Management et leadership en entreprise

Crise du travail ou crise des conditions du travail ?

Crise du travail ou crise des conditions de travail ?

Quand l'histoire bégaie !

Dans son livre « ces princes du management » sorti en 1970 et préfacé par Henri Guillemin (l’historien), Henri Hartung aborde tous les travers d’une science du management qu’il qualifiait déjà à l’époque de « philosophie inspirée par la conjoncture ».

Quelques extraits :

 « L'entrepreneur ne se contente pas de ce qui devrait être sa vocation : produire des biens et distribuer des services destinés à satisfaire des besoins normaux du corps, des exigences sociales et des aspirations spirituelles ; il se veut aussi inspirateur de ces satisfactions afin de trouver dans ses activités une finalité intrinsèque. Un universitaire français a facilité ce malentendu et par là même a rendu un très mauvais service aux chefs d'entreprises en qualifiant ceux-ci de philosophes en action. Si cette expression, au lieu de faire sourire, a rencontré une telle audience, c'est en raison, certes, de la fatuité de certains responsables industriels, mais aussi de l'absence de vrais philosophes ou, quand ils existent, de leur faible audience. Il n'est évidemment pas grave pour un chef d'entreprise de se prendre pour un philosophe. Pas grave parce que pas sérieux ».

« Le bilan apparaît ainsi comme accablant : des conditions de travail qui ne facilitent plus le développement de l'efficacité, de l'initiative ou de l'épargne, que chez un pourcentage infime de travailleurs ; une finalité limitée le plus souvent à la simple rentabilité ; un refus de toute
transcendance ; une imprégnation psychologique limitant toute action à sa signification immédiate et matérielle et faisant du moyen une fin, l'activisme dans l'expansion devenant ainsi un objectif qualifié de philosophique ; une atmosphère de duplicité, de coalitions, de calculs et de mensonges qui détruit tout au long des années ce qui fait la grandeur de la personne humaine : sa droiture et sa pureté, qualités rapidement cataloguées comme naïves et peu rentables ».

« Il ne saurait y avoir aujourd'hui une « doctrine » susceptible d'apporter des solutions aux problèmes actuels posés par le monde des affaires sans que soit, préalablement à toutes les questions techniques, posé et résolu le problème social de milliers et de dizaines de milliers de travailleurs. Que les dirigeants ne l'aient pas encore compris, ou qu'ils ne soient pas capables de le résoudre, ou, pis encore, qu'ils n'estiment pas nécessaire de le faire, est en soi assez préoccupant ou, pour mieux dire, dramatique. Et ce ne sont certainement pas les confusions entre la philosophie et la conjoncture qui pourront atténuer notre souci. Tout au plus amusent-elles quelques spécialistes, entretiennent-elles quelques colloques platoniques comme
elles font vivre les promoteurs d'un recyclage indéfini dans les domaines de spécialités aussi « nécessaires » que « nouvelles » ».

 Il n’est donc pas étonnant qu’on parle de la « crise du travail » depuis au moins plus de 70 ans sans en voir le bout. Ainsi, en 1945, la « crise du travail » (l’expression était déjà consacrée), avait engendré dans le débat public des discours arguant de la nécessité de remettre de l’autorité dans le pays et dans le travail pour lutter contre la « paresse presque culturelle » des français.

Nous avons exactement les mêmes discours aujourd’hui avec la supposée paresse « des » chômeurs. D’ailleurs, le gouvernement souhaite encore durcir les règles de l’assurance chômage. C’est l’expression du fameux traitantisme : plus les problèmes sont considérés comme sérieux, dignes d’intérêts et urgents, plus on cherche à les résoudre en traitant l’Homme. Dès lors, plus on traite l’Homme, plus on se désintéresse du travail agonisant ou de toute autre cause organique pouvant expliquer l’origine des problèmes.

Auguste Detoeuf, polytechnicien, capitaine d’industrie et fondateur d’Alstom, s’insurgea contre une telle analyse simpliste par le truchement d’une tribune dans Le Figaro du 1er juillet 1945 avec notamment ce cri du cœur et de la raison « il n’y n’a pas de goût du travail si la nourriture du travailleur est insuffisante ». L’autorité dixit Detoeuf ne peut « qu’établir l’ordre et la continuité du travail » mais n’a pas de prise sur « la joie au travail » ni sur le « rendement de l’atelier ».

Au moment où les conditions de subsistance de nombreux français se détériorent à cause de l’inflation, l’histoire nous aide à poser ce constat fondamental : il n’a pas de crise en soi du travail mais une crise des conditions du travail car il n’y a pas de sens au travail sans d’une part, la capacité de faire un travail de qualité et d’autre part, la capacité de vivre dignement de son travail.

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