Culture d'entreprise

Prendre le temps du changement

Le temps du changement

Petit manuel d’une transformation réussie (2)

Introduction

Dans cet article, je voudrais partager avec vous la notion du temps logique, qui n’est pas notre temps chronologique ni celui du projet, et les mécanismes du « deuil symbolique » nécessaire à notre appareil psychique pour accepter et intégrer le changement !

Il est évident pour chacun d’entre nous que nous vivons dans un temps linéaire, homogène, quantifiable, découpé en unités égales (secondes, minutes, heures, jours, etc.) : le temps chronologique. D’ailleurs, depuis le grand Marx, celui-ci est l’unité de coût utilisée dans la sphère économique, sorte d’équivalent monétaire universel propice à l’échange généralisé. Mais, il existe un autre temps, propre à la pensée, à l’inconscient, à la subjectivité. Ce n’est pas un temps linéaire ou mesurable, mais plutôt un temps qualitatif, structuré par les significations, les décisions, les événements psychiques. C’est un temps logique[1] qui renvoie directement aux phénomènes psychiques d’intégration de données nouvelles. 

Voyons ses caractéristiques :

  • Il ne suit pas l’ordre linéaire des horloges.
  • Un moment peut être rétrospectivement décisif : on ne sait qu’après coup qu’il a été crucial.
  • Les événements peuvent être simultanés, suspendus ou réactivés (par exemple, un traumatisme d’enfance qui ressurgit 20 ans plus tard).
  • Il dépend du désir, du manque, de la construction du sujet.

Qui sont bien différentes du temps chronologique, lequel :

  • Suit une logique de succession (avant / pendant / après).
  • Est objectivable : on peut le mesurer, le compter, le planifier.
  • Il est indispensable au travail, à la productivité, aux échanges économiques.
  • Il est externe au sujet : c’est le temps de la société, pas celui de l’intimité psychique.

À la lumière de ces différences, la résistance au changement prend une autre dimension, puisqu’on intuite alors que celle-ci trouve son origine dans la mise en tension de l’antagonisme entre le temps chronologique, réel, et le temps logique, culturel. Prenons un exemple pour clarifier tout ça : « Selon la feuille de route du CoDir, le déploiement du projet doit être finalisé avant le 30 juin ! » Injonction du temps chronologique, qui ne tient pas compte de l’état psychique des équipes à la manœuvre ou de ceux qui seront impactés directement par ce nouveau projet.

En même temps, (je n’ai pas pu résister), on ne peut pas tout charger sur le dos de la culture en la considérant, classiquement, comme un frein inexorable au changement. Sans aucun doute, en porte-t-elle sa part, notamment lorsque ses fondamentaux sont contrariés par le projet, principalement lorsque celui-ci s’oppose à ses interdits. Or, c’est avant tout parce que le temps nécessaire à son adaptation s’opère exclusivement sous l’égide du temps logique. Le temps chronologique n’est pas pertinent, et même, d’une certaine manière, on peut dire qu’il joue contre son propre camp puisqu’il est irréductible.

Le temps nécessaire au changement

Dans un projet de transformation : changement d’organisation, fusion, acquisition, digitalisation, restructuration, etc., l’entreprise fonctionne selon un temps chronologique :

  • Des deadlines, des phases (audit → plan → mise en œuvre → bilan).
  • Des indicateurs de performance.
  • Un pilotage par objectifs.
  • Une communication rationnelle et planifiée.

Voici, malgré toute la bonne volonté des promoteurs du projet, que les résistances au changement surgissent, précisément, nous l’avons expliqué, parce que les individus n’évoluent pas au rythme de la structure. Le temps logique des salariés, des managers, des collectifs suit une série d’étapes nécessaires à notre appareil psychique pour s’adapter. Celui-ci fonctionne par programmation/déprogrammation et non par accumulation de nouvelles compétences comme le sont les mises à jour logicielles sur nos téléphones ou ordinateurs. Dit autrement, il nous faut d’abord désapprendre ce que nous tenions pour acquit afin d’intégrer les nouveaux paramètres culturels !

Tout changement est vécu comme une crise engageant une séquence ‘logique’ qui passe par plusieurs phases, non-linéaires (la possibilité de revenir à l’étape précédente existe), non-chronologiques, qui passe par le déni, la colère, l’expérimentation et l’intégration.

La roue du changement

LA ROUE DU CHANGEMENT : Les étapes de l’appareil psychique pour traiter les données d’une nouvelle réalité culturelle. Ce cycle ne se déroule pas selon un temps linéaire, chronométrique, car il obéit à des séquences psychiques de nature différentes : l’instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure. Ce schéma est important pour comprendre le processus de déprogrammation et de reprogrammation nécessaire à tout changement.

L’instant de voir ou le temps de la subjectivation

C’est une séquence d’alerte, le corps social perçoit que quelque chose à changer et que ses modes de réponse ne sont plus adaptés. L’instant de voir condense à la fois l’alerte et l’intuition de la solution. Pour autant, comprendre un changement, ce n’est pas simplement intégrer une information.

C’est reconfigurer ses repères, ses valeurs, parfois son identité professionnelle.

Cela prend du temps psychique, souvent imprévisible.

Le temps pour comprendre

Il opère dans une sorte de temps suspendu, dont la formule pourrait être « il faut donner du temps au temps ». Cette suspension temporelle est nécessaire pour la reprogrammation hors de la contrainte chronologique, car elle échappe à la conscience pendant toute la durée de son fonctionnement, dont on saura qu’elle a eut lieu lorsque se déclenchera le moment de conclure, dernière phase du temps logique.

Le moment de conclure

Dernière phase du temps logique, il conclue l’évolution adaptative. Entre le temps pour comprendre et le moment de conclure, les membres du corps social auront parcouru les différentes étapes du cycle du deuil que les psychologues (cf. Elisabeth Kübler-Ross) décrivent lorsqu’il s’agit d’une perte affective.

Dans notre propos, toute transformation suppose la perte de quelque chose : un statut, des habitudes, un collectif, un savoir-faire, appelant un processus de deuil : déni, colère, marchandage, tristesse, acceptation.

Collectivement, ces différentes étapes du deuil se manifestent sous la forme de psychodrames qui mettent en scène, dans les premiers moments, les craintes imaginaires du corps social. Ces craintes inconscientes sont liées à des représentations du pouvoir, de la sécurité que dispensait l’ancienne organisation, de la reconnaissance, de la légitimité de sa fonction et sa bonne place au sein du collectif. Et, puisque ce sont des affects bloqués, ils peuvent s’exprimer par le sabotage, l’inertie, la plainte ou le cynisme.

Prenons un exemple : Ce salarié qui refuse la nouvelle méthode « agile » ne le fait pas parce qu’elle est mauvaise, mais parce qu’elle réactive chez lui une angoisse d’abandon ou de contrôle.

Le management du changement néglige souvent ce travail de deuil, voulant aller directement à l’adhésion, avec l’espoir de respecter les contraintes du temps chronologique, celui du projet !

En résumé

Pour qu’un projet réussisse, il faut articuler les deux temps :

  • Reconnaître le temps logique :
  • Créer des espaces d’élaboration subjective (groupes de parole, entretiens, médiation).
  • Respecter des paliers de transformation symbolique, pas seulement fonctionnelle.
  • Laisser place au négatif (résistance = signe de vie psychique, pas un défaut).
  • Adapter le temps chronologique :
  • Ne pas caler tout le changement sur un calendrier rigide.
  • Intégrer des boucles de feedback humain (pas seulement des KPI).
  • Concevoir des temps symboliques de passage (rituels, reconnaissance des pertes, cérémonies de clôture).

En conclusion :

Un changement durable ne se décrète pas, il se traverse. Il faut tenir compte :

  • Du temps de l’appropriation individuelle.
  • Du temps collectif de recomposition des repères.
  • Et du temps social et symbolique que toute transformation implique.

… Sans oublier de traiter les résistances au filtre des différents registres psychiques que nous avons décrit dans l’article précédent.

Dans l’article du mois prochain, j’aborderai avec vous les valeurs et la raison d’être.
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[1] Concept important en psychanalyse, notamment chez Jacques Lacan.

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