De la posture à l'imposture : les limites du management bienveillant ?

Si je ne suis pas bienveillant que suis-je ?

Réponse d’autant plus difficile qu’une des définitions de la bienveillance l’oppose justement à la malveillance.

Le monde au XXIème siècle et spécialement celui du travail serait-il devenu aussi simple voire simpliste pour décréter que son management devrait être aussi unilatéralement bienveillant ?

Ou au contraire si imprévisible, chaotique même, que seule une transformation radicale permettrait enfin d’apporter une réponse à une problématique que l’on renoncerait définitivement à traiter, si ce n’est catégoriquement?

Le travail porte encore en lui pour un temps son tripalium et reste dans ses nuances de gris avec parfois de belles éclaircies, même si on le voudrait arc en ciel.

Puis-je être bienveillant en toute circonstance où est-ce la conséquence de ce que je fais qui le déterminera ?

La qualité de nos actes en management n’est pas définie par la façon dont on pense agir mais celle dont on est perçu. Parmi ceux-ci, se séparer d’un salarié est sans aucun doute l’acte le plus difficile.

Un licenciement peut être un échec de la relation managériale, une condition de survie de l’entreprise ou encore une réponse aux marchés à travers les licenciements dits « boursiers ».

Quelle qu’en soit la raison ce sera perçu comme un choc, une injustice éventuellement, une violence dans l’annonce assurément. Peut-il y avoir de la bienveillance dans un acte perçu comme violent et dont les conséquences entraineront potentiellement douleur, perte d’estime de soi, rejet d’une société ou l’Homme est (encore) défini par son travail ?

Je serai bienveillant si je suis accepté comme tel, pas si j’utilise une recette magique apprise voire dans certains cas une posture insuffisante quand l’enjeu demande un savoir être.

La bienveillance comme excuse ?

Il n’y a pas de bienveillance dans la violence. Et pourtant on a pu voir récemment sur les réseaux sociaux, cette idée défendue par un commentateur éclairé du sujet, que licencier pourrait être fait en toute bienveillance, argumentant que les personnes seraient aidées dans leur future recherche d’emploi par ce manager bienveillant.

Un contributeur expliquait même dans un commentaire avoir en toute bienveillance fait comprendre à la personne licenciée que ceci serait fait pour son bien, que c’était le commencement d’un nouveau départ et donc la meilleure chose pour elle… Paravent pour éviter d’assumer la conséquence de leurs actes ? Impuissance face à cette terrible contradiction ?

On retrouve ici un discours similaire avec le courant de l’entreprise libérée, autre forte tendance managériale en son temps, où à la question de l’exclusion des salariés n’acceptant pas la nouvelle philosophie de l’entreprise (les salariés s’excluant d’eux-mêmes bien entendu) était offert une réponse toute faite : « on ne laisse personne au bord du chemin ». Sauf que jamais n’aura été indiqué le comment et encore moins le résultat. Une innovation disruptive à pôle emploi neferait-elle pas forcément le buzz ?

Dans un cas comme dans l’autre, confrontés au monde du travail et sa réalité dans ce qu’elle a de plus abrupte, ces courants ou modes se placent soit dans une posture d’évitement (on ne laisse personne au bord du chemin ) ou encore dans l’affirmation jusque la plus farfelue (je licencie avec bienveillance) ,pariant sur l’effet buzz du moment et surtout le rêve qu’il représente , étouffant ainsi dans une douce torpeur tout sens critique?

Si un rêve et ses promesses de félicité suscitent forcément l’adhésion du plus grand nombre, cette question posée invariablement à un moment où un autre de tout nouveau modèle managérial nous ramène à la réalité des tons gris du monde du travail sans que ces modes en changent vraiment les couleurs.

De la posture à l’imposture ?

Il est évident qu’un licenciement en soi ne pourrait remettre en cause le caractère bienveillant du manager. Mais quid de ces entreprises qui désormais restructurent tous les 3 ans avec bien entendu des baisses d’effectif à la clé pour garantir tout autant l’efficacité de l’entreprise que la satisfaction des marchés financiers (1), amenant des salariés à cette réflexion : « la question n’est plus de savoir si je serai licencié mais quand ! ».

Ou encore quand dans ces mêmes entreprises et bien d’autres, l’atout performance du manager bienveillant que représente l’accord du droit à l’erreur (droit à l’erreur dans le management bienveillant = prise de risque = innovation = performance) est structurellement interdit(1), rendant caduc cette carte maîtresse, positionnant le manager dans une contradiction supplémentaire. Récemment, le dirigeant d’un grand groupe exprimait ainsi cette nouvelle injonction: « prenez le risque de réussir ». Sous entendu, ne vous trompez pas…

Peut-on être bienveillant quand, prenant un client majeur d’un concurrent, on contraint celui-ci à un plan social quand ce n’est pas la liquidation de l’entreprise ?

Ou enfin, dans ce management par les process qui déshumanise l’entreprise faisant perdre à l’Homme son intelligence(2), qu’est-ce que la bienveillance face à la perte d’humanité si elle n’en résout pas la cause? Un placébo ? Une maigre compensation ?

Ce qui alors deviendrait une simple posture face aux injonctions paradoxales ne serait-elle pas pris comme une imposture ? Générant ainsi un rejet ou au minimum un frein à l’engagement face au message contradictoire passé ?

il ne suffit pas de se dire : « un peu de bienveillance ne fera jamais de mal ». Comme tout ce qui se rapprocherait d’un management par les valeurs, on pourrait reprendre cette maxime emprunté à l’amour : « il n’y a pas de valeurs, juste des preuves de valeurs ». Elles ne s’affichent pas, elles se démontrent au quotidien et particulièrement en situation de choix. C’est à cet instant clé que le salarié saura si le manager est dans une simple posture ou pas. Une entreprise qui soumet ses salariés à des injonctions paradoxales structurelles (1), n’aura avec un management dit bienveillant qu’un artifice managérial de plus à proposer.

Bien entendu, ceci ne remet pas en cause une attitude emprunte de respect, de politesse, d’attention. L’impossibilité d’un sincère savoir être n’exclue pas, bien au contraire,l’urgente nécessité d’un savoir vivre dans l’entreprise.

L’environnement conditionne le management

Dans les métiers de la police ou de la gendarmerie, la nature de la fonction, les moyens (les forces de l’ordre ont le pouvoir de contraindre), la finalité, ne requièrent pas la bienveillance comme soft skill. Elle pourrait même être un frein dans certaines situations. Est-on malveillant si on n’est pas bienveillant ? Faire respecter l’ordre et veiller sur la sécurité des personnes demande de porter des valeurs différentes, toutes aussi fortes et surtout adaptées au métier, à la mission.

Par contre, enseigner au XXIème siècle en France requiert effectivement de la bienveillance, de l’empathie et un talent pour la communication. Le temps où le maître imposait la discipline est fini. Sans ces qualités, ces soft skills , difficile aujourd’hui de transmettre, éveiller, inciter à réfléchir, donner envie d’aller plus loin.

On pourrait même penser que cette mise en lumière des softs kills requis pour un métier comme l’enseignement pourrait susciter de nouveau des vocations perdues face à ce qui avait été réduit à un simple job, lui ayant fait perdre son aura au fil du temps (3).

Les modes managériales, dans une amnésie pratique, oublient que l’environnement conditionne le management. Le secteur dans lequel évolue l’entreprise, sa place dans ce secteur et notamment son niveau de fragilité, la taille de l’entreprise, le type d’actionnariat (marchés financiers, familial, fond de pension, start up…) le contexte dans lequel elle se trouve, l’impact sur le business (opérationnel, fonctionnel), la nature du métier, la nature du poste… Tout ceci influe sur le mode de management. Cela concerne bien évidemment les valeurs. Pas celles définies entre vision et mission, affichées dans de jolis cadres et traduites dans toutes les langues des sièges sociaux de chaque pays. Les valeurs vraies, celles qui sont vécues et parfois subies par l’environnement extérieur (comme les marchés financiers). Dans ce dernier cas elles deviennent alors des injonctions avec un potentiel de stress supplémentaires ou de burn out quand en plus de devoir les subir au quotidien au mépris de ses propres valeurs, on demande alors au manager de pratiquer, non pas des valeurs auxquelles il n’adhèrerait pas, mais en opposition avec la réalité de l’entreprise et ce qu’il pourra concrètement apporter.

Managez là où vous pourrez vous exprimer

Les périodes de chaos d’une entreprise (rachat, fusions, plan de sauvegarde de l’emploi etc.) sont propices à des changements profond, encore faut-il vouloir en profiter. Les règles, les croyances, les effets silos, les habitudes voire même la culture de l’entreprise peuvent être remis en cause et paradoxalement offrent une opportunité à des évolutions voire des sauts quantiques d’organisation.

N’en est-il pas de même au niveau sociétal ?

L’entreprise providence qui garantissait l’emploi à vie sera bientôt à ranger au coté des dinosaures. Et de quel emploi parle-t-on ? Celui qui va disparaitre sous peu ? Celui qu’on ne connait pas encore ?

La nouvelle génération sait ou a l’intuition qu’elle devra plusieurs fois changer d’entreprise, de métier, de régions.

Alors, plutôt que de subir ce chaos, autant en faire un atout.

Apprendre à apprendre. Tester un job, en changer et tant pis pour l’indicateur RH de turn over. Se connaitre pour se réaliser. Manager là où on pourra s’exprimer en accord avec qui ont est.

Ce qui sera sans doute le quotidien et donc la nécessité de la prochaine génération n’est –il pas en fait une opportunité pour un véritable savoir être ?

En quoi ce qui serait l’évidence de cette génération ne peut-elle pas être un choix pour les actuelles, et rayer ce terme parfois trop lu de générations perdues ?

Il suffirait de peu en fait.

Regarder avec bienveillance celles et ceux qui cherchent à se réaliser ?


(1) La financiarisation du management RH INFO
(2) Grands groupes : retrouver l’intelligence perdue RH INFO
(3) Merci à François Geuze, Michel Barabel et Patrick Storhaye pour leur inspiration et même dictée d’un métier que je découvre avec bonheur.

Tags: Bonnes pratiques