Le manager de proximité, nageant entre plusieurs eaux, ne risque-t-il pas de se noyer ? – cas de SSII

Dans un environnement en perpétuel mouvement et dans un contexte où tout est axé sur la rentabilité, aux dépens des GRH, le manager de proximité en SSII est soumis aux risques psychosociaux. Or si l’on attend de lui qu’il soit vecteur de bien-être au travail de ses collaborateurs, ne faut-il pas s’assurer en premier lieu qu’il est lui-même en position de bien-être au travail ?

Ce sont les managers de proximité qui en parlent le mieux

En juin et juillet 2016, j’ai interviewé douze managers de proximité (cinq femmes et sept hommes de 31 à 57 ans pour une moyenne d’âge de 43 ans) de quatre SSII du bassin grenoblois – entretiens qualitatifs semi-directifs de 40 minutes à 2 heures. L’objet était d’explorer de manière étendue les difficultés que rencontrent aujourd’hui les managers de proximité en SSII et de mettre en avant les limites de leur propre perception de la fonction.

Ces managers encadrent tous des collaborateurs en direct bien qu’ils soient à des niveaux hiérarchiques différents dans leur entreprise. Je les ai interrogés sur quatre points : la représentation qu’ils se font de la fonction de manager de proximité au travers de leur parcours ; leurs attentes vis-à-vis de leur hiérarchie, des ressources humaines et des personnes qu’ils encadrent ; leurs relations avec leurs pairs ; et enfin la souffrance et le bien-être procurés par cette fonction.

Travaillant moi-même en SSII, j’ai également pu réaliser d’avril à juillet 2016 une observation de terrain permettant d’alimenter le propos et les résultats des entretiens.

Pour analyser le fruit de mes recherches, je me suis appuyée sur les grilles d’analyses suivantes : la théorie du contrat psychologique (Rousseau, 1989) et les aspects de souffrance au travail au travers des modèles « effort-récompense » de Siegrist (1996), « demande psychologique / latitude décisionnelle / soutien social » de Karasek (1979) et de la théorie de la conservation des ressources d’Hobfoll (1989).

Qui est le manager de proximité en SSII ?

Le manager de proximité en SSII est dans une position centrale entre la direction, les collaborateurs, les clients et les services RH. Ces derniers leur délèguent une grande part de la gestion des ressources humaines, notamment le suivi de la satisfaction et des compétences, ainsi que l’évaluation de performance.

Telle la courroie de transmission[1], le manager de proximité doit transmettre le mouvement, amortir les vibrations et les chocs, faire preuve de souplesse pour y parvenir, tout en étant limité dans ses marges de manœuvre.

Dans la majorité des cas, le manager a gravi les échelons de la hiérarchie et a basculé d’un poste technique vers une fonction managériale sans véritable formation. Ses motivations pour la fonction sont plus ou moins confuses : un intérêt indéniable pour la relation humaine mais aussi un "passage obligé" pour progresser dans l’entreprise.

Le management de proximité n’est pas un métier ou une fonction à part entière. Les managers interrogé ont d’autres fonctions qui caractérisent leur métier plus que celle de manager de proximité : ils sont également des managers opérationnels – chefs ou directeurs de projets –, des consultants techniques ou fonctionnels ou des commerciaux. Ils exercent la fonction d’encadrant de proximité en plus de leur fonction « principale ». Voici la synthèse de leurs témoignages.

La relation avec les collaborateurs fait sens

Les managers interrogés disent avoir de bonnes relations avec les salariés qu’ils encadrent. Ils voient cette relation comme une relation de confiance et de proximité qui nécessite des capacités d’écoute et d’empathie. Ils conçoivent également leur rôle comme celui d’accompagnateur, de facilitateur, mais aussi de canalisateur lorsqu’il est nécessaire de recadrer un collaborateur, ou de traducteur pour faire adhérer à la stratégie de l’entreprise.

Si les deux derniers rôles sont perçus parfois comme difficiles, la relation avec les collaborateurs leur procure une forme de satisfaction et de bien-être au travers de la reconnaissance qu’ils reçoivent. L’équilibre effort-récompense est ici respecté « Si il progresse je suis contente de l’avoir aidé à progresser. », « Ce qui me rend heureux c’est le retour des gens, qui est très gratifiant finalement ».

La relation avec les pairs est essentielle

La plupart des managers évoquent la nécessité de communiquer entre pairs, de coopérer et collaborer. Si les échanges formels ne sont pas assez fréquents ou réguliers, les managers de proximité s’entendent bien et communiquent de manière informelle, tout simplement parce que développer le lien social participe à leur bien-être (Cf. modèle de Karasek). Ils regrettent une étanchéité perçue entre les entités, les services ou leurs managers hiérarchiques et l’absence d’ouverture vers l’extérieur « On considère que notre méthode RH elle est bonne et qu’on est capable de former les nouveaux. Je pense qu’il y a une régression du fait de ne pas s’ouvrir aux autres ».

L’impuissance de faire progresser et de récompenser

Les managers font part de la même « grande difficulté de la fonction », à savoir le manque de moyens et de latitude pour faire évoluer et progresser leurs collaborateurs et pour les récompenser. En effet, la nécessité de rentabilité est un frein à la carrière en SSII, puisqu’il faut à tout prix « placer » les collaborateurs sur des missions, en clientèle ou dans les locaux de la SSII. « Faire accepter une mission à quelqu’un qui n’est pas dans son intérêt mais qui est dans l’intérêt de la boite, c’est ce qui est le plus difficile ».

Par ailleurs, le niveau d’augmentations est faible, en moyenne 1 à 2 % de la masse salariale[2]. Il est dans ce contexte compliqué de récompenser tous les collaborateurs à leur juste valeur – en tout cas, celle estimée par leur manager de proximité.

Une souffrance non avouée

La majorité des managers interrogés disent ne pas être stressés ni souffrir de cette fonction alors que certains de leurs propos démontrent le contraire. « On est en SSII, j’ai plus d’illusions depuis longtemps. Ça me fait me poser des questions de motivation de temps en temps », « On doit gérer les collaborateurs donc on a la pression du bas, on a la pression d’en haut, on se retrouve quand même coincés de plus en plus, ça monte en flèche », « Les personnes qui doivent se déplacer et qui ont des enfants, je ne le vis pas forcément très bien ».

Les managers de proximité ont besoin de formations, ils ont besoin d’écoute de la hiérarchie, ils ont besoin de moyens et marges de manœuvre, ils ont besoin…de SLAC ! – Le SLAC[3] (Sens, Lien, Activité et Confort) est une représentation du bien-être au travail développée par Abord de Chatillon et Richard (2015).

Les difficultés qu’ils rencontrent feront l’objet de la deuxième partie de cet article. Nous verrons en troisième partie quelles solutions peuvent être mises en œuvre par les organisations pour aider les managers de proximité à (re)faire surface.


Cette série d’articles est issue d’une recherche effectuée dans le cadre d’un mémoire de Master2.


[1] La courroie de transmission selon wikipédia : La courroie est une pièce utilisée pour la transmission du mouvement. Elle est construite dans un matériau souple. Par rapport à d'autres systèmes, elle présente l'avantage d'une grande souplesse de conception, d'être économique, silencieuse et d'amortir les vibrations, chocs et à-coups de transmission. Par contre, elle présente une durée de vie limitée et doit être changée, et la puissance transmissible est limitée.

[2] Sources = Les Echos , 2015

[3] Notons que le verbe « to slack » en anglais signifie « desserrer », « se relâcher », « se laisser aller »

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