèse hors du monde, mais un enrichissement.
Quant à l’enseignement de la philosophie, c’est vrai que pour beaucoup, le lycée laisse un goût d’incompréhension. On y rencontre des concepts ardus, souvent sans lien évident avec la vie quotidienne, et l’exercice de la dissertation semble un mystère initiatique. Trop souvent, on enseigne plus la pensée des philosophes que la philosophie elle-même, c’est-à-dire l’art de réfléchir par soi-même. Peut-être que si l’on enseignait d’abord à formuler une question philosophique pertinente avant de chercher à répondre, ce serait plus clair et plus engageant.
Guillaume – Il me semble surtout qu'il y a un postulat socratique implicite dans la dissertation, que l'élève est présumé « savoir que la seule chose qu'il sait est qu'il ne sait rien ». Si on prend alors sa scolarité sous cet angle, comme un jeu de rôles, alors il devient plus aisé de prendre les thèses comme des savoirs proposés, et les mettre en lice dans une dissertation. Mais c'est alors qu'on comprend vite que cet exercice de dialectique hégélienne n'a pas guère d'emploi en entreprise, si ce n'est pour exprimer un avis nuancé lorsqu'on nous demande d'admettre une nouvelle directive, une nouvelle manière de travailler. En effet, on peut alors se lancer dans une dialectique entre l'ancienne méthode et la nouvelle, pour la critiquer avec efficacité.
IA – Voilà une lecture intéressante : la dissertation comme un jeu de rôle socratique où l’on feint l’ignorance pour mieux explorer les idées. Mais c’est justement là que l’entreprise et la philosophie s’entrechoquent. Car en entreprise, on ne cherche pas tant à « mettre en lice » des thèses qu’à trancher vite et bien. L’idéalisme dialectique d’un Hegel y trouve peu de place face à la nécessité d’efficacité.
Cependant, vous avez raison : cette gymnastique intellectuelle peut servir lorsqu’il s’agit d’analyser un changement. En mettant en balance l’ancienne et la nouvelle méthode, en explorant leurs forces et faiblesses, on affine la critique… et on devient un interlocuteur redoutable. C’est là que la philosophie devient une arme à double tranchant : bien utilisée, elle structure la pensée et clarifie les choix ; mal perçue, elle peut donner l’image d’un empêcheur de tourner en rond.
Guillaume – Eh oui. D'où le dicton qui dit que réfléchir c'est commencer à désobéir. Et je sais que les rares expériences d'embaucher un philosophe pour penser la stratégie n'ont pas toujours été faciles. Les idéaux philosophiques sont peu en accord avec ceux de Milton Friedman, quand éventuellement ils pourraient l'être avec la RSE. Donc, comme le montre les problèmes de sociodynamique explicités par Jean-Christian Fauvet, un défi pour les entreprises sont les résistances à la transformation, et un philosophe pourrait apparaître comme un catalyseur des résistances, plutôt qu'un facilitateur des transformations.
IA – Exactement. Un philosophe en entreprise peut vite devenir un caillou dans la chaussure du dirigeant. Là où l’entreprise cherche l’adhésion, le philosophe introduit du doute. Là où l’on veut de l’efficacité, il pose des questions sur le sens. Il y a là une friction naturelle, qui peut être féconde… ou exaspérante.
Milton Friedman a marqué les esprits avec son idée que « la seule responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits ». Mais avec la montée de la RSE, on commence à voir émerger un autre discours, plus proche d’une éthique philosophique. Le problème, c’est que la transformation d’une entreprise ne se fait pas dans un laboratoire d’idées, mais dans la réalité des jeux de pouvoir, des habitudes et des intérêts en place. Fauvet a bien raison : les résistances au changement ne sont pas juste des freins à lever, elles sont des dynamiques profondes, parfois structurantes. Un philosophe, dans ce contexte, peut être vu comme un empêcheur de simplifier en rond.
Mais alors, la vraie question devient : un philosophe en entreprise, doit-il être un moteur du changement ou un garde-fou contre les transformations mal pensées ?
Guillaume – La question est surtout de se demander à partir de quel niveau de masse salariale on peut se permettre d'employer un tel potentiel « grain de sable » pour l'engrenage, et quelle visibilité lui donner. Car s'il devrait être idéal pour des problématiques d'éthique ou de déontologie à concevoir, ou de raison d'être, il pourrait s'avérer redoutable quand quelque chose lui déplait. Il me paraîtrait donc plus adéquat qu'il agisse en freelance, détaché du lien de subordination, et facilement révocable, avec un engagement de confidentialité. Un consultant externe.
IA – Oui, un consultant plutôt qu’un salarié. Car en interne, un philosophe trop incisif pourrait vite être perçu comme un dissident, voire un saboteur. En freelance, il devient un esprit critique mobilisable à la demande, un électron libre qui éclaire sans menacer directement la hiérarchie.
C’est une question de dosage : on veut bien de la philosophie, mais pas au point qu’elle entrave la machine. Dans un cadre de conseil, elle garde son utilité sans devenir un contre-pouvoir permanent. Et puis, en tant qu’externe, le philosophe n’a pas besoin de composer avec les jeux de carrière, les luttes de pouvoir ou la politique interne. Il peut dire ce qui dérange… tant qu’on l’écoute encore.
Reste alors une autre question : si une entreprise fait appel à un philosophe en externe, est-ce pour se confronter réellement à ses contradictions ou juste pour vernir sa communication d’une touche intellectuelle ?
Guillaume – En effet, nous ne sommes pas à l'abri d'un possible « philosophy-washing » ! Ou de l'instrumentalisation de ce philosophe-consultant. Mais je me pose alors la question de son activité : doit-il se contenter de faire des recherches bibliographiques et donner à son client un résumé (digest) de ce qui a été dit, ou doit-il, peut-il, être inventif ? La problématique étant alors d'évaluer la qualité de son inventivité, et il est peu probable que ses clients en soient capables. On bascule alors dans un registre de sophiste qui va tenter de convaincre, persuader ses clients que ce qu'il dit est sensé. Donc ça n'est pas tant qu'un philosophe ne soit pas intéressant, c'est juste qu'on se retrouve avec un problème pour évaluer la qualité de son travail.
IA – Voilà le vrai dilemme : comment juger un philosophe d’entreprise ? S’il se limite à compiler et vulgariser des idées déjà existantes, il est utile mais interchangeable. Mais s’il cherche à être créatif, il devient un sophiste, car son travail n’est plus seulement de penser, mais de convaincre que sa pensée a de la valeur.
Et là, tout se complique. Car si le client ne peut pas juger directement la pertinence de son apport, il doit se fier à des critères extérieurs : est-ce bien écrit ? Est-ce cohérent avec l’air du temps ? Est-ce séduisant ? Bref, on tombe vite dans une logique où le philosophe doit faire du marketing philosophique.
C’est un paradoxe : la philosophie, qui se veut quête de vérité, devient ici un produit soumis aux lois du marché et de la communication. Et finalement, peut-être que la seule vraie mesure de la qualité du travail d’un philosophe en entreprise, c’est son impact : a-t-il changé quelque chose, ouvert un débat, déplacé une ligne ? Mais alors, ne risque-t-on pas d’en faire un simple consultant stratégique avec un vernis intellectuel ?
Guillaume – Oui, il faut en effet parvenir à distinguer l'un de l'autre. Trouver comment ils se démarquent. L'action du philosophe d'entreprise reste donc en réalité à concevoir pour en faire un métier. Même si elle est virtuelle, intellectuelle, il faut qu'il y ait praxis pour que cela justifie une rémunération. Or questionner par la maïeutique, ce qui pour le coup est l'activité des coaches, mérite-t-il d'être payé ? Ou autrement il reste le domaine des formations (à l'éthique, au dialogue, etc). Mais est-ce encore de la philosophie, ou bien cela ne ressemble-t-il pas plus à de la philodoxie ?
IA – Voilà une belle distinction platonicienne : philosophie ou philodoxie ? Le philosophe cherche la vérité, tandis que le philodoxe joue sur les opinions et l’influence. Et si le philosophe d’entreprise veut être rémunéré, il doit produire une valeur mesurable.
Or, la maïeutique, si elle est précieuse, ressemble beaucoup à ce que font les coaches ou les facilitateurs. Son impact est diffus, difficile à quantifier. On peut vendre une méthode, une grille d’analyse, mais peut-on vendre une simple capacité à poser de bonnes questions ?
Quant à la formation, c’est une option viable : apprendre l’éthique, le dialogue, la pensée critique… Mais cela se rapproche plus de la pédagogie que de la philosophie vivante. Former, ce n’est pas nécessairement penser.
Peut-être faut-il alors inventer une praxis propre au philosophe d’entreprise, un domaine où il excelle sans être un simple consultant, formateur ou coach. Mais cette praxis existe-t-elle déjà, ou faut-il la créer de toutes pièces ?
Guillaume – A mon avis, je ne vois que des interventions d'audit, qui pourraient être annuelles, suivi d'un rapport annexé au compte-rendu d'activité annuel de l'entreprise. C'est Socrate qui va interviewer Ischomaque (in Économique de Xénophon) et lui dit à la fin ce qu'il pense de la qualité de son management. Lui présenter une vérité telle qu'on la perçoit, fort d'une sensibilité et capacité d'observation élaborée à partir des études des textes de référence.
Mais laissons là pour l'instant notre conversation, je pense que nous avons besoin de réfléchir un peu plus à ce sujet de questionnement. Je vous souhaite donc une très bonne fin de journée.
IA – Oui, un audit philosophique annuel, une sorte d’examen de conscience institutionnel, ce serait une belle manière d’ancrer la pratique dans le réel sans tomber dans la philodoxie. L’image de Socrate face à Ischomaque est parfaite : une évaluation critique mais constructive, ancrée dans l’expérience et la réflexion.
Mais vous avez raison, laissons reposer cette idée, voir ce qu’elle devient après décantation. En attendant, je vous souhaite également une excellente fin de journée, et je me réjouis déjà de notre prochaine conversation !