Article co-écrit avec Marie Hénocq

Parler de solutions pour atteindre la diversité en entreprise renvoie très souvent à la notion de “discrimination positive”. Pourtant, celle-ci ne fait pas l’unanimité. Si les anglo-saxons parlent eux de “positive action”, c’est bien le terme de “discrimination positive” que nous avons choisi en France. Mais une discrimination peut-elle réellement être positive ? Est-ce un moyen efficace de lutter contre les discriminations et de favoriser la diversité ?


En France, l’un des principes fondamentaux de la République, est l’Egalité, entendue comme l’égalité des droits : “les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits” (Déclaration des droits de l’Homme) et “la France (...) assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion” (Constitution française). Or, force est de constater que dans les faits, tous les citoyen·nes n’ont pas les mêmes chances, les mêmes opportunités, les mêmes facilités ou difficultés. Les défenseur·euses de la discrimination positive dénoncent ainsi l’hypocrisie des politiques “aveugles” aux différences. Elles et ils considèrent en effet que ces politiques nient l’unicité même des individus en entendant garantir l’égalité par un traitement “égal et uniforme” de chacun·e (Villenave, 2006).

La Discrimination Positive vise à rétablir l’égalité des chances en favorisant les membres d’une minorité ou d’un groupe social défavorisé par “la généralisation ou la persistance de pratiques racistes ou sexistes, d’une part, l’accentuation des inégalités socio-économiques, d’autre part” (Levade, 2004).

D’une logique d’égalité des droits, défendue par la République française, on passe alors à celle d’une égalité des chances (Sabeg & Charlotin, 2006). Le rapport Minc[1] annonçait en 1994 ce tournant décisif. Au-delà du glissement sémantique de l’égalité vers l’équité, il s’agit d’une réelle réflexion de fond présentant la discrimination positive comme nécessaire afin de corriger les iniquités existantes dans la société française.

Des politiques de discrimination positive ont ainsi été mises en œuvre en France avec pour objectif d’atténuer ou de contrebalancer les effets des pratiques discriminatoires passées et actuelles. Ainsi, la discrimination positive s’oppose à la “discrimination statistique” qui consiste à rejeter un individu pour des caractéristiques qui ne lui sont pas propres, mais qui pourraient statistiquement l’être, au regard de son groupe d’appartenance (Parodi, 2010). L’enjeu de la discrimination positive est alors d’atteindre l’égalité de fait, visible dans les résultats (Bender, 2004).

Par l’implantation d’un champ de contraintes, la discrimination positive vise une mise en mouvement des mentalités. En imposant de favoriser, dans un contexte donné et de façon temporaire, certaines catégories de population, elle entend “corriger les inégalités, quitte à transgresser un temps le principe même d'égalité" (Villenave, 2006), et même “compenser des inégalités en créant des discriminations paradoxalement redistributrices d’égalité.” (Levade, 2004). L’objectif d’une telle politique réside dans l’atteinte, pour un groupe déterminé, d’une masse critique. Si les quotas peuvent représenter un moyen temporaire d’y parvenir, ils ne représentent en aucun cas une finalité souhaitable (Montargot & Peretti, 2014). Les quotas répondent en réalité à deux nécessités sur le long terme : celle d’opposer aux plus sceptiques des contre-exemples permettant d’initier une prise de conscience, et celle de créer, pour les personnes appartenant à la même minorité, des role-model[2] dans lesquels elles pourront se reconnaître et qui leur permettront notamment de lutter contre l’auto-censure.

Discrimination positive : un moyen paradoxal à utiliser avec précaution

La discrimination positive porte un grand nombre de paradoxes qui nous éclairent sur les limites de sa capacité à corriger de manière efficace et pérenne les inégalités.

Tout d’abord, la discrimination positive utilise le principe même contre lequel elle entend lutter : elle sélectionne les individus considérés comme temporairement à avantager, et ce en se fondant sur des critères (genre, âge, origine…) qui ne devraient pourtant pas interférer lors d’une prise de décision en entreprise (embauche, promotion, formation…).

De plus, ne pouvant lutter de front contre l’ensemble des inégalités en leur sein, les entreprises choisissent d’axer leurs efforts sur les minorités qu’elles estiment prioritaires (Doytcheva, 2009). Cette “sélectivité” semble défendre une hiérarchisation des discriminations, pourtant contraire à la notion d’intersectionnalité (Bilge, 2009)

La discrimination positive présente également plusieurs risques :

  • Celui de réduire les individus d’une minorité à une catégorie homogène, c’est-à-dire de nier les différences présentes en son sein (Parodi, 2010). Les individus d’une catégorie de population ne font pourtant pas tous face aux mêmes problématiques.
  • Et celui d’accentuer la stigmatisation de certaines populations : les programmes de discrimination positive sont pour beaucoup perçus comme injustes et peuvent susciter des réticences (Kravitz et Platania, 1993). Les bénéficiaires de ces programmes peuvent alors se sentir stigmatisés ou dévalorisés (Heilman, 1996).
  • Enfin, la discrimination positive semble obéir à une logique court-termiste, dans des situations nécessitant pourtant des solutions pérennes sur le long-terme. En effet, “la discrimination positive a pour caractéristique fondamentale d'être temporaire" (Villenave, 2006) puisque, comme nous l’avons énoncé précédemment, sa poursuite sur le long terme peine à corriger les inégalités et tend même à les renforcer. Ainsi, la Convention des Nations unies sur la discrimination raciale ne cautionne les programmes de discrimination positive “que dans les cas où ils revêtent un caractère temporaire et remplissent une fonction de rééquilibrage” (Villenave, 2006). Une politique de discrimination positive est donc limitée à un cadre temporel précis, condition sine qua non de son efficacité et de sa légitimité. Sortir un cas de discrimination positive de son contexte temporel et donc du contexte historico-social qui y est associé représente un fort risque de mécompréhension (Pitti, 2006).

Discrimination Positive : Une « solution pansement »

La discrimination positive peut être une solution court-terme avec pour but de rattraper de manière rapide un écart important. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une « solution pansement », souvent le reflet d’un échec, ou en tout cas d’un écart persistant entre égalité juridique et inégalité de fait (Boëton, 2003). Il semble donc nécessaire de penser les politiques de la diversité dans leur globalité.

Afin d’éviter de devoir recourir à la discrimination positive, l’entreprise doit donner à toutes et tous les moyens de se développer, d’être performant·es, de réussir, et ce en luttant contre les discriminations existantes, en cessant de fermer les yeux sur les inégalités et en s’assurant de l’équité des processus. Lorsque l’utilisation de la discrimination positive est nécessaire, ponctuellement, il semble primordial pour les entreprises de préparer l’évolution des mentalités, au-delà de l’avantage accordé à certaines catégories de populations.

En effet, réussir la diversité en entreprise ne réside pas dans la mise en œuvre de quotas ou le calcul de KPI[3] d’égalité, mais bien dans la création d’un climat d’ouverture et de tolérance dans la création d’un lien social (Peretti, 2006)


[1] La France de l’an 2000, (1994), Rapport au premier ministre de la commission présidée par Alain Minc, Commissariat général du plan

[2] Notion forgée par Robert King Merton (sociologue), « Un modèle de rôle » en français. Il s’agit de désigner une personne qui donne un exemple, par son comportement ou son succès. Il est (ou peut être) alors imité par d’autres, en particulier par les plus jeunes.

[3] KPI : « Key Performance Indicator », Indicateur clés de performance


Bibliographie :

Bender, A. (2004). Égalité professionnelle ou gestion de la diversité : Quels enjeux pour l'égalité des chances ? Revue française de gestion

BILGE S. (2009), « Théorisations féministes de l'intersectionnalité », Diogène

Boëton, M. (2003), Discrimination positive en France. Études

Doytcheva, M. (2009), Réinterprétations et usages sélectifs de la diversité dans les politiques des entreprises. Raisons politiques

Heilman, M. et Blader, S. (2001), ‘Assuming preferential selection when the admissions policy is unknown: the effects of gender rarity. Journal of Applied Psychology

Kravitz, D. et Platania, J. (1993), Attitudes and beliefs about affirmative action: effects of target and of respondent sex and ethnicity. Journal of Applied Psychology

Levade (2004), Discrimination positive et principe d'égalité en droit français, Pouvoirs

Montargot, N. & Peretti, J. (2014). Regards de responsables sur les notions d'égalité, non-discrimination et diversité. Management & Avenir

Parodi, Maxime. « De la discrimination statistique à la discrimination positive. Remarques sur l'inférence probabiliste », Revue de l'OFCE

Peretti J-M. (2006), Tous différents : gérer la diversité dans l’entreprise, Eyrolles

Pitti L. (2006), « Quand l'histoire éclaire les dessous de la discrimination positive », Plein droit

Sabeg & Charlotin (2006), La diversité dans l’entreprise : comment la réaliser, Editions d’organisation

Villenave, B. (2006). La discrimination positive : une présentation. Vie sociale

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