Jusqu’à une période assez récente, il était de bon ton de proclamer que la rémunération ne constituait pas le facteur le plus important dans le rapport au travail. Et cela était sans doute en grande partie vrai lorsque, dans nombre de métiers – pas tous, loin de là – la qualité de vie au travail, la restauration de collectifs forts et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée – la fameuse “flexibilité” – étaient en effet vécus comme des attentes dominantes. Il reste que pour bien des actifs, la nécessité de gagner sa vie et le souci d’un pouvoir d’achat décent a toujours été la priorité.

Le salaire, priorité n°1 des Français

Ainsi, selon la dernière édition de « People at Work 2023, l’étude Workforce View », réalisée par ADP Research Institute auprès de 32 612 actifs dans le monde, 66 % des travailleurs européens déclarent, comme l’an dernier, que le salaire est l'aspect le plus important d'un emploi.

Néanmoins, différence notable, cette année 54 % des Français (1912 actifs interrogés) estiment percevoir un salaire insuffisant, et seuls 26 % considèrent être correctement payés. Un sentiment qu’ils sont loin d’être les seuls à partager : pour exemple, 54 % des Britanniques et 53 % des Allemands témoignent également de leur frustration.

C’est sans doute que la crise sanitaire, puis la guerre aux portes de l’Europe et ses conséquences économiques, impactant le quotidien d’une majorité de personnes, nous a amené à réviser certaines de nos priorités, étant avéré que la flexibilité inaugurée pendant les confinements semble avoir instauré des solutions d’organisation hybrides plus satisfaisantes et durables aux yeux des travailleurs.

L’étude classe ainsi les facteurs de motivation en France (jusqu’à 3 réponses par répondant) :

  1. Salaire : 66 %
  2. Sécurité de l’emploi : 40 %
  3. Plaisir au travail-37 %
  4. Flexibilité des horaires : 31 %
  5. Progression de carrière : 30 %
  6. Opportunités de formation et développement : 16 %
  7. Flexibilité du lieu de travail : 15 %
  8. Fonction occupée : 7 %

Des inégalités persistantes, malgré l’index de l’égalité professionnelle

Le dernier rapport de l’INSEE concernant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes stipule un écart global de 24 % ; 15 % à temps de travail identique. La situation s’améliore tout de même peu à peu depuis 1995, où l’écart s’élevait à 34 %.

L’enquête « People at Work 2023, l’étude Workforce View », rapporte quant à elle que 61 % des femmes estiment être sous payées contre 49 % des hommes. Ce sentiment d’injustice est plus accentué encore chez les collaborateurs parents, puisque 65 % des mères jugent leur rémunération trop faible, contre 52% des pères. De manière générale, les parents (58 %) sont plus nombreux à trouver leur salaire insuffisant par rapport à ceux qui n’ont pas d’enfant (48 %) ; les charges familiales pèsent évidemment plus lourd dans le contexte actuel.

L’index de l’égalité professionnelle a probablement fait évoluer la situation entre les femmes et les hommes, mais il ne semble pas suffire à régler tous les problèmes, ni surtout à faire évoluer les mentalités de l’intérieur : en France, 35 % des salariés pensent que leur entreprise fait mieux qu’il y a 3 ans concernant l’écart de salaire femmes/hommes ; mais encore 19 % pensent que leur entreprise fait moins bien qu’il y a 3 ans. Certes, il s’agit de déclaratif, et il est utile en la matière de se rapporter aux données objectives du système de paie, permettant aux DRH d’avoir un reflet juste du traitement de leurs salariés. Néanmoins, il faut être conscient du fait que les niveaux d’engagement sont bien liés, eux, aux perceptions des personnes au travail.

Des paradoxes générationnels

Paradoxe générationnel, 60 % des actifs de 35-54 ans affirment être sous-payés contre seulement 35 % des 18-24 ans. Ils sont pourtant censés commencer au bas de l’échelle, et sont habituellement plus sensibles aux questions de discrimination. Paradoxe encore accru lorsqu’on voit que les 18-24 ans continuent à faire davantage d’heures supplémentaires non-rémunérées (6H52) que leurs ainés (4H42). Peut-être que les difficultés de recrutement des jeunes talents depuis les crises successives ont conduit les entreprises à plus de générosité dans leurs politiques de rétribution globale vis-à-vis d’eux ? Le fait est qu’ils accordent plus d’importance à la progression de leur carrière (33 %), au plaisir/épanouissement au travail (33 %), et surtout plus que les autres à la flexibilité du lieu de travail !

Des écarts sectoriels

L’étude d’ADP Research Institute fait également apparaitre des écarts en fonction des secteurs : les salariés qui travaillent dans l’éducation et la santé sont les plus nombreux à estimer être sous-payés (65 %), devant ceux évoluant dans l’industrie (60 %), le commerce (59 %), le transport et la logistique (58 %). A l’opposé, les travailleurs du secteur des médias et de l’information sont seulement 29% à juger être sous-payés.

Ces sentiments rencontrent bien des réalités plus descriptives, et l’on sait que les secteurs de l’éducation et de la santé sont malmenés depuis bien longtemps en termes de rémunération, au regard de leur investissement professionnel ; mais il ne fait pas de doute que leur rôle essentiel pendant la crise sanitaire a encore mis ces réalités en relief !

Des attentes plurielles

Si les salariés français ne sont que 9 % à ne se satisfaire de rien d’autre qu’une augmentation de salaire, les compensations liées au coût de la vie sont importantes (Prime exceptionnelle : 43 % ; bons d’achats ou cartes cadeaux : 36 % ; virement exceptionnel pour aider à lutter contre l’augmentation du coût de la vie : 25 % ; bons de garde d’enfant : 15 % ; augmentation de la fréquence de paie : 11 %), ainsi que celles liées à la flexibilité et à l’équilibre de vie (Bons de voyage : 37 % ; Congés payés supplémentaires : 32% ; semaine de travail plus courte : 25 % ; adhésion à un club sportif : 10 %).

On voit au travers de ces éléments que le rapport au travail est de plus en plus lié aux conditions de vie, que ce soit sur le plan financier, en termes de pouvoir d’achat, ou de celui de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La rétribution globale, intégrant tous les facteurs de qualité de vie, prend sans doute un peu le pas sur la seule attente du montant salarial net, et cela se vérifie surtout chez les jeunes.

Les entreprises vont devoir tenir compte de ces évolutions dans la gestion de leurs talents et leurs recrutements. Comme l’a écrit Marie-Sophie Zambeaux dans un article sur RH info : « “Pénurie de talents: sauf à habiter dans une grotte, vous n’avez pas pu échapper à cette expression. Or, pour moi, cette dernière est fausse. Il n’y a pas moins de candidats ou de talents, ils sont juste plus difficiles à convaincre et cela nécessite donc d’accepter et d’être prêt à changer et à adapter ses pratiques. »

People at Work 2023 : l'étude Workforce View

People at Work 2023

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Tags: Subordination Obéissance Professionnalisme

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