Management et leadership en entreprise

L’important…

Le mattering

En ce temps des séminaires de l’encadrement, une entreprise réunit la communauté des managers pour un bilan d’étape, un partage des perspectives et tout simplement un moment de convivialité bien mérité. Le DG sacrifie aux traditionnels mots de bienvenue avant de dire sa joie d’accueillir un monsieur qui se lève avec quelque difficulté à l’annonce de son nom. Après la sidération de cette annonce c’est un tonnerre d’applaudissements et une standing ovation qui ne semble pouvoir s’arrêter ; le monsieur peine à cacher son émotion en tournant difficilement la tête vers l’assemblée. Qui est ce monsieur ? C’est l’ancien directeur de la logistique victime d’un AVC un samedi à son domicile, il y a quelques mois. Vivant seul, ses collègues s’inquiètent le lundi suivant de ne pas le voir au bureau ; les secours le trouvent allongé dans son appartement, inconscient. Après de longs mois de rééducation, le monsieur a pu récupérer un peu la parole et même une certaine motricité à l’aide d’un déambulateur.

Histoire banale ? Evidemment du fait de la pauvreté du style mais, pour avoir participé à un si grand nombre d’événements de ce genre, l’intensité et l’authenticité de l’émotion était anormalement intense à ce moment d’une convention, quand la salle n’a pas encore été « chauffée » par le talentueux animateur. Le directeur général m’expliquera que ce monsieur vit seul, sans famille proche ; son établissement de soin est à deux cents kilomètres du siège de l’entreprise mais un tour a été mis en place pour que chaque weekend un cadre de l’entreprise fasse le déplacement pour lui rendre les seules visites dont il pourra bénéficier.

Pourquoi cette anecdote ? Certains y verront une bonne pratique managériale, celle du dirigeant capable de mettre en valeur une personne à un moment de grande attention lors d’un événement où tout le monde est réuni ; je ne doute pas que beaucoup sauront mettre sur leur smartphone les alertes nécessaires pour ne pas oublier la prochaine fois. L’histoire en surprendra d’autres pour la réaction unanime de l’assemblée qui se lève et applaudit longuement : en effet il ne suffit pas de nommer quelqu’un, encore faut-il que l’assemblée réagisse. Certains enfin, comme l’ont noté l’observateur extérieur et l’animateur de la convention, se souviendront longtemps de l’intensité et de la sincérité du moment : ce geste signifiait quelque chose pour chacun et cela ne se décrète pas. Nul doute que la personne affaiblie mise en valeur ce jour-là se soit sentie importante et cela met en valeur une nécessité dans les organisations, celle de permettre à chacune et chacun de se sentir important : il semble que cette vieille idée ait reçu un nouveau nom, le « mattering »[1] : en fait « People Matter », et il serait temps de leur faire savoir ; chacun aura pris la mesure de la découverte.

Evidemment, pour l’auteur de l’article, des salariés qui se sentent importants contribuent à plus de performance pour l’entreprise tout en étant plus heureux et engagés. Les spécialistes du commerce le savent depuis longtemps comme les lecteurs de La Fontaine d’ailleurs mais, concrètement, la question se pose de savoir ce qui permet aux personnes de se sentir importantes.

C’est tout d’abord le sentiment de faire quelque chose. Même si ce n’est pas « managérialement correct » de le dire, nous avons tous rencontré des collègues qui ne faisaient pas grand-chose, des paresseux ou des tire-au-flanc ; certains font même semblant d’en tirer une certaine gloire, celle d’avoir bien trompé leur employeur. Ce ne sont pas les cas les plus fréquents et cette attitude disparaît souvent quand la personne se rend compte qu’elle contribue à quelque chose. Si les « bullshit jobs » ont été très à la mode (des jobs qui ne serviraient à rien), je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas : le plus souvent ces jobs sont réels (même si on peut en critiquer l’utilité) mais les titulaires ne la perçoivent même pas l’utilité de ce qu’ils font. Il est important de faire, de voir ce que l’on fait, de savoir à quoi cela participe, même si les personnes n’en ont parfois pas grand-chose à faire.

« Faire » ne renvoie pas seulement à une utilité, mais aussi à une image de soi et de ses capacités. Si je fais, c’est que je suis capable de quelque chose. Que chacun se souvienne de son premier stage ou premier travail, de l’angoisse de l’embauche mais de la grande satisfaction éprouvée à la rencontre du premier résultat : au temps où les entreprises géraient leurs ressources humaines dans une perspective de long terme, le souci premier était de montrer à de jeunes arrivants qu’ils étaient … capables.

Être capable de faire, c’est bien mais encore faut-il que quelqu’un s’en aperçoive, que ce soit reconnu. Se sentir important renvoie à une démarche personnelle mais comme l’amour, il vaut toujours mieux en avoir des preuves. On découvre souvent son importance quand des tiers le reconnaissent de la manière la plus concrète qui soit.

Enfin, on se sent d’autant plus important que les actions reconnues ont de la valeur, quand on prend conscience du bien produit par ses actions, quand celles-ci contribuent à une sorte de bien commun auquel on accorde de la valeur. 

Se sentir important correspond à un besoin universel et permanent et ce n’est pas toujours perçu, pas toujours expérimenté. Tout le monde a besoin de se sentir important même si le moyen de l’être varie beaucoup selon les personnes. Faire en sorte que les personnes se sentent importantes, demande donc de la finesse et une bonne compréhension de la personnalité de chacun. Mais pour y parvenir trois idées peuvent nous guider. On peut vouloir se sentir important afin de se regarder dans la glace avec plus de satisfaction : la démarche est alors personnelle, elle permet à chacun, dans ce qu’il vit, de se rapprocher le plus possible de son image idéale. On peut aussi vouloir se sentir important auprès de ceux qui comptent pour soi, le plus souvent un entourage familial ou amical. A quoi sert le travail s’il ne permet même pas d’exister plus auprès de ceux qui comptent pour soi ? Voilà la question que devrait se poser chaque manager : ses collaborateurs ont-ils gagné dans leur journée de quoi exister plus auprès de leur entourage ? Ce serait plus utile que de se demander s’ils sont satisfaits. Le troisième niveau, c’est de se sentir important auprès de ceux avec qui on travaille : est-ce que la contribution à cet accomplissement commun est réellement mis en valeur ?

Alors pourquoi, dans le travail, ne met-on pas suffisamment en évidence combien les personnes sont importantes ? Pourquoi la standing ovation pour ce collègue affaibli touche-t-elle autant par son originalité et son authenticité ? Pourquoi ce besoin de se sentir important, tellement évident, est-il si peu satisfait ? Pourquoi beaucoup doivent-ils attendre la retraite ou le chômage pour constater combien leur activité passée satisfaisait ce besoin sans qu’ils s’en rendent compte ? Quatre raisons majeures peuvent être dégagées.

La première raison, c’est que, quels que soient les codes sémantiques humanistes à bon marché, nous sommes foncièrement bureaucrates ; les managers pensent le plus souvent qu’il est tout simplement normal de faire le job pour lequel on est payé et, d’ailleurs, les organisateurs ont prévu la meilleure façon de faire à laquelle il suffit de se conformer. En poussant le bouchon un peu plus loin, les personnes sont-elles d’ailleurs vraiment importantes, le sont-elles plus que la qualité de nos organisations, de nos processus ou algorithmes ?

La deuxième raison, c’est que certains croient le faire. Ils sont persuadés de montrer à l’autre son importance à coup d’« émoticônes », de remerciements creux puisque systématiques, de formules galvaudées à force d’être utilisés en toute circonstance et pour toute personne. Ces codes de langage largement utilisés ont même un effet délétère quand le langage corporel ne confirme pas et, a fortiori, quand les décisions RH ne suivent pas.

La troisième raison, c’est que si les personnes apprécient de se sentir importantes, elles ne le demandent pas forcément : d’ailleurs pourquoi le demander si on n’a jamais goûté. Cette situation n’est pas improbable dans un état des mœurs où beaucoup vivent leur existence de manière solitaire en se considérant le début et la fin de ce qui leur arrive et en n’attendant surtout de personne une reconnaissance quelconque qui serait interprétée comme une pression. Quand s’exprime la peur de s’engager, on n’imagine pas une satisfaction dans une reconnaissance qui dépendrait d’un autre que soi.

La quatrième raison sur laquelle on n’insiste pas assez, c’est qu’il est difficile de permettre aux autres de se sentir important, de les reconnaître ; les bonnes intentions ne suffisent pas, il faut savoir quoi reconnaître, comment le dire avec l’authenticité nécessaire. Le plus souvent on n’y arrive déjà pas chez soi, il n’y a pas de raison pour que ce soit plus facile dans le travail.

Alors que faire ? L’auteur de l’article évoqué rappelle une évidence : cela se joue dans des relations entre personnes. Comme pour un cadeau, ce qui en fait le prix est moins la valeur de l’objet que l’identité du donateur et le contexte de la relation dans le cadre de laquelle il le fait. Aider les autres à se sentir importants, cela passe donc par la qualité des relations donc par l’investissement personnel dans cette relation. Cela ne se joue donc pas dans des procédures complexes de reconnaissance ni dans des programmes de marketing social packagés, qu’ils soient floqués de l’étiquette de diversité, d’égalité, de bienveillance ou d’inclusion. Ces programmes n’ont de pertinence que si la qualité des relations va avec et cela ne dépend pas de la sophistication technocratique des programmes en question mais de la qualité des relations que chacun travaille à établir et à entretenir.

Aider chacun à se sentir important est donc l’affaire de chacun, ce ne peut pas être délégué aux RH, aux coachs ou aux programmes packagés qui institueraient la reconnaissance et, comme souvent, la vertu est comme les asperges, cela se commence par la tête.
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[1] Mercurio, Z. The power of mattering at work – Harvard Business Review, May-June 2025

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