Comment les salariés français perçoivent les différentes transformations digitales en cours ? Le présent article s’attache à cette question centrale. C’est le deuxième volet présentant les résultats de l’étude sur « Les salariés français à l’ère des transformations ». Le premier volet a proposé un panorama global du rapport des salariés à l’ensemble des transformations en cours (digitales, écologiques, économiques, sociétales, géopolitiques, sanitaires et de santé). 

Pour rappel, cette étude a été conduite conjointement par le HRM Transformations Lab (ex HRM Digital Lab) d’Institut Mines-Télécom Business School et la chaire « Inventivités Digitales » de la même institution. Elle est composée de 74 questions. Elle a été administrée en janvier 2023 auprès d’un échantillon représentatif de 1 002 salariés français (représentatif en genre, âge, régions, secteurs d’activités principaux et catégories principales de métiers) par le panéliste Bilendi.

Volet 2 – Le rapport des salariés français aux transformations digitales

Le volet 1 de cet article a mis en exergue l’inquiétude forte des salariés face aux différentes transformations en cours. Dans le quatuor de tête, se retrouvent l’inquiétude concernant le pouvoir d’achat (75% de répondants inquiets ou très inquiets), le risque d’une potentielle crise sociale (73%), la crise écologique (72%) et le fait de rencontrer des problèmes potentiels de santé dans les années à venir (70%). Contrairement à ses consœurs, la transformation digitale, considérée dans sa globalité, génère une inquiétude beaucoup plus modérée. Ainsi 36% des salariés interrogés se déclarent inquiets quant à cette transformation contre 34% à ne pas l’être. 28% des répondants ont adopté une position neutre. Plus globalement, l’analyse des résultats de l’étude permet de dégager trois tendances centrales :

  • Un positionnement des salariés face à la transformation digitale, prise dans son ensemble, positif,
  • Un positionnement des salariés face à la transformation digitale de la fonction RH également positif,
  • Des points d’attention comme les effets de la sur-numérisation au travail et le rapport globalement négatif des salariés français à la robotique.

Ces trois tendances sont développées ci-après. 

1. Transformation digitale : un positionnement positif des salariés

S’il faut encore s’en convaincre, le numérique occupe aujourd’hui une place importante, parfois centrale, dans le travail des salariés français. Ainsi 91,5 % d’entre eux estiment avoir recours au numérique pour réaliser leurs tâches d’une manière ou d’une autre. Ils sont 49,5%, soit un salarié sur deux, à estimer que le numérique est au cœur de leur métier (14,5%) ou qu’il occupe une place importante dans leur travail au quotidien (35%). Ils ne sont que 6,5% à indiquer ne pas avoir recours au numérique dans leur travail. Sur un autre aspect, ils sont 81%, plus de deux salariés sur trois, à estimer que le numérique a modifié leur travail dans les dernières années.

Il est intéressant de noter que les salariés ont un recours massif à des solutions numériques externes à leur organisation. Pour donner quelques chiffres significatifs, ils sont 68,5% à utiliser des solutions de communication externes tous les jours ou quelques fois par semaine. 52% d’entre eux, sur les mêmes items, ont recours à des solutions de travail collaboratif externes. Toujours suivant les mêmes items de réponse, 42,5% s’emparent de solutions externes à leur organisation afin de mieux organiser leur travail (Doodle, Evernote …).

Ces modifications sur le travail sont perçues majoritairement de manière positive ou neutre. 32% des répondants estiment en effet que le numérique a transformé leur travail et le rend plus intéressant. Pour 45%, le numérique n’a pas eu d’impact majeur sur leur métier. Ils ne sont que 16% à considérer que les modifications induites par le numérique sur leur travail le rend moins intéressant. Ils sont même 35%, soit un peu plus d’un salarié sur trois, à penser que leur organisation devrait aller plus loin dans sa transformation digitale contre 17% à penser l’inverse. 40% des répondants ont une position neutre sur cette question. Sur une autre question, 37% des répondants se déclarent être des utilisateurs passionnés ou confirmés du numérique, soit là encore un peu plus d’un salarié sur trois. Ils ne sont que 9,5% à se déclarer être des utilisateurs peu enthousiastes ou contraints et forcés.

Côté compétences, 60% des salariés estiment avoir une très bonne ou bonne maîtrise du numérique. Ils ne sont que 7,5% à estimer avoir une maîtrise insuffisante ou très insuffisante du numérique. Néanmoins, considéré outil numérique par outil numérique, des disparités existent. Par exemple, 43% des répondants déclarent avoir une très bonne ou bonne maîtrise des outils de présentation comme PowerPoint, contre 29% à en avoir une mauvaise ou très mauvaise maîtrise. La tendance est complètement inverse sur des outils de création de vidéos comme Powtoon. 9% des répondants seulement estiment avoir une très bonne ou bonne maîtrise de ce type d’outil numérique. Ils sont 50% à indiquer en avoir une mauvaise ou très mauvaise maîtrise.

Il est important de noter que cette étude a été administrée en janvier 2023. ChatGPT, et plus globalement les IA génératives, commençaient tout juste leur entrée dans le travail quotidien des salariés.

2. Transformation digitale de la fonction RH : un positionnement toujours positif des salariés

La transformation digitale de la fonction RH recouvre deux dimensions : la transformation des processus RH en eux-mêmes (recrutement, formation, paie…) et l’accompagnement par la fonction RH des transformations digitales de l’entreprise, notamment celles du travail.

Sur la deuxième dimension, le fait le plus marquant depuis la crise de la Covid-19 est la pérennisation du télétravail dans le travail quotidien d’une partie des salariés français. Selon les résultats de l’étude, ils sont un peu plus d’un salarié sur trois à indiquer avoir des possibilités de télétravail au sein de leur organisation, 37,5% très précisément. 11,5% de ces mêmes salariés ont accès à un jour fixe ou flottant dans la semaine, 12,5% à deux jours fixes ou flottants, 3,5% à trois jours fixes ou flottants, 2% à 4 jours toujours flottants ou fixes et 2% à être en full télétravail. Interrogés sur les bénéfices potentiels du télétravail, les résultats sont sans appel avec des avis très largement positifs : réduction de la fatigue, meilleure conciliation vie privée / professionnelle, meilleure organisation du travail au quotidien, travail plus efficace…

Sur la première dimension, la transformation des processus RH en eux-mêmes, les salariés ont été interrogés quant à la praticité du bulletin de paie dématérialisé et l’intérêt du e-learning. Un peu plus de deux salariés sur trois indiquent avoir accès à leur bulletin de paie de manière dématérialisée, 77 % très exactement. Ils sont 44% à trouver ce format pratique, soit presque un salarié sur deux. Ils ne sont que 16% à le trouver peu ou pas pratique. En ce qui concerne le e-learning, un peu plus d’un salarié sur deux (53%) a déjà suivi des modules d’autoformation e-learning dans son institution. Ils sont 28% à trouver ce format de formation intéressant contre 9% à ne pas le trouver intéressant. Ces résultats vont dans le sens d’une enquête conduite en 2021 sur un échantillon diversifié (mais non statistiquement représentatif) de salariés français. Ces résultats montraient une appétence des salariés aux dispositifs numériques appliqués aux processus RH ainsi qu’une demande de simplification des démarches via la dématérialisation. L’étude est consultable à l’adresse suivante : https://www.fr.adp.com/rhinfo/articles/2022/01/et-si-les-rh-navaient-pas-si-mauvaise-presse-2.aspx

En 2016, la première étude conduite par le HRM Transformations Lab en partenariat avec le CFA EVE et le Groupe OpenSourcing révélait l’existence de la figure du « salarié Self RH ». Ce salarié s’empare des possibilités offertes par le numérique pour gérer, de manière autonome et indépendante de son organisation, le développement de ses compétences, la revente de ses compétences ou encore plus globalement sa réputation numérique. Les résultats de la dernière étude conduite en partenariat avec la chaire « Inventivités Digitales » montre la persistance de cette figure. En 2016, 52% des salariés français interrogés indiquaient développer des pratiques d’apprentissage informel numérique à savoir, recourir à des modalités pédagogiques d’autoformation en dehors de celles proposées par leur entreprise (tutoriels vidéo sur Internet, lecture d’articles numériques, échanges sur des forums de discussion…). Ils sont aujourd’hui 66%. Sur la gestion de leur réputation numérique (avoir un compte LinkedIn, reposter des contenus, développer des contenus…), ils sont passés de 43% en 2016 à 58,5%. Plus stable, la pratique de la vente des compétences via des plateformes étaient de 10% en 2016. Elle est aujourd’hui de 12,5%.

3. Points d’attention : sur-numérisation et robotique

« La sur-numérisation procède d’un empilement vertical et horizontal d’applications et de logiciels. (…). L’empilement vertical se caractérise par une prolifération d’outils numériques permettant de répondre à une même fonction. Par exemple, pour communiquer, les professionnels RH, comme d’autres professionnels, peuvent avoir à leur disposition un téléphone portable, une messagerie électronique, WhatsApp, les différents systèmes de communication supportés par Teams et bien d’autres systèmes. L’empilement horizontal correspond à une prolifération d’outils numériques permettant de répondre à des fonctions différentes. Par exemple, il y a une solution pour gérer les temps de travail, une solution pour gérer la paie à proprement parler, une solution pour gérer les recrutements, une solution pour produire des contenus e-learning. » (Source : https://www.fr.adp.com/rhinfo/articles/2022/11/transformation-digitale-de-la-fonction-rh-legitimite-et-surnumerisation.aspx ). Interrogés sur les effets de cette sur-numérisation dans leur quotidien de travail, les salariés français ont exprimé des résultats sans appel. 61,5% estiment devoir être plus réactifs qu’avant contre 12,5% à penser le contraire. 52,5% ressentent une fatigue cognitive plus importante contre 18,5% à ne pas en ressentir ou faiblement. 59% estiment avoir de plus en plus d’informations à traiter contre 12,5% à exprimer un avis contraire. 45,5% ont le sentiment d’être plus contrôlés contre 20% à indiquer à ne pas ressentir, ou faiblement, une surveillance accrue. 46% ressentent un rythme de plus en plus soutenu contre 16,5% à ne pas le ressentir ou faiblement.

Pour terminer provisoirement cette analyse, nous avons vu au démarrage de cet article que les salariés français ont une perception positive de la transformation digitale. Ce résultat n’est pas valable sur la dimension robotique de cette transformation. 33,5% des répondants estiment que le travail avec des robots serait peu ou pas intéressant contre 26% à penser l’inverse. 17% expriment une opinion neutre. De manière plus marquée, 43% d’entre eux estiment que la robotique ne rendrait pas ou peu leur travail plus facile. Ils sont 27,5% à exprimer l’idée inverse. Toujours de manière plus marquée, 66% pensent que le développement de la robotique va détruire des emplois.
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Si vous avez trouvé ces résultats intéressants, n’hésitez pas à consulter l’article précédent. Les rédacteurs remercient infiniment Séverine Halopeau pour sa patiente relecture. Ils restent évidemment seuls responsables du contenu de cet article.

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