analyse
Compte personnel de formation : Les financeurs peuvent "flécher" leurs dotations supplémentaires
Le salarié titulaire d'un compte personnel de formation (CPF) reste le seul à décider de l'utilisation des fonds acquis au titre de ce compte. Il peut aussi solliciter d'autres financeurs, comme l'employeur, pour compléter sa dotation en vue d'une formation dont le coût serait supérieur au montant des droits inscrits sur son compte. Ces mêmes financeurs peuvent alimenter le CPF et, depuis le 17 avril 2025, avec davantage de visibilité sur l'utilisation de leur dotation.
Un décret[1] du 14 avril 2025 permet aux financeurs du CPF, à l'exception du titulaire lui-même, de réserver la dotation supplémentaire venant s'ajouter aux droits CPF de l'individu, à certaines formations. Ce décret vise à développer le co-financement des entreprises pour des formations délivrées via le CPF. Après un bref rappel sur les modalités d'alimentation du compte personnel de formation, je vous propose de découvrir ces modalités d'abondement.
Rappel sur les conditions d’alimentation du CPF
Le compte personnel de formation est alimenté en euros au titre de chaque année et, le cas échéant, par des abondements en droits complémentaires[2].
Alimentation : cas général
Le compte personnel de formation du salarié ayant effectué une durée de travail supérieure ou égale à la moitié de la durée légale ou conventionnelle de travail sur l'ensemble de l'année est alimenté à hauteur de 500 euros au titre de cette année, dans la limite d'un plafond total de 5 000 euros[3].
Pour les salariés dont la durée de travail à temps plein est fixée en application d'un accord collectif d'entreprise ou de branche, le nombre d'heures de travail de référence pour le calcul de l'alimentation du compte personnel de formation est égal à la durée conventionnelle de travail.
Pour les salariés dont la durée de travail à temps plein n'est pas fixée en application d'un accord collectif d'entreprise ou de branche, le nombre d'heures de travail de référence pour le calcul de l'alimentation du compte personnel de formation est égal à 1 607 heures.
Aussi, l'absence du salarié pour un congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant, d'adoption, de présence parentale, de proche aidant ou un congé parental d'éducation ou pour une maladie professionnelle ou un accident du travail est intégralement prise en compte pour le calcul de la durée du travail pour l'acquisition de droits à CPF[4].
Le calcul des droits des salariés est effectué par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) au moyen des données issues de la déclaration sociale nominative[5] (DSN) des employeurs afin de procéder à l'alimentation de leurs comptes personnels de formation.
Cas particuliers
Certaines situations, au regard de la durée du travail ou du statut du salarié, par exemple, appellent quelques ajustements.
Un calcul au prorata va concerner les droits CPF du salarié dont la durée de travail a été inférieure à la moitié de la durée légale ou conventionnelle de travail sur l'ensemble de l'année. Dans ce cas, les droits sont proratisés en fonction de la durée de travail effectuée.
Lorsque le calcul de ces droits aboutit à un montant en euros comportant des décimales, ce montant est arrondi à la deuxième décimale, au centime d'euro supérieur.
A noter que le plafond maximal d’acquisition des droits n’est pas proratisé et reste de 5 000 Euros.
Pour les salariés dont la durée de travail est décomptée en jours dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours, le nombre de jours de travail de référence pour le calcul de l'alimentation du compte personnel de formation est égal au nombre de jours compris dans le forfait tel que fixé par l'accord collectif instaurant le forfait annuel, dans la limite de 218 jours.
Pour les salariés dont la rémunération n'est pas établie en fonction d'un horaire de travail, le montant de référence pour le calcul de l'alimentation du compte personnel de formation est fixé à 2 080 fois le montant du salaire minimum horaire de croissance.
L'alimentation du compte de ces salariés est calculée au prorata du rapport entre la rémunération effectivement perçue et le montant de référence mentionné ci-dessus.
Concernant les saisonniers, un accord ou une décision unilatérale[6] de l'employeur peut octroyer des droits majorés.
Le salarié peu qualifié bénéficie de droits CPF majorés. Il s'agit du salarié qui n'a pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme classé au niveau 3, un titre professionnel enregistré et classé au niveau 3 du répertoire national des certifications professionnelles ou une certification reconnue par une convention collective nationale de branche.
Pour ce salarié dit "peu qualifié" ayant effectué une durée de travail supérieure ou égale à la moitié de la durée légale ou conventionnelle de travail sur l'ensemble de l'année, l'alimentation du compte se fait à hauteur[7] de 800 euros, dans la limite d'un plafond de 8 000 euros[8]. En cas de travail à temps partiel inférieur à un mi-temps, les droits acquis chaque année doivent être proratisés, conformément aux règles de droit commun.
Afin de bénéficier de cette majoration, le salarié déclare remplir les conditions en termes de qualification par l'intermédiaire du service dématérialisé[9] du CPF. Cette déclaration peut être effectuée, à sa demande et selon les mêmes modalités, par son conseiller en évolution professionnelle. La majoration est effective à compter de l'alimentation du compte effectuée au titre de l'année au cours de laquelle cette déclaration est intervenue.
Le salarié qui ne remplit plus les conditions en termes de qualification le déclare par l'intermédiaire du service dématérialisé du CPF. Il cesse de bénéficier des majorations à compter de l'année civile suivante.
Les travailleurs handicapés[10] ont également des droits majorés. Le salarié bénéficiaire de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés[11] bénéficie d'une majoration de 300 euros. Cette dernière vient s'ajouter aux droits annuels acquis par le salarié au titre de son CPF, dans la limite d'un plafond de 8000 Euros.
Enfin, pour les personnes accueillies dans un Esat[12], le compte personnel de formation de ces personnes est alimenté à hauteur de 800 euros par année d'admission à temps plein ou à temps partiel dans un établissement ou un service d'aide par le travail, dans la limite d'un plafond de 8 000 euros[13].
Pour les personnes qui relèvent de statuts différents au cours d’une même année conduisant à une alimentation différente du CPF, le crédit annuel et le plafond les plus favorables sont retenus[14].
Abondement complémentaire
Un accord collectif d'entreprise, de groupe ou, à défaut, un accord de branche peut prévoir des modalités d'alimentation du compte plus favorables dès lors qu'elles sont assorties d'un financement spécifique à cet effet[15].
Par ailleurs, un accord d'entreprise ou de groupe peut définir les actions de formation éligibles[16] au CPF pour lesquelles l'employeurs'engage à financer, dans les conditions définies par cet accord, les abondements complémentaires[17]. Cette modalité, également appelée abondement de co-construction, s’inscrit dans le cas où le coût de la formation est supérieur au montant des droits inscrits sur le compte. Dans cette situation, l'entreprise peut prendre en charge l'ensemble des frais et peut demander le remboursement à la Caisse des dépôts et consignations des sommes correspondantes dans la limite des droits inscrits sur le compte personnel de chaque salarié concerné. Pour ce faire, il convient de signer une convention avec la Caisse des dépôts et Consignations[18].
Le titulaire du compte peut aussi être à l’initiative de demandes d’abondement complémentaire lorsque le coût de la formation est supérieur au montant des droits inscrits sur le compte ou aux plafonds. Ainsi, le compte peut faire l'objet, à la demande de son titulaire, d'abondements en droits complémentaires pour assurer le financement de cette formation.
Ces abondements peuvent être financés[19] par :
- 1° Le titulaire lui-même ;
- 2° L'employeur, lorsque le titulaire du compte est salarié ;
- 3° Un opérateur de compétences ;
- 4° La caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et le réseau des organismes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général[20], chargé de la gestion du compte professionnel de prévention, à la demande de la personne ;
- 5° Les organismes chargés de la gestion de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, à la demande de la personne ;
- 6° L'Etat ;
- 7° Les régions ;
- 8° L'opérateur France Travail ;
- 9° L’Agefiph[21] ;
- 10° Un fonds d'assurance-formation de non-salariés[22] ;
- 11° Une chambre régionale de métiers et de l'artisanat ou une chambre de métiers et de l'artisanat de région ;
- 12° Une autre collectivité territoriale ;
- 13° L'établissement public chargé de la gestion de la réserve sanitaire[23] ;
- 14° L’Unedic : l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage[24] ;
- 15° Les associations, par le compte d'engagement citoyen : il s’agit des associations[25] mentionnées au a du 6° de l’article L. 5151-9 du Code du travail ;
À l’exception du titulaire du compte personnel de formation, les financeurs mentionnés ci-dessus peuvent alimenter le compte du titulaire en droits supplémentaires. Les sommes correspondant à cette alimentation supplémentaire sont versées à la caisse des dépôts et consignations.
Sans rentrer dans le détail, les textes ont prévu d'autres situations particulières pour lesquelles l'abondement du CPF est possible :
- Pour un salarié licencié à la suite du refus d’une modification de son contrat de travail résultant d’un accord de performance collective[26] ;
- Pour un salarié exposé au-delà des seuils à certains facteurs de risques professionnels[27] ;
- Pour les victimes d’AT-MP dont le taux d’incapacité atteint au moins 10%[28];
- Pour un lanceur d’alerte, à l’occasion d’un litige[29] ;
- Via l'abondement conventionnel[30] : Par accord d’entreprise de groupe ou de branche, en définissant des formations éligibles et des salariés prioritaires (les moins qualifiés, exposés à la pénibilité, salariés sur des emplois menacés et salariés à temps partiel, les salariés absents pour un congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant, d'adoption, de présence parentale, de proche aidant ou un congé parental d'éducation ou pour une maladie professionnelle ou un accident du travail) ;
- Via l'abondement saisonnier[31]: Les saisonniers pour lesquels l'employeur s'engage à reconduire le contrat la saison suivante peuvent également bénéficier d’un abondement du compte personnel de formation par accord de branche ou d'entreprise ;
- Via l'abondement correctif[32]: Dans le cadre de l’entretien professionnel et du bilan des 6 ans, il s'agit de la sanction en cas de manquement de l’employeur.
Davantage de visibilité pour les dotations volontaires
Depuis le 17 avril 2025, date d'entrée en vigueur du décret du 14 avril 2025, les financeurs peuvent réserver leur dotation volontaire au CPF, à certaines formations.
Le décret du 14 avril 2025 vient en préciser les modalités.
Comme indiqué plus haut, à l'exception du titulaire du compte personnel de formation, les autres financeurs peuvent alimenter le compte du titulaire.
Selon le décret du 14 avril 2025, le financeur tiers doit verser les sommes attribuées à ce titre auprès de la Caisse des dépôts et consignations, qui les inscrit, dès leur réception, sur le compte du titulaire et en assure la gestion.
Les financeurs tiers peuvent décider de réserver l’utilisation des droits supplémentaires à certaines des actions éligibles au CPF. Ils peuvent, dans ce cas, fixer un délai dont dispose le titulaire du compte pour les utiliser.
Lorsqu’ils fixent des conditions à l’utilisation de ces droits, ils sont tenus de préciser si la part non utilisée doit faire l’objet d’un remboursement. Dans cette hypothèse, le remboursement n’est exigé qu’au terme d’un délai tenant compte des modalités d’organisation des actions concernées[33].
Cela permet à l'employeur d'orienter les financements supplémentaires vers des formations qui sont stratégiques pour l'entreprise. Sachant que le titulaire du compte reste libre d'utiliser ses droits CPF comme il l'entend.
Concrètement, le financeur adresse à la CDC les informations relatives à l’identification du titulaire du compte bénéficiaire, au montant des droits supplémentaires attribués ainsi qu’à leurs conditions d’utilisation[34].
Cette transmission s’effectue via un service dématérialisé dont la caisse définit les conditions générales d’utilisation, qui précisent notamment les modalités techniques et opérationnelles de l’attribution, du versement et du remboursement des sommes. Ce service existe déjà, il s'agit de l'Espace des employeurs et des financeurs (EDEF).
A noter que le service dématérialisé peut également être utilisé pour l’attribution, le versement ou le remboursement des droits complémentaires, selon les conditions générales d’utilisation déterminées par la caisse. Pour rappel, il s'agit des situations où le coût de la formation est supérieur aux droits inscrits sur le compte, pour lesquelles, soit via un accord collectif l'employeur prévoit un abondement de co-construction, soit le titulaire du compte fait une demande d'abondement auprès des financeurs.
Enfin, toutes ces mesures sont opérationnelles depuis le 17 avril 2025.
Muriel Besnard
Consultant Juridique
[1] Décret n°2025-341 du 14 avril 2025, Journal Officiel du 16 avril 2025 https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2025/4/14/2025-341/jo/texte
[2] Articles L. 6323-2 et L.6323-11 du Code du travail
[3] Article R. 6323-1 du Code du travail
[4] Article L. 6323-12 du Code du travail
[5] DSN mentionnée à l’article L. 133-5-3 du Code de la Sécurité Sociale
[6] Article L. 1242-2, 3° et L. 6323-11 du Code du travail
[7] Article L. 6323-11-1 du Code du travail
[8] Article L. 6323-3-1 du Code du travail
[9] Celui mentionné à l’article L. 6323-8 du Code du travail
[10] Article D. 6323-3-3 du Code du travail
[11] Celle mentionnée à l’article L. 5212-13 du Code du travail
[12] Article L. 6323-33 du Code du travail
[13] Article R. 6323-29 du Code du travail
[14] Article R. 6323-27 du Code du travail
[15] Article L. 6323-11 du Code du travail
Pour réaliser l’abondement, l’employeur doit se rendre sur l’espace des Employeurs et des Financeurs (EDEF) et renseigner le nom du salarié, le numéro de sécurité sociale et le montant à attribuer : https://www.financeurs.moncompteformation.gouv.fr/
L’employeur paie les montants dus et les sommes dues par virement bancaire à la Caisses des dépôts et consignations. Une fois le paiement réceptionné, ces montants sont inscrits sur le CPF de chaque salarié concerné.
[16] Au sens de l’article L. 6323-6 du Code du travail
[17] Il s’agit des abondements prévus au 2° du II de l’article L. 6323-4 du Code du travail
[18] www.caissedesdepots.fr
[19] Article L. 6323-4 du Code du travail
[20] Article L. 4163-14 du Code du travail
[21] Article L. 5214-1 du Code du travail
[22]Article L. 6332-9 du code du travail ou article L. 718-2-1 du code rural et de la pêche maritime
[23] Article L. 1413-1 du code de la santé publique
[24]Article L. 5427-1 du Code du travail
[25] Soit a) L'association est régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou inscrite au registre des associations en application du code civil local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, et déclarée depuis un an au moins et l'ensemble de ses activités est mentionné au b du 1 de l'article 200 du code général des impôts
[26] Article R. 6323-3-2 du Code du travail
[27] Article R. 4163-11 du Code du travail
[28] Article R. 432-9-3 du Code du travail
[29] Article D. 6323-3-4 du Code du travail
[30] Article L. 6323-14 du Code du travail
[31] Article L. 6323-9 du Code du travail
[32] Articles L. 6323-13 et L. 6315-1 du Code du travail
[33] Article R. 6323-42-1 nouveau du Code du travail
[34] Article R. 6323-42 modifié du Code du travail