Julian Assange, Edward Snowden, Erin Brockovitch… autant de noms célèbres qui ont pu sensibiliser le grand public à la cause du lanceur d’alerte. Mais qu’en est-il précisément de son statut juridique en France ?

A cet égard, la première consécration juridique du lanceur d’alerte remonte à 2016 et provient de la loi Sapin II qui, et cela est désormais communément admis, a manqué en efficacité, tant elle est restée imprécise et sujette à interprétations[1].

La tendance étant à la libération de la parole qu’il s’agisse d’enjeux sociétaux, environnementaux, professionnels ou personnels, il fallait que le législateur intervienne, à nouveau et de manière plus qualitative, pour consolider le statut du lanceur d’alerte et améliorer sa protection.

C’est chose faite depuis la loi du 21 mars 2022[2] qui s’est donnée pour objectif de combler les lacunes de la loi Sapin II.

L’autre objectif de cette loi : transposer la directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

La loi nouvelle entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2022.

L’occasion de faire le point sur la définition du lanceur d’alerte finalement retenue par le législateur français (I), d’analyser son régime de protection au périmètre de l’entreprise (II) et enfin, d’aborder les nouvelles obligations qui en découlent pour les employeurs (III).

I. Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?

  • Définition du lanceur d’alerte

La loi du 21 mars 2022 a considérablement élargi la définition du lanceur d’alerte.

Pour être lanceur d’alerte, il faut :

  • être obligatoirement une personne physique, ce qui exclut de fait les personnes morales dont les associations et les syndicats ;
  • être désintéressé de « contrepartie financière directe »[3], ce qui autorise à l’inverse tout lien autre que financier avec les informations divulguées (dont notamment le lien de subordination employeur-salarié) ;
  • signaler ou divulguer des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international, du droit de l’union européenne, de la loi ou du règlement ;
  • être de bonne foi, c’est-à-dire, pour la Cour de cassation, ne pas signaler ou divulguer une information que l’on sait fausse[4] ;
  • avoir eu personnellement connaissance des informations si celles-ci n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles.

Si cette nouvelle définition semble à première vue bien vaste, le législateur est tout de même venu poser des garde-fous en précisant que ne peuvent faire l’objet d’une divulgation les informations ayant trait au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête ou de l'instruction judiciaires ou au secret professionnel de l’avocat.

Et pour revenir au périmètre de l’entreprise qui intéresse plus particulièrement le lecteur, cette définition trouvera donc à s’appliquer à tout salarié qui, ne percevant aucune contrepartie financière à la divulgation des informations, dénoncera un délit (entrave, harcèlement moral, harcèlement sexuel, discrimination, abus de biens sociaux, blanchiment…), un crime (viol, meurtre… ce qui reste bien plus rare) mais également « une menace ou un préjudice pour l’intérêt général », cette notion pouvant être source de bien des discussions (menace pour l’environnement ? pour la sécurité ?)

  • Procédure à suivre pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte

Alors que dans le dispositif initial, l’alerte devait se faire de manière graduelle, selon trois paliers, la procédure se voudra désormais plus souple, en laissant le choix au lanceur d’alerte d’opérer le signalement dans un premier temps :

  • soit par la voie interne auprès du supérieur hiérarchique, de l’employeur ou d’un référent désigné par l’employeur ;
  • soit par la voie externe auprès, notamment, du défenseur des droits, de l’autorité judiciaire, d’une institution ou organisme européen, un décret en Conseil d’Etat devant venir préciser la liste exacte de ces autorités ;

puis dans un second temps :

  • par la voie publique si aucune mesure appropriée n’a été prise en réponse au signalement opéré par la voie interne ou externe.

Le lanceur pourra néanmoins divulguer directement les informations via des canaux publics :

  • « en cas de danger grave et imminent », le texte ne précisant toutefois pas le périmètre de ce danger (danger pour l’intérêt général ? danger pour les salariés de l’entreprise concernée par la divulgation ?) ;
  • « lorsque la saisine de l’une des autorités compétentes ferait courir à son auteur un risque de représailles ou qu’elle ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation », là encore la notion semble ouverte à interprétations et débats…

II. Quel régime de protection pour le salarié-lanceur d’alerte ?

Le lanceur d’alerte bénéficie d’une immunité civile et de l’irresponsabilité pénale.

Le salarié lanceur d’alerte bénéficie d’une protection générale contre le licenciement, contre toute sanction disciplinaire et contre toute mesure discriminatoire.

Au-delà de cette protection générale rappelée à l’article L. 1121-2 du Code du travail qui aurait pu suffire à dissuader l’employeur de sanctionner de quelque manière que ce soit le salarié lanceur d’alerte, le législateur est venu insérer dans cet article une référence directe aux nouvelles dispositions édictées par la loi du 21 mars 2022 dressant, une liste précise des formes de représailles prohibées :

  • suspension, mise à pied, licenciement ou mesures équivalentes ;
  • rétrogradation ou refus de promotion ;
  • transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, modification des horaires de travail ;
  • suspension de formation ;
  • évaluation de performance ou attestation de travail négative ;
  • mesures disciplinaires imposées ou administrées, réprimande ou autre sanction, y compris sanction financière ;
  • coercition, intimidation, harcèlement, ostracisme ;
  • discrimination, traitement désavantageux ou injuste ;
  • non-conversion d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat temporaire en un contrat permanent, lorsque le travailleur pouvait légitimement espérer se voir offrir un emploi permanent ;
  • non-renouvellement ou résiliation anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat temporaire ;
  • mise sur liste noire sur la base d'un accord formel ou informel à l'échelle sectorielle ou de la branche d'activité, pouvant impliquer que la personne ne trouvera pas d'emploi à l'avenir dans le secteur ou la branche d'activité.

III. Quelles obligations pour l’employeur ?

La première obligation de l’employeur reste naturellement celle de ne pas discriminer ou sanctionner son salarié-lanceur d’alerte, à peine de nullité de la sanction.

Nouvelle obligation toutefois, à compter du 1er septembre 2022, l’employeur sera tenu de mettre son règlement intérieur à jour pour y rappeler l'existence du dispositif de protection attaché aux lanceurs d'alerte[5].

Par ailleurs, à compter du 1er septembre 2022, les entreprises employant au moins 50 salariés seront tenues d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, après consultation des instances représentatives du personnel et dans des conditions qui seront fixées, dans l’avenir, par décret.

Les échanges internes risquent donc d’être nombreux, ceci de plus fort que, malgré le renforcement du cadre réglementaire et dans l’attente de la parution du décret en question, il n’est pas certain que l’objectif de clarification du dispositif ait été tout à fait atteint…


[1] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[3] Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte

[4] Cass, soc, 8 juillet 2020, n°18-13.593

[5] Article L. 1321-2 du Code du travail

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