A l’heure où la question semble être de savoir si l’on peut se passer des RH, comme en témoigne ce récent article de Maurice Thévenet sur RH info , nous nous demandons bien ce qu’est devenue l’ambition stratégique de cette fonction, réclamée par Charles-Henri Besseyre des Horts dans un ouvrage intitulé « Vers une gestion stratégique des ressources humaines » [1] en… 1988 ! Sic !

A l’évidence, la fonction RH n’est toujours pas stratégique. Ce qui ne signifie d’ailleurs pas que les RH elles-mêmes ne le soient pas : elles le sont comme un fait, une donnée de gestion, mais peut-être pas comme un axe complet d’investissement qui puisse et doive avoir une voix propre auprès des Directions Générales et des actionnaires. Après avoir touché du doigt pendant ces 3 dernières années les affres de l’économie mondialisée, et être empêtrés dans une guerre des talents sans précédent, le capital humain s’avère en effet comme la principale source de valeur ajoutée. Mais qui se souvient de la recommandation de Dave Ulrich : « les seules armes concurrentielles dont disposent encore les entreprises sont l’organisation et les Ressources Humaines » ? Les entreprises doivent plus que jamais intégrer cette dimension dans l’élaboration de leur stratégie. Comment faire autrement, de toute façon ?

Voilà donc bien le paradoxe qui pointe à nouveau : les RH sont stratégiques mais pas la fonction RH. Pourquoi ?

Nous pouvons avancer ici quatre hypothèses – exposées ici de manière un peu caricaturale – que je soumets à votre critique, comme je l’avais déjà fait en… 2011 !

  • Une hypothèse organisationnelle : s’il est vrai que la gestion opérationnelle des RH est portée par les managers de première ligne, à proximité des équipes… alors la fonction est par nature partagée avec toute la hiérarchie ; elle est décentralisée, diluée dans l'organisation. Sans compter que la tendance pousse de plus en plus les salariés à se responsabiliser eux-mêmes sur leur propre parcours et le développement de leur employabilité, au gré de nouvelles représentations du travail qui décoiffent les recruteurs et les managers. Nous connaissons tous le célèbre leitmotiv : « Tous DRH ! »… sans s’apercevoir de son corrélatif concret : « donc pas de DRH » !
  • Une hypothèse fonctionnelle : la technicité de certaines activités administratives (paie, déclarations sociales, comptables et juridiques, gestion des relations sociales...), corrélée à l'effectif nécessaire, pour les gérer – lui-même en partie décimé comme le souligne cet article d’actualité de Simon Lecoeur – représente aujourd’hui un enjeu primordial. Les activités plus stratégiques (prise en compte des nouvelles attentes, marque employeur, expérience collaborateur, développement des compétences, gestion des talents…) s’ajoutent comme des tâches souvent secondaires. Il n’est pas évident du tout que les DRH aient tant envie que cela d’abandonner leur pouvoir technico-fonctionnel et leurs missions régaliennes pour participer à l'assemblée des actionnaires, se mettre en phase avec les logiques financières courtermistes dominantes dans leurs entreprises et caler leurs actions sur la démonstration de leur influence sur le ROI !
  • Une hypothèse opérationnelle : l'humain est certes une matière noble… mais “molle”, complexe, plus que jamais difficile à appréhender à travers les outils de reporting à la mode. Tant et si bien que l’humain n’est pas, en fait, l’objet de la gestion des ressources humaines : sous un vocabulaire prometteur, seule la réalité d’agent économique intéresse l’entreprise. Les ressources dites « humaines » gèrent les agents économiques humains, c’est-à-dire des forces de travail dont la nature et la forme sont "humaines", et non mécaniques ou technologiques. C’est tout. Ajoutons à cela que les salariés sont – c’est une réalité juridique – une ressource extérieure à l’entreprise. Cela devient une réalité sociale et managériale dont les salariés tirent les conséquences. Les facteurs stratégiques réels de l’entreprise sont l’argent et l’innovation : les "hommes" y figurent, en effet, mais souvent comme du consommable. Les seniors le savent mieux que les autres ! Dans le meilleur des cas, ce consommable est à forte valeur ajoutée, parce que procurant pour un temps donné un avantage concurrentiel en tant que vecteur, justement, de l’argent ou de l’innovation. Mais il n’entre en rien dans la finalité de l’activité.
  • Une hypothèse idéologique : pour le libéralisme qui domine le modèle sur lequel nous nous réglons encore – malgré récente la déclaration d’intention de notre Ministre de l’Economie sur France Inter le 4 janvier dernier : « nous vivons la fin de 80 ans de mondialisation libérale » (Sic !) –, la réalité sociale de l’entreprise plombe d’une part la “liberté” radicale des actionnaires, d’autre part la finalité exclusivement économique de l’entreprise. Et notre Ministre de l’Intérieur de fustiger « une société sans efforts ». Il faudrait en fait des salariés dépourvus d’exigences d’humanité. Des salariés sans besoins, sans revendications, sans vie privée, sans code du travail trop contraignant, sans famille, sans horaires… et pourquoi pas sans retraites !

Ces hypothèses forcent sans nul doute la réalité. Manichéennes dans leur présentation, elles sont loin de correspondre à la variété des situations concrètes d’entreprises. Et sans doute se mélangent-elles en diverses proportions dans la complexité des situations actuelles. Elles entendent juste pointer du doigt certains accents dominants qui se dégagent de notre expérience, et ouvrir tout haut une réflexion que d’aucuns n’osent même pas penser tout bas.

A vous donc, chers lecteurs, de nous dire ce que vous en pensez et de nous livrer votre propre expérience !


[1] Grand Prix de l'Institut ADIA, Editions d'Organisation

 

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