Authenticité et transparence[1]. Deux mots brandis en étendard aussi bien par les candidats et les collaborateurs que par les entreprises elles-mêmes qui ne font que refléter l’exigence de vérité propre à notre société connectée. L’entreprise et la fonction RH ont-elles vraiment à gagner à faire de ces deux notions leurs valeurs centrales ? Même si l’actualité politique récente nous pousserait à répondre positivement, rien n’est moins sûr…


Digitalisation des échanges, ère de la recommandation, développement de l’expérience salarié, mise en place d’une démarche de marketing RH, construction d’une identité employeur : les enjeux RH d’aujourd’hui semblent tous liés, d’une manière ou d’une autre, à des attentes fortes en termes d’authenticité et de transparence. Il est naturel que les entreprises, et plus particulièrement les acteurs de la fonction RH, prennent part à ce mouvement. Cependant, la valorisation excessive de ces deux valeurs ne me parait pas souhaitable pour les professionnels des Ressources Humaines. Voici pourquoi.

L’authenticité, valeur des entreprises fidèles aux leurs

L’authenticité est la qualité de ce qui est authentique, vrai, pur, c’est-à-dire dont la vérité ou l’exactitude est incontestable et qui témoigne de son intégrité.

Comme l’exprime fort bien Maurice Thévenet dans RH info, l’authenticité consiste pour l’entreprise à se montrer telle qu’elle est, à ne pas donner une image fallacieuse de sa nature profonde ; elle est synonyme de sincérité de la part de l’organisation. La recherche d’une cohérence globale dans ses différents territoires d’expression permet d’apporter de l’exemplarité et de la prévisibilité pour les différents publics de l’entreprise, qu’ils soient candidats, salariés, managers, partenaires sociaux… Cette cohérence reflète la fidélité de l’entreprise à ses valeurs, sa vision et ses objectifs : elle la fait percevoir comme authentique.

Pour autant, l’authenticité n’est pas un remède miracle aux diverses problématiques qui se posent à l’entreprise en général et à la DRH en particulier.

Les authentiques limites de l’authenticité

Jouons un peu sur les mots : être authentique, c’est – entre autres choses – parler-vrai. Le propos de cet article ne pouvant que m’y inciter, voici sans langue de bois ce que sont pour moi les 4 limites de l’authenticité.

L’authenticité n’est pas forcément comprise par tous

Avez-vous déjà croisé l’un de ces personnages qui, faisant une remarque déplacée sur son physique à une autre personne, ajoutent aussitôt comme si c’était un blanc-seing de muflerie : « excusez-moi, mais je suis quelqu’un de sincère ». La sincérité, chacun en conviendra, est ici dévoyée pour s’arroger le droit d’être grossier ou blessant. De la même façon, être authentique veut-il dire qu’il faut toujours être soi-même, et que cela sera systématiquement compris et apprécié dans le cadre de l’entreprise ? Ce serait nier la réalité de celle-ci. Il existe de nombreux thèmes et sujets tabous en entreprises, qu’il convient de ne pas évoquer. Être authentique, c’est dire vrai, mais ce n’est pas forcément tout dire. L’art de la communication permet précisément de discerner ce sur quoi il est opportun de s’exprimer.

L’authenticité ne peut se confondre avec la communication

Les entreprises d’aujourd’hui ne sont ni plus ni moins authentiques que celles du siècle précédent. Au sens premier, il n’y a pas d’entreprises plus authentiques que d’autres. En revanche, dans un contexte de compétition accrue et de tensions fortes sur le marché des talents, l’expression efficace de leur authenticité devient un impératif stratégique. En la matière, toutes les entreprises ne se valent pas.

Afin de cadrer concrètement notre sujet, il s’agit pour l’entreprise de communiquer de façon authentique. En d’autres termes, de mettre en avant les caractéristiques attrayantes et différenciantes qui vont lui permettre de capter et de fidéliser les talents dont elle a besoin.

Avec un minimum de bon sens, il est facile de comprendre que certaines caractéristiques de l’entreprise bien réelles ne constituent pas pour autant de bons leviers de communication. À titre d’exemple, une entreprise très pyramidale, attachée à certains usages tels le vouvoiement et le port d’une cravate en toutes circonstances, doit-elle pour rester authentique communiquer sur ce point précis ? Autre exemple, une entreprise qui propose un système de congés très avantageux en raison d’un statut particulier ou d’un historique syndical fort doit-elle communiquer sur ce point à tout bout de champ ? Agiter cette « carotte » sur les réseaux sociaux risque de faire passer l’entreprise pour « une bonne planque » et d’attirer des candidats dont elle ne souhaite pas s’embarrasser. Il me parait plus judicieux d’aborder cette question au cours d’un entretien en présentiel avec les candidats déjà avancés dans leurs parcours de recrutement, et dont les motivations ont été éprouvées. L’authenticité bien comprise, c’est aussi le choix du moment.

Exprimer son authenticité, c’est être déjà moins authentique

Peut-on « marketer » l’authenticité ? Certaines entreprises ont des caractéristiques qu’il convient de mieux promouvoir. Elles doivent les exprimer avec authenticité, mais se poser la question de la forme la plus appropriée, n’est-ce pas déjà être moins authentique ?

Ceci nous amène au cas de ces entreprises qui communiquent sur leurs caractéristiques de façon sincère et franche, mais dans des supports très corporate, très travaillés, qui au bout du compte sonnent faux : le propos est authentique, mais ne « sonne pas » comme tel.

Communiquer avec véracité sur les bons éléments, ce n’est finalement rien d’autre que faire du marketing RH. Sans manipulation, sans paillette, mais avec discernement et bon sens, dans le respect d’une vision cible. La communication et le marketing, faut-il le rappeler, sont des disciplines utilisées pour répondre à des objectifs précis. Les pratiquer de façon efficace, ce n’est donc pas, sauf cas bien particulier et dans un cadre limité, être le plus authentique possible ; c’est se mettre pragmatiquement au service d’une stratégie.

Trop d’authenticité tue l’esprit d’innovation

Être authentique dans son mode de gouvernance ou son management, c’est faire ce que l’on aime faire. C’est adopter les usages et comportements auxquels on est attaché pour telle ou telle raison et donc, dans une certaine mesure, rester confiné dans sa zone de confort. En d’autres termes, l’authenticité n’est pas une valeur ou une attitude favorisant l’innovation, laquelle implique toujours une mise en danger, une prise de risque.

Inutile d’être psychologue diplômé pour savoir qu’une personnalité se construit au fil du temps et des expériences. Chacun le sait, c’est en agissant que l’on devient. Il en va de même pour l’entreprise, qui à défaut d’être une personne physique est une personne morale : une organisation trop centrée sur la valeur d’authenticité, de fidélité à ses méthodes et à ce qui a fait ses succès naguère, n’évolue plus. Alors que l’agilité est aujourd’hui reconnue comme un enjeu majeur pour les entreprises, celles qui ne feraient plus appel à leurs capacités d’adaptation et d’anticipation se condamneraient à terme à disparaître.

Il convient donc de développer une vision dynamique de l’authenticité. Celle-ci ne consiste pas à se raccrocher à une image fossilisée, voire fantasmée de soi ; c’est au contraire une découverte permanente de ce que l’on est à travers tel ou tel événement ou action. Accepter de changer, de remettre en question, c’est affiner sa connaissance de ses qualités et de ses défauts.

Paradoxalement, il faut changer beaucoup pour demeurer soi-même. DRH, « deviens ce que tu es » !

Toute organisation se doit de satisfaire l’attente de ses publics. De même que les clients exigent des produits et des savoir-faire authentiques, les collaborateurs d’une entreprise sont en attente d’un discours vrai de leur employeur. Il est possible et même recommandé de satisfaire cette attente, dès l’instant que l’authenticité ne devient pas une religion qui ferait oublier les règles de base du marketing et de la communication, et obérerait donc le bénéfice de ces activités pour l’entreprise. Quant à l’authenticité de la DRH, c’est une question étroitement corrélée à une autre demande des collaborateurs : la transparence.

La transparence, une idée pas très claire

Au sens premier du terme, la transparence est le caractère d’une matière qui laisse passer la lumière et à travers de laquelle on peut voir distinctement les objets.

Au sens figuré, le mot désigne la qualité de ce qui exprime la vérité sans la transformer, de ce qui est limpide. On parlera, par exemple, de la transparence d’une politique.

Souvent associée à l’idée d’authenticité, la notion de transparence (au sens figuré) est aujourd’hui importante dans l’esprit du grand public. À qui l’homme de la rue demande-t-il de la transparence ? À ceux qui détiennent des pouvoirs importants : les Hommes politiques, les instances du pays, les dirigeants d’entreprises… Mais aussi les managers dans leur ensemble, le chef de service, le supérieur hiérarchique personnel, bref, tous ceux qui représentent l’employeur du citoyen lambda ou qui peuvent s’expriment en son nom.

Étroitement liée dans l’esprit des salariés à la Direction, la DRH est leur interlocuteur clé dans de nombreux domaines. Il est donc demandé à celle-ci plus de transparence qu’à d’autres fonctions. Cette qualité n’est pourtant pas très adaptée à la fonction RH, et ce pour deux raisons :

  • La transparence, au sens littéral, est une quasi-invisibilité. Or la DRH a tout au contraire besoin d’être mieux connue, c’est à dire vue, intelligible, comprise et reconnue. Ainsi que le montrent diverses études à ce sujet, elle en est encore très loin !
  • Si la transparence est une attente des salariés, tout aussi grande est leur exigence de confidentialité. La première est, dans une certaine mesure, un droit du salarié, la seconde un devoir pour les professionnels des RH.

Vous trouverez 10 bonnes raisons de dire non à la transparence dans un article de Jean de Loÿs sur le site de Parlons RH.

Une gestion harmonieuse des relations humaines ne peut s’accommoder que d’une transparence très limitée, de nombreux sujets ne devant jamais être abordés en entreprise… pour le bien de celle-ci comme de ses collaborateurs.

La recherche perpétuelle du bon équilibre a toujours caractérisé la fonction RH. Délicatement positionnée entre l’économique et le social, la direction et les salariés, les exigences du court terme et la nécessité du long terme, la transparence des informations et leur confidentialité, la DRH doit faire preuve en toutes circonstances de retenue et de discernement. Il en va de même pour la gestion de l’équilibre entre l’authenticité des rapports humains et l’expression de cette caractéristique dans une société où la communication est reine.

Faut-il vraiment davantage de transparence et d’authenticité dans l’entreprise et dans la fonction RH ? Pourquoi pas, si l’on entend par transparence plus d’échange, de collaboration, de coopération, de partage et de circulation de l’information. Pour ma part, à une fonction RH transparente et authentique, je préfère une fonction RH communicante, légitime et crédible.


[1] Cet article a été diffusé initialement sur le site de #rmsnews, ici, dans le cadre d'une série de contributions sur le thème de l'authenticité et de la transparence.

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