Plus de 90 % des entreprises proposent, à date, à leurs collaborateurs des systèmes de rémunération variable récompensant l’atteinte d’objectifs qualitatifs et/ou quantitatifs. [1] Ces systèmes se taillent la part du lion en France et sont peu contestés.

Ils ont pour objectif d’inciter les collaborateurs à être plus motivés, investis et performants et reposent essentiellement, avouons-le, sur le bon vieux principe de la « carotte et du bâton ».

Pourtant de plus en plus d’organisations et plus précisément de start-up et scale-up décident de s’en affranchir et de supprimer, purement et simplement, les variables individuels et ce même pour la population des commerciaux qui est, spontanément, la population qui semble la plus concernée et la plus pertinente pour ce système.

Pourquoi ? Parce que ces entreprises estiment que les variables individuels n'impactent pas forcément positivement la motivation ni la performance des salariés concernés et qu’elles considèrent, surtout, qu’il y a plus d’avantages à supprimer le variable individuel qu’à le conserver.

Surpris par la démarche ? Je vous propose de passer en revue les principaux bénéfices à attendre de la suppression des variables individuels puis de revenir, de manière générale, sur les limites inhérentes au variable individuel.

Les avantages de la suppression du variable individuel

Pour évoquer les avantages de la suppression du variable individuel, je me fonde sur le cas d’Alan, scale-up française d’assurance santé, et sur sa pratique concernant son équipe commerciale décrite dans un livre qui vient tout juste d’être publié intitulé « Quand les start-up, scale-up et licornes réinventent les RH » de Michel Barabel et Pierre Monclos [2] et que je recommande.

Cinq principaux bénéfices sont mis en avant pour justifier et légitimer la remise en cause des variables individuels :

  1. 🔭 Cela permet de recruter des commerciaux plus intéressés par la mission et la pérennité long terme de l'entreprise que par leurs propres profits personnels à court terme. ;
  1. 🤝 Cela favorise une meilleure collaboration au sein de l'équipe commerciale où on ne se tire plus entre les pattes et où les autres commerciaux ne sont plus considérés comme des « concurrents » directs. ;
  1. ✨ Cela améliore l'expérience des prospects et des clients puisque les intérêts de ces derniers sont clairement priorisés versus l'intérêt personnel économique d'un commercial. Ainsi, en l’absence d’un commercial ( congés, etc…), les autres commerciaux prendront plus aisément le relais auprès de son client afin de répondre à ses questions et de lui venir en aide. ;
  1. 🧩 Cela rappelle, à juste titre, que chaque équipe contribue, à sa manière, à la croissance de l'entreprise et pas juste l'équipe commerciale qui est souvent la principale à ramasser les lauriers au détriment d'autres fonctions plus dans l'ombre ;
  1. 🧠 Enfin, cela permet de faire participer et contribuer les commerciaux à un grand nombre de sujets et réflexions structurantes (stratégie, marketing,... ) dont l'impact business sera visible à moyen ou long terme. Avec un système traditionnel de variable individuel, il est plus difficile de mobiliser les commerciaux sur ces sujets transverses d’entreprise car le temps qu’ils y consacrent est vécu comme autant de temps « perdu » à tenter d’atteindre leurs objectifs commerciaux et à décrocher l’intégralité de leur variable individuel.

En filigrane, on se rend compte qu’avec la fin du variable individuel, l’accent est davantage mis sur le moyen et long terme pour le plus grand bénéfice de l’organisation, de ses clients, prospects, collaborateurs, commerciaux et de ses futurs candidats.

La suppression du variable individuel est également une bonne chose en soi car les inconvénients inhérents à ce mode de rémunération sont nombreux.

Inconvénients du variable individuel

  1. Le premier inconvénient du variable individuel est que, comme son nom l’indique, il est variable et donc non garanti, j’enfonce une porte ouverte. Ce n’est donc pas le plus attractif que ce soit pour les candidats ou bien pour les collaborateurs qui, forcément, préfèrent du fixe plus rassurant et sécurisant.
  1. Deuxième inconvénient : il n’est pas toujours évident, en fonction des métiers et des postes, de définir avec précision et clarté des objectifs mesurables et de déterminer, de manière non équivoque, si un collaborateur mérite ou non le variable et si oui dans quelle proportion. Les règles de déclenchement du variable sont, en effet, souvent opaques et sujettes à interprétation suscitant incompréhension et mécontentement. Cela revient également à faire fi de l’importance de la coopération au travailproblématique, isn’t it ?
  1. Troisième inconvénient, les objectifs et les règles de déclenchement du variable sont définis à un instant t et sont donc étroitement liés à un contexte précis. Or ce dernier peut être amené à fortement évoluer au cours de l’année et rendre ainsi les objectifs non plus ambitieux mais inatteignables voire caduques.
  1. Quatrième inconvénient, l’existence d’un variable individuel a la forte tendance à cristalliser tous les échanges entre un collaborateur et son manager sur l’atteinte ou non du seuil de déclenchement du variable lors des entretiens annuels ou entretiens d’évaluation. Tel un bulldozer, ce sujet du variable individuel va tout balayer et emporter sur son passage et l’entretien va tourner uniquement autour du variable individuel au lieu d’être un moment d’échange sur les réussites et les axes d’amélioration du collaborateur le privant ainsi d’un feedback constructif.
  1. Cinquième inconvénient, le variable individuel exerce un effet substantiellement négatif sur la motivation intrinsèque des collaborateurs. [1] Or la motivation intrinsèque à savoir réaliser une tâche qui nous est confiée parce qu’elle nous anime et que nous y trouvons du sens est la meilleure manière de motiver et d’engager durablement ses collaborateurs.
  1. Sixième inconvénient, l’introduction de facteurs de motivation externes tels qu’une prime nuit à la créativité. Cela a été prouvé à de nombreuses reprises et, entre autres, par une expérience menée par Sam Glucksberg à partir de l’expérience de la bougie de Karl Duncker. [3] Il en résulte qu’une récompense financière a tendance à engourdir la pensée et à bloquer la créativité.
  1. Septième et dernier inconvénient, les variables individuels peuvent conduire à des résultats tout simplement absurdes et tout particulièrement dans le cas où la performance attendue résulte d’une forte coopération entre les membres d’une équipe ou d’une organisation.

Maya Beauvallet le décrit parfaitement bien dans son livre « Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux » avec l’exemple du footballeur Ken O’Brien qui « avait un petit défaut : il ratait beaucoup de ses passes et rendait trop souvent la balle à l’adversaire. Pour remédier à ce problème, son équipe, les New York Jets, lui proposa un nouveau contrat de travail qui liait le montant de son salaire à un indicateur de passes manquées. Désormais, plus il rendait la balle à l’adversaire et moins son salaire serait élevé ; inversement, moins il rendait la balle et plus son salaire augmenterait. Le résultat ne se fit pas attendre : Ken O’Brien ne passa plus la balle à l’équipe adverse. Le problème est qu’il ne la passa plus non plus à ses propres coéquipiers, se contentant de la garder le plus longtemps possible par souci de ne surtout pas la perdre … » [ 4]

Cela rejoint l’article que j’ai écrit sur le fameux effet cobra [ 5].

Conclusion

Censés inciter les collaborateurs à être plus motivés et performants, les variables individuels sont fortement implantés et ancrés en France et semblent faire l’unanimité.

De plus en plus d’organisations commencent cependant à challenger ce système et à vouloir s’en affranchir. C’est le cas notamment des start-up et scale-up souvent à la pointe et innovantes en termes de gestion des ressources humaines.

Elles sont ainsi nombreuses à avoir décidé de supprimer, purement et simplement, les variables individuels leur reprochant d’inciter leurs collaborateurs à la « jouer trop perso » au détriment des intérêts long terme de l’organisation.

Références

[1] Article « Faut-il supprimer les rémunérations variables ? » de Frédéric Cordel | HBR France

[2] Livre « Quand les start-up, scale-up et licornes réinventent les RH » de Michel Barabel et Pierre Monclos | éditions Dunod

[3] Article « Motivation : on vous en partage tous les secrets avec Dan Pink ! » | Motivation : on vous en partage tous les secrets avec Dan Pink ! (changethework.com)

[4] Livre « Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux » de Maya Beauvallet

[5] Article « L’effet cobra » de Marie-Sophie Zambeaux | RH info

Tags: Rémunération variable Management GRH