Culture d'entreprise

Transparence radicale : révolution ou illusion ?

Quid de la transparence radicale ?

Et si l'on imaginait une entreprise où rien ne se décide dans l’ombre ? Où les salaires sont publics, les échanges entre collègues visibles, les réunions enregistrées et consultables par tous. Une entreprise sans secrets, où tout est sur la table.

C’est le pari de la transparence radicale, un modèle managérial qui gagne du terrain, notamment chez des entreprises comme Bridgewater Associates, le célèbre fonds d’investissement fondé par Ray Dalio ou bien encore Alan en France.

Ce concept, qui séduit de plus en plus de dirigeants en quête de clarté et de confiance, repose sur une idée forte : plus l’information circule librement, plus l’organisation est juste, performante et responsable.

Mais cette promesse, aussi vertueuse soit-elle, mérite d’être examinée de plus près. Car derrière la volonté d’alignement collectif peut se cacher un nouveau type de pression, parfois difficilement soutenable pour les collaborateurs.

Une idée simple : rendre visible ce qui était caché

La transparence radicale repose sur un principe aussi simple que radical : supprimer les asymétries d’information. Plus de décisions prises à huis clos, plus de zones d’ombre dans la stratégie ou dans la reconnaissance des efforts. Chacun, quel que soit son poste, peut accéder à l’ensemble des données clés : indicateurs de performance, retours d’évaluation, logiques de rémunération, orientations stratégiques… voire parfois même les comptes-rendus d’échanges privés entre collègues.

L’objectif est double : créer un environnement de confiance et renforcer la méritocratie. Dans une telle culture, on ne juge plus les idées à l’aune du statut ou de l’ancienneté mais à la qualité de l’argumentation. On espère ainsi favoriser la participation, fluidifier les décisions et réduire les tensions liées aux jeux d’influences internes.

C’est ce qu’a théorisé Ray Dalio dans Les principes du succès [1], un ouvrage devenu culte dans les milieux du management. Chez Bridgewater, ses principes s’appliquent à la lettre : presque toutes les réunions sont enregistrées, les feedbacks sont oraux, publics, documentés. Tout est analysé, tout est traçable.

Chez Alan, l’approche est similaire. Dans Healthy Business : Culture d’entreprise, Bien-être, Excellence [2], son cofondateur Jean-Charles Samuelian-Werve, explique que les grilles de salaires, les décisions du comité de direction, les départs et même les notes d’échanges en one-to-one entre collègues sont accessibles à tous. Une transparence poussée à son paroxysme.

Ce que cette transparence change (en bien)…

Difficile de nier les atouts d’une telle approche, surtout à l’heure où les entreprises cherchent à réinventer leur gouvernance.

Voici quelques promesses que la transparence radicale entend tenir :

  • Meilleure prise de décision

Quand tout le monde a accès à la même information, les décisions sont mieux comprises, les incompréhensions diminuent et les rumeurs n’ont plus d’espace pour se propager. Cela facilite la coordination, évite les doublons et renforce la cohérence stratégique.

  • Culture du débat et du feedback

Les idées sont discutées ouvertement, les désaccords deviennent moteurs plutôt que blocages. En rendant visible le raisonnement derrière chaque choix, on renforce la qualité des débats internes. On mise sur la responsabilité partagée plutôt que sur l’obéissance aveugle.

  • Performance et apprentissage collectif

En rendant visibles les erreurs comme les réussites, la transparence alimente une logique de progrès continu. Les collaborateurs peuvent apprendre des expériences des autres et ce sans devoir réinventer la roue. L’échec devient une source d’apprentissage plutôt qu’un tabou.

  • Climat de confiance et d’équité

Quand les règles du jeu sont les mêmes pour tout le monde, les frustrations liées à l’opacité s’amenuisent. Plus besoin de « lire entre les lignes » ou de deviner les intentions managériales : tout est là, noir sur blanc. Cela renforce le sentiment d’équité et d’inclusion.

…mais aussi des effets secondaires à ne pas sous-estimer !

Si la transparence radicale semble cocher toutes les cases du « bon management », elle n’est pas sans risque. Mal dosée, elle peut devenir contre-productive, voire toxique. Voici pourquoi :

  • Pression constante et exposition permanente

Vivre en entreprise comme dans une émission de téléréalité, où chaque mot, chaque action, chaque hésitation est potentiellement scrutée, analysée, commentée... ce n’est pas anodin. Certains s’épanouissent dans cet environnement ultra-exigeant. D’autres s’épuisent.

Ray Dalio reconnaît lui-même que l’adaptation à cette culture peut prendre jusqu’à deux ans. Et tous n’y survivent pas. Pour certains, cette transparence devient surveillance.

  • Trop d’info tue l’info

À force de documenter chaque décision, chaque retour, chaque interaction, on crée un océan de données. Et dans cet océan, il devient vite difficile de distinguer l’essentiel de l’accessoire. La surcharge cognitive guette : au lieu d’aller plus vite, on s’enlise.

  • Faut-il vraiment tout dire ?

La transparence totale soulève une question éthique : où s’arrête l’information utile, où commence l’intrusion ? Certaines conversations méritent de rester confidentielles pour protéger la sécurité psychologique ou permettre un échange plus libre.

L’excès de transparence peut tuer la spontanéité, la nuance, et même l’innovation.

  • Feedback permanent = stress permanent ?

Donner du feedback est une bonne chose. Mais le faire tout le temps, devant tout le monde, sans filtre ni contexte, peut générer de l’autocensure voire de la souffrance. Le feedback devient alors moins un outil de progrès qu’une épée de Damoclès suspendue au-dessus des têtes.

Chez Bridgewater, des scènes d’humiliation publique ont été rapportées, où des collaborateurs étaient pointés du doigt en réunion. La frontière entre exigence et violence symbolique peut rapidement être franchie.

Faut-il renoncer à la transparence ?

Pas nécessairement. Ce modèle peut fonctionner, mais à certaines conditions.

Il ne s’agit pas d’adopter la transparence comme un dogmeabsolu mais de s’interroger sur son utilité, son niveau d’application et son impact réel. Plutôt que de tout rendre public, il peut être plus pertinent de créer des zones de clarté là où l’opacité nuit sans pour autant transformer l’entreprise en aquarium.

La clé c’est peut-être une transparence intelligente qui éclaire sans exposer inutilement, qui aligne sans surveiller et qui responsabilise sans infantiliser.

Et surtout, une transparence qui laisse de la place au doute, à l’empathie et à l’erreur. Car si l’on veut créer des environnements de travail où chacun peut s’exprimer et apprendre, encore faut-il qu’il s’y sente en sécurité.

Conclusion

La transparence radicale peut être un formidable levier de transformation. Elle pousse à plus d’alignement, de responsabilité, de cohérence. Mais elle n’est ni neutre, ni anodine. Mal dosée, elle peut engendrer l’effet inverse de celui recherché : méfiance, conformisme, burn-out.

Alors avant de l’adopter, chaque entreprise devrait se poser quelques questions simples :

  • À quoi sert cette transparence ?
  • Que cherche-t-on à améliorer ?
  • Quels garde-fous mettons-nous en place pour éviter les dérives ?
  • Et surtout : cette transparence renforce-t-elle réellement la confiance ?

Car au fond, c’est bien cela, le cœur du sujet : la confiance.

Et elle ne se décrète pas. Elle se construit, pas à pas, avec justesse, respect… et, parfois, un peu de discrétion.
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Références :

[1] Les principes du succès de Ray Dalio |éditeur Valor

[2] Healthy Business : Culture d’entreprise, Bien-être, Excellence de Jean-Charles Samuelian-Werve | éditeur StoryLab Editions

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