GPS de l’espoir : recalculez vos itinéraires managériaux

Sur la route, quand un chemin se bloque, certains s’énervent, d’autres abandonnent et font demi-tour, d'autres encore attendent que la voie se libère. Le GPS de l’espoir, lui, recalcule immédiatement l’itinéraire.
En psychologie, l’espoir, c’est cet ajustement intérieur qui nous empêche de rester figés au carrefour. Cette ressource souvent invisible a été étudiée de près par Charles R. Snyder, professeur à l’Université du Kansas et pionnier de la psychologie positive. Il démontre dans The Psychology of Hope que les personnes « pleines d’espoir » partagent trois atouts :
- Se donner des buts clairs ;
- Croire sa capacité d’agir ;
- Trouver d'autres chemins quand un premier se ferme.
Bref, l’espoir, ce n’est pas attendre que ça aille mieux. C’est avancer, même quand le terrain se complique.
Snyder montre aussi que l’espoir n’est pas seulement un trait de caractère : c’est une compétence qui peut se mesurer, se cultiver, et se renforcer. Snyder identifie aussi ce qui l’érode en milieu professionnel : négligence managériale, objectifs irréalistes, ou absence de perspectives concrètes. Autrement dit, l’espoir n’est pas une pensée magique. Loin des slogans, c’est une stratégie de motivation à la fois pragmatique, humaine et accessible à tous.
La théorie de l’espoir face aux enjeux cruciaux : engagement, adaptation, prévention des RPS
C'est une évidence : le monde du travail est tout sauf stable. Réorganisations, imprévus, pressions multiples… Les collaborateurs avancent souvent sur un sol mouvant.
Dans ce contexte, l’espoir agit comme une fenêtre ouverte vers un horizon désirable et accessible.
Il nourrit la persévérance, stimule la créativité, et entretient le sentiment de compétence. À l’inverse, quand l’espoir s’effrite, l’épuisement professionnel pointe le bout de son vilain nez.
C’est pourquoi la théorie de l’espoir est un outil de prévention primaire des risques psychosociaux. Elle agit en amont, avant que le stress ne s’installe, en redonnant aux individus une marge d’action et de choix.
Concrètement, elle trouve sa place dans la qualité de vie au travail, dans les accompagnements au changement, et jusque dans les formations managériales.
Et quand il s’agit de redonner de l’air et des leviers d’action, on salue ses 3 plus grands points forts :
1. Une ressource psychologique activable
L’espoir est un état cognitif mobilisable, qui repose sur deux forces mentales :
- Agency thinking : la croyance en sa propre capacité à agir pour atteindre ses objectifs et la volonté de le faire.
- Pathways thinking : la capacité à identifier plusieurs voies pour y parvenir, même en cas d’obstacle.
2. Un antidote à la démobilisation en contexte incertain
Dans des environnements VUCA (volatils, incertains, complexes, ambigus), l’espoir agit comme facteur protecteur contre la démotivation, le désengagement ou l’absentéisme. Il soutient la capacité d’adaptation individuelle et collective.
3. Un levier de prévention des RPS
Le manque d’espoir (ou "désespoir cognitif") est corrélé à des états de stress chronique, de burn-out ou de dépression professionnelle. Travailler l’espoir, c’est renforcer la prévention primaire des RPS via une culture organisationnelle centrée sur la capacité d’agir plutôt que la plainte.
L’espoir devient ici une ressource psychologique collective, à intégrer dans les pratiques managériales et les formations QVCT.
Espoir et optimisme : ne pas mélanger torchons et serviettes
L’optimisme et le pessimisme désignent des attitudes générales envers le futur. On parle de dispositions émotionnelles, parfois irrationnelle, qui reposent davantage sur des croyances que sur des actions concrètes.
Selon le psychologue Martin Seligman, ces attitudes s’enracinent dans notre manière d’expliquer les événements : il parle de styles explicatifs, des schémas mentaux récurrents pour interpréter le succès ou l’échec, à travers trois axes :
- Permanence (temporaire ou durable):
« C’est comme ça, et il n’y a pas de raison que ça change. » Vs "C’est temporaire, ça va passer".
➤ L’événement est perçu comme passager ou au contraire figé dans le temps. - Globalité (circonstancié ou généralisé):
« Je rate toujours tout, dans tous les domaines. » vs « J’ai raté ce dossier, mais ça ne remet pas tout en cause. »
➤ L’événement est limité à un domaine précis ou généralisé à l’ensemble de la personne.
- Personnalisation (cause interne ou externe):
« Cette réussite, c’est grâce à moi » Vs « Nous avons eu de la chance » ou « Cet échec, c’est entièrement ma faute ». Vs « C’était un contexte difficile, ça n’était pas que de ma responsabilité. »
➤ L’individu attribue les causes soit à lui-même soit à des facteurs extérieurs.
À l’inverse, l’espoir, tel que défini par C. R. Snyder, repose sur une logique d’action. C’est une dynamique cognitive orientée vers l’action. Espérer, c’est se fixer un objectif, vouloir l’atteindre, planifier des voies pour y parvenir, et s’adapter en cas d’obstacle. Autrement dit, l’espoir mobilise des ressources concrètes : il se pense, se construit et se déploie.
C’est précisément cette dimension active qui rend l’espoir si précieux au travail : il ne s’agit pas de croire que tout ira bien, mais de construire les moyens pour que cela aille mieux.
Quand l'espoir se marie avec l'efficacité personnelle, l'autodétermination et la résilience
Dès 1977, Albert Bandura introduit le concept de sentiment d’efficacité personnelle (self-efficacy) : la confiance qu’un individu place dans sa capacité à réussir une action. Ce sentiment agit comme un moteur central de la motivation et de la persévérance.
Puis en 1985, Edward Deci et Richard Ryan, avec leur théorie de l’autodétermination, montrent que l’espoir est également favorisé lorsque trois besoins psychologiques fondamentaux sont satisfaits : l’autonomie, la compétenceetle lien social.
Ces deux concepts viennent renforcer la composante “agency” de l’espoir selon Snyder : plus un collaborateur se sent compétent et autonome, plus il est enclin à s’engager, persévérer et s’adapter, même face à l’incertitude.
Pour les RH, cela implique de créer des environnements favorables à l’efficacité perçue : reconnaissance, accompagnement, formation, latitude décisionnelle…
Enfin, dans le champ de la psychologie de la résilience, l’espoir joue également un rôle central : il soutient la capacité à rebondir après une épreuve professionnelle, en aidant l’individu à se projeter de nouveau vers un avenir possible.
Comment nourrir l’espoir dans les pratiques RH et managériales ?
- Clarifier les buts (Goals)
L’espoir se construit d’abord sur des objectifs clairs et atteignables. Sans cap clair, impossible d’espérer avancer. Fixez un cap, même "minus", et l’énergie revient.
Un objectif devient mobilisateur lorsqu’il est précis et mesurable. Par exemple : au lieu de dire « Améliorez la satisfaction client », formuler « Réduisons de 10 % les délais de réponse aux clients d’ici trois mois ». Cette précision donne une direction claire et motive l’équipe.
- Renforcer la volonté d’agir (Agency thinking)
L’agency repose sur la croyance que nos actions comptent et peuvent faire la différence. Elle est le socle de la motivation intrinsèque et de la confiance en soi.
Pour nourrir ce sentiment, un manager peut confier des missions progressives qui apportent des réussites rapides. Exemple : déléguer un dossier simple en autonomie avant un projet plus complexe. Ces petites victoires renforcent la confiance et stimulent l’élan d’action.
- Collaborateur : « Je ne me sens pas capable de gérer ce projet, c’est trop lourd.»
- Manager : « D’accord, alors commençons plus petit. Qu’aimerais-tu tester en premier ?» (Ou : « Sur quelle partie du dossier voudrais-tu prendre la main en autonomie ? »)
Ce type de questions ouvertes aide le collaborateur à choisir son point d’entrée, à vivre une première réussite et à renforcer sa confiance, dans la droite ligne des trois besoins psychologiques de base de la théorie de l'autodétermination. (Retrouvez d’autres formulations prêtes à l’emploi dans mon livret de questions ouvertes pour managers.)
- Développer la capacité à imaginer des alternatives (Pathways thinking)
Face aux obstacles, l’espoir se nourrit de la conviction qu’il existe toujours plusieurs voies possibles.
Lorsqu’une piste se ferme, encourager l’équipe à générer d’autres options change la dynamique. Exemple : un client refuse une première proposition ? Demander « Quelles autres solutions pourrions-nous envisager ? » et explorer deux ou trois alternatives ensemble. Le blocage devient alors tremplin vers l’innovation.
- Collaborateur : « Le client a dit non, on n’a plus de solution. »
- Manager : « D’accord, cette piste est fermée. Mais quelles deux autres options pourrait-on tester ? Même si elles semblent imparfaites. »
Résultat : le coup de frein devient une rampe de lancement, l’équipe retrouve du mouvement et de la créativité. Mais attention ! Veillez bien à rester dans des questions ouvertes et pas des questions fermées qui renvoient les collaborateurs dans les cordes, comme « Effectivement, le client a dit non, mais tu veux bien reprendre ce dossier et réfléchir à une autre idée ? »
- Soutenir les besoins psychologiques fondamentaux (TAD)
L’autodétermination et ses trois besoins de base (autonomie, compétence, lien social), est le terreau de l’espoir durable. Ces trois besoins constituent le socle sur lequel l’espoir peut s’ancrer durablement.
Donner une marge de manœuvre sur la méthode (autonomie), proposer des défis adaptés avec formation (compétence), et cultiver des moments de reconnaissance (lien social) : ces gestes managériaux quotidiens nourrissent la confiance et l’envie de persévérer.
- Repérer les signaux de perte d’espoir
Le désengagement ou le fatalisme sont souvent des symptômes précoces d’un espoir qui s’érode. Ces signaux faibles, s’ils sont ignorés, peuvent précéder une démobilisation plus profonde ou un retrait psychologique.
Un rituel de parole peut aider à prévenir l’usure. Exemple : instaurer chaque mois un temps d’échange où chacun exprime ses difficultés et propose des pistes d’amélioration. Cet espace de parole agit comme un capteur précoce de démobilisation, et un levier pour raviver l’énergie collective.
Vers une culture organisationnelle de l’espoir
Intégrer la théorie de l’espoir dans les politiques RH, ce n’est pas ajouter une nouvelle mode managériale. C’est réintroduire une vision humaine, proactive et scientifique de la motivation au travail. Une entreprise qui cultive l’espoir investit dans la capacité d’agir de ses collaborateurs, dans leur santé mentale et dans leur avenir commun.
Dès demain, dans votre réunion d’équipe, commencez par un tour de table des petites avancées. Vous verrez : ce simple rituel rallume l’énergie collective.