Management et leadership en entreprise

La personne du milieu

Un manager est toujours au milieu de deux forces

Par personne du milieu nous ne faisons pas référence au narcotrafic ou au grand banditisme mais simplement à une caractéristique essentielle du manager, du leader, du chef de projet, du chargé de mission, du chef d’équipe, etc. Il ou elle est au milieu, entre des patrons et des subordonnés, des dirigeants et des employés, entre des donneurs d’ordres et ceux qui peuvent les exécuter. Etre la personne du milieu c’est le propre du chef, quelle que soit sa dénomination.

Le rappeler, c’est gommer l’image trop complaisamment et faussement répandue d’un leader seul contre tous ou d’un chef dont l’étymologie signifie la tête (sans couvre-chef généralement) ; c’est aussi remettre en question la figure de ceux qui ne se considèrent que comme des sous-quelque chose alors qu’il existe le plus souvent quelqu’un qui dépend d’eux. Le rappeler, c’est laisser la porte ouverte au lecteur pour imaginer les métaphores plus ou moins valorisantes qui lui conviennent le mieux : le marteau et l’enclume, le jambon dans le sandwich, le siège médian en classe sardine sur Air Pygmée, l’entre-deux, la charnière, le pont entre deux bords, etc.

Les deux pièges de la personne du milieu.

Le management tel que beaucoup le vivent, dans des organisations, qu’elles soient très verticales, horizontales, sur un mode de projets ou autres innovations de travail collaboratif, c’est avant tout être au milieu, entre des personnes de position différente. Cette position est souvent inconfortable et la personne du milieu, le manager, doit surtout s’efforcer d’éviter deux pièges, celui du petit télégraphiste ou celui du délégué du personnel. Dans les deux cas, ce sont des postures délétères qui l’empêchent de jouer son rôle et qui lui causent plus de tourment que ce qu’il espère éviter.

Le petit télégraphiste est celui dont le rôle se réduit à faire passer en-dessous ce qui lui vient du dessus. Il passe les messages, transmet l’information, joue le rôle du big boss auprès de ses équipes. Le petit télégraphiste répond bien aux attentes souvent tacites des leaders d’en haut. C’est le syndrome du grognard : la caste des leaders et dirigeants, ceux du dessus, rêvent de managers grognards, qui râlent de temps en temps pour le folklore, mais suivent fidèlement les directives du haut en repartant marcher sur la Berezina gelée. Les grognards râlent mais avancent dans la direction des dirigeants qui ne cessent d’ailleurs de les considérer comme des subordonnés, ceux dont la mission est uniquement de transmettre et mettre en œuvre ce qui a été décidé plus haut.

Le petit télégraphiste semble aussi apporter quelques avantages à ceux qui s’y abandonnent. Ils n’ont qu’à transmettre, ils ne sont pas obligés d’expliquer, d’approuver, de justifier, de prendre en charge. Ils peuvent jouer le jeu du : « on est tous pareils », « ce n’est pas de ma faute », « je n’y peux rien », « je suis bien d’accord avec vous mais », etc. De tout ce qui survient, rien n’est de leur faute, ils n’y sont pour rien. C’est quand même confortable.

Le piège du petit télégraphiste se referme rapidement sur ceux qui s’y laissent aller : s’ils ne sont pour rien à rien, alors à quoi servent-ils ? Leurs collaborateurs ne manquent pas, sinon de le leur dire, du moins d’agir en conséquence. Son manager n’est plus son manager mais un représentant du management, servant en cela cette vision des organisations où tout ce qui nous dépasse est du même ordre. Non seulement le petit télégraphiste attire le mépris de ses subordonnés mais il n’a aucune garantie de ses supérieurs : s’ils ne jouent que le rôle du cheneau, ils peuvent sans doute être avantageusement remplacés, par des stagiaires ou des assistants IA, qui en sont la nouvelle déclinaison. Un des enjeux de l’aplatissement des structures était bien aussi de réduire le nombre de ces personnes du milieu considérées comme improductives plutôt que de les aider à être plus productives.

Le second piège est celui du délégué du personnel. La personne du milieu prend alors fait et cause pour ses collaborateurs, les membres de son équipe. Il en est le porte-parole, il transmet vers le haut ce qui vient de leur part. Plusieurs dynamiques organisationnelles suscitent cette posture. La première, c’est qu’on a aplati les structures et diminué le nombre de niveaux hiérarchiques. De ce fait, beaucoup de managers se sentent plus proches de leurs collaborateurs que de leurs patrons et ont tendance à faire collusion avec eux. Plus encore on a développé le travail en équipe ou en projet et la dynamique de ces équipes crée souvent un fort attachement aux personnes que l’on côtoie plus, avec lesquelles on travaille plus étroitement. Il n’est pas rare d’observer parfois un engagement plus fort au succès de l’équipe qu’à celui de l’entreprise qu’elle est censée servir.

Un autre phénomène n’est pas à négliger, celui de la pression des collaborateurs. Etant donné que le plafond de verre concerne plutôt aujourd’hui les managers d’en bas d’un côté et les leaders d’en haut de l’autre, il est compréhensible que beaucoup de ces managers d’en bas, non seulement se sentent plus proches de leurs collaborateurs mais, plus encore, collent à ceux-ci étant donné leur manque de perspective de progression, c’est ce qui peut leur paraître apporter le plus grand confort. Et souvenons-nous du grognard : c’est une illusion pour les dirigeants de croire que tous les managers, forts de ce titre, seront forcément en ligne avec les dirigeants : on peut facilement aujourd’hui avoir dans nos organisations des managers qui râlent (ou non) mais n’avancent plus dans le sens des politiques de la maison. Coller à ses équipes permet donc à beaucoup de managers d’exprimer autrement leurs désaccords ou insatisfactions.

Cette stratégie du délégué du personnel est tout autant vouée à l’échec. La première raison en est que les collaborateurs vous voient toujours comme un manager, quels que soient vos comportements, quelles que soient, souvent, vos intentions bienveillantes de jouer le jeu de la camaraderie ou de la proximité : dans toute organisation, le manager existe aussi par son rôle, sa position et les intentions que les autres lui prêtent, même si c’est à son corps défendant. C’est la difficulté rencontrée par beaucoup de managers issus de l’équipe qu’ils ont maintenant à diriger : ils ont la naïveté de vouloir conserver les mêmes rapports avec leurs collègues mais ils n’en sont pas les seuls décideurs et les autres comprennent vite leur changement de position pour agir en fonction. La seconde raison est encore plus évidente : les patrons ont déjà des délégués du personnel et n’attendent pas de leurs managers de jouer ce rôle : ils vont très vite le leur faire comprendre.

Exister

Exister comme personne du milieu est le seul moyen pour le manager d’éviter ces dynamiques d’échec. Exister pour la personne du milieu exige de prendre la mesure de la position occupée et d’en tirer quelques conséquences managériales.

Prendre la mesure de la position occupée, cela signifie au moins trois choses capitales. Premièrement, la personne du milieu a une valeur à apporter, une contribution à fournir, différente de celle de ses patrons ou de ses collaborateurs. La personne du milieu doit être claire sur ce qu’elle doit délivrer. Deuxièmement et conséquemment, la personne du milieu n’a pas les mêmes intérêts et objectifs que ses patrons ou collaborateurs : derrière la grande idée générale de tous travailler pour le même but, quelle que soit la position, il existe des intérêts spécifiques et la personne du milieu doit être claire sur ses intérêts, différents, sans être forcément opposés, de ceux des autres. Enfin, la personne du milieu, dans sa position, n’a pas la même échelle de temps que ses patrons ou collaborateurs : les dirigeants fonctionnent à l’aune du terme de leurs stratégies, plans opérationnels et objectifs de carrière, bien différente de celle des collaborateurs.

De tout cela découle plusieurs conséquences concrètes pour la pratique de la personne du milieu, qui sont rarement inscrites dans les définitions de fonction et tout aussi rarement évoquées avec son supérieur lors des entretiens annuels. Premièrement, elle doit reconnaitre sa marge de liberté à ce poste, clarifier sa stratégie personnelle, mesurer ses capacités, repérer les opportunités, faire des alliances avec les uns ou les autres pour assumer correctement sa fonction : cela s’opère sans s’assimiler aux autres, en acceptant cette marge de liberté et en l’utilisant.

Deuxièmement, la personne du milieu doit se rappeler en permanence que son équipe ou son projet sont le fondement de sa position. Quelles que soient les évolutions et transformations, le maintien de cette équipe doit demeurer une préoccupation première ; même si les changements s’opèrent, même si les dirigeants changent, l’ambiance, la compétence et la motivation de son équipe demeureront la ressource première de la personne du milieu. Les équipes survivent souvent aux dirigeants et il fajut savoir préserver l’avenir.

Troisièmement, la personne du milieu doit se rappeler que sa fonction ne consiste pas seulement à manager ses collaborateurs mais aussi son patron ; je sais que les managers sont généralement plus habiles à faire avec leurs patrons qu’avec leurs collaborateurs mais gérer son patron réclame quand même de la finesse, la prise en compte des intérêts réciproques, la recherche de compromis. La personne du milieu sait ainsi quelles alliances opérer selon les circonstances, en ne tombant jamais dans l’illusion que son salut se situe d’un seul côté, celui de ses collaborateurs ou celui de son patron.

Enfin, la personne du milieu doit se garder de tous les simplismes rabâchés sur le management, que cela concerne la transparence, la participation ou la responsabilité. Etre la personne du milieu demande du discernement, quand il faut dans certains cas ouvrir le parapluie pour protéger les collaborateurs de ce qui vient du haut et se garder de transmettre vers le haut tout ce qui se passe en bas : la finesse de l’exercice des responsabilités se trouve dans ce discernement même s’il n’est pas toujours aisé.

Les managers sont personnes du milieu mais tout le monde l’est quelque peu dans les organisations où le travail est collaboration, où chacun dépend des autres. Si un jour les formations managériales s’adressaient aux managés, ce serait évidemment une belle thématique à approfondir.

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