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Management et leadership en entreprise

Il ne faut pas rassurer…

Il ne faut pas rassurer

Il ne faut pas rassurer. Beaucoup de dirigeants, experts, formateurs disent l’inverse aux managers et leaders de tout poil, surtout quand les organisations sont soumises à un niveau d’incertitude élevé dans un environnement nouveau, non maitrisé et, disons-le, plutôt effrayant, que ce soit au niveau de notre planète malade, de la paix universelle menacée, de notre société éclatée et de nos entreprises fragilisées dans un contexte économique et politique peu porteur. Il semble donc évident à certains qu’il faut rassurer les salariés, en particulier, dans les entreprises.

Plus personne ne discute le niveau de peur, de menace, de sentiment de vulnérabilité (notion très tendance aujourd’hui) et on s’interroge donc logiquement sur la bonne manière d’ajuster les attitudes managériales à ce climat anxiogène. La peur est une émotion utile quand elle suscite l’attention au danger, pour en prendre conscience et donc de s’en protéger, mais on sait aussi qu’elle est désagréable, elle crée du mal-être et douche les capacités d’action. S’il est des cas – pas toujours prévisibles d’ailleurs pour les personnes elles-mêmes – où elle peut stimuler les personnes en leur faisant accomplir des actions qu’elles n’auraient jamais imaginées, la peur peut aussi inhiber, pousser les personnes à se terrer dans les premiers refuges physiques ou psychologiques trouvés. Les managers, très logiquement, veulent maintenir un niveau de motivation de dynamisme qui s’avère d’autant plus nécessaire dans ces situations critiques. Le manager rêve aussi d’une situation apaisée, sereine, non perturbée par des émotions perturbantes qu’ils ne savent pas forcément gérer. C’est un rêve légitime d’avoir des équipes rassurées mais ce n’est pas parce que ce niveau de réassurance est idéal que l’on peut forcément le créer et l’obtenir.

Il ne serait donc pas impossible que dans le niveau d’incertitude et d’angoisse actuel un nouveau qualificatif de leader idéal s’impose : le leader rassurant, réassureur, apaisant, sécurisant ou tout autre qualificatif plutôt anglo-saxon qui prendrait le relais du bienveillant, serviteur, responsable, authentique, inclusif ou résilient…

Mais comme le problème se pose, encore faut-il faire état du besoin de rassurer, de clarifier pourquoi on ne devrait pas le faire tout en mettant en évidence les attitudes appropriées qui s’imposent au manager.

Besoin de rassurer

Le besoin de rassurer les autres semble assez répandu et les situations managériales ne sont qu’une illustration de ce besoin plus général. Dans le monde médical, les soignants veulent souvent rassurer les patients (je ne dis pas qu’ils s’y prennent toujours très bien). En ce qui concerne toutes les grandes questions économiques et politiques, les commentateurs et experts médiatiques tout comme les politiciens semblent répondre à une ligne éditoriale rassurante et la tonalité de leurs propos change quand ils sont à l’antenne ou en off : cela nous produit soit des débats hystérisés idéologiquement, soit de la guimauve sous l’air du « dormez tranquilles, bonnes gens ». A un niveau plus intime, on peut remarquer dans les familles aussi le souci des uns et des autres de rassurer leurs proches.

En management, cela se traduit par des politiques et pratiques de communication subtiles pour doser le dévoilement de la réalité, avec souvent de la langue de bois, comme s’il fallait repousser le plus possible la confrontation à des décisions ou des réalités dont on estime qu’elles ne sont pas rassurantes. Dans les situations de transformation, on est ainsi amené à parfois masquer la réalité des situations derrière la rationalité indiscutable de démarches de changement comme si la seule rationalité de l’approche avait comme objectif premier de donner l’impression rassurante que l’on maîtrise tout.

On veut répondre au besoin de rassurer mais encore faut-il comprendre pourquoi : que cherche-t-on à produire ou à éviter ? Vouloir rassurer peut être compris comme un souci d’être gentil, de protéger, d’éviter aux autres des émotions négatives, dans une perspective de bien-être. Une autre raison non exclusive est une appréhension vis-à-vis d’une situation où les personnes ne seraient pas rassurées ; cela pourrait les empêcher d’agir, déprimer ou casser des dynamiques. Mieux encore, rassurer les gens c’est éviter au « rassureur » d’avoir à supporter les réactions de quelqu’un qui ne serait pas rassuré ; rassurer peut donc aussi être compris comme un moyen de se protéger pour ne pas avoir à subir les attitudes et comportements imprévisibles de quelqu’un d’inquiet ou de paniquer.

Cela se décline dans les situations managériales. L’environnement de la société est déjà assez effrayant pour que l’on n’en rajoute pas avec des inquiétudes entretenues par le management. Comme, en plus, le travail est parfois le seul lieu de socialisation en dehors de sa structure-affectivo-partenariale, c’est là que pourraient s’épancher les effets délétères d’une inquiétude voire d’une angoisse, et le pauvre manager, qui a déjà tellement de problèmes à traiter, peut légitimement faire tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que chacun est rassuré. Et on a beau avoir formé les managers à l’intelligence émotionnelle, on peut comprendre que beaucoup ne sachent pas ou ne veuillent pas prendre en charge ces débordements émotionnels.

Pourquoi ne faut-il pas rassurer ?

La première raison est évidente : il n’y a rien de moins rassurant qu’une patronne ou un manager qui veut vous rassurer : quand votre manager vous parle de décisions ou de changements en vous demandant de ne pas vous inquiéter, cela vous met déjà la puce à l’oreille…

La deuxième raison, c’est que le plus souvent, vouloir rassurer ne sert à rien. Les médecins le disent souvent quand ils abordent la question terrible de dire ou non la vérité aux malades ; ils constatent le plus souvent que les personnes sont dans leur propre cinéma intérieur et que toute tentative d’un tiers de les confronter à la vérité ne sert pas à grand-chose : il y a ceux qui d’un long discours sur la gravité d’un diagnostic et l’incertitude d’un pronostic ne retiendront que la dernière éventuelle hypothèse positive en queue de discours et il y a ceux à qui vous pourrez prouver de toutes les manières l’absence de maladie mais qui continueront de faire des images de contrôle sans jamais être convaincu par le discours d’un praticien. Vouloir rassurer, c’est comme conduire sa voiture dans un brouillard très épais ; vous n’y voyez rien, vous vous agrippez au volant et vous rapprochez du pare-brise (ce qui d’ailleurs aide peu) et, dans cette situation critique votre passager vous dit « ne t’inquiète pas, c’est tout droit » ; c’est le genre de conseils qui ne font du bien qu’à ceux qui les donnent.

La troisième raison, c’est que travailler à rassurer peut aussi avoir l’effet de conforter un certain déni de la situation en retardant le moment où ils auront à prendre des décisions, à se lancer dans l’action. C’est l’effet délétère pour ceux qui ne veulent pas voir et qui, tels la Du Barry, sollicitent du bourreau quelques minutes supplémentaires…

La quatrième raison pour laquelle il ne faut pas essayer de rassurer n’est pas glorieuse mais il faut la considérer : étant donné le sort généralement réservé aux annonciateurs de mauvaises nouvelles, dire la vérité sans souci de rassurer s’avère parfois dangereux. On connait sur les questions sociétales les soupçons touchant les porteurs de vérité, ils ne peuvent qu’être des stratèges malveillants et la guimauve anesthésiante de la « rassurance » est sans doute moins dangereuse à court terme.

Ne pas rassurer mais faire quoi ?

Force est de constater que les causes potentielles de peur et d’angoisse existent dans notre société sur les plans écologique, géopolitique et évidemment économique. Ce que nous apprennent les mondes militaire ou médical qui ont en commun de voir leurs acteurs confrontés légitimement à la peur, c’est que leur souci premier n’est pas de rassurer mais au contraire de reconnaître cette peur et d’apprendre à vivre avec. De nombreuses pratiques existent pour ce faire comme l’exposition graduée, le renforcement d’une cohésion de groupe, des relectures fréquentes des expériences vécues et des simulations d’action parfois. Le point commun majeur c’est l’apprentissage à agir dans un contexte de peur.

Comparaison n’est pas raison et il ne faut pousser trop loin l’analogie entre la vie de croisière des institutions de travail et les deux institutions mentionnées plus haut. Mais elles nous permettent de visiter à nouveaux frais des pratiques managériales banales mais qui peuvent s’avérer utiles pour éviter de tomber dans l’illusion de la réassurance.

Premièrement, il faut s’assurer que le plus grand nombre de personnes dans l’entreprise comprennent ce qui se passe dans la société et dans l’économie ; une bonne formation en économie d’entreprise et en gestion ne permet pas de mettre tout le monde d’accord mais permet au moins que chacun comprenne la situation d’une manière un peu commune ; l’économie et les affaires en général sont devenues très complexes et la caste managériale bien formée surestime toujours la capacité de tous à comprendre la stratégie et la logique des opérations.

Deuxièmement, on n’investit jamais assez sur la cohésion du collectif ; c’est le point commun à toutes les institutions confrontées à la peur. Renforcer le collectif ne répond pas forcément à une demande des personnes, mais c’est la constitution pour l’entreprise d’une ressource indispensable.

Troisièmement, il ne faut pas nier les causes d’angoisse mais permettre aux personnes de développer une vision de la réalité qui ne se réduise pas à ces causes d’angoisse. Pour revenir à l’exemple précédent, agrippé au volant en plein brouillard, ce n’est pas les phrases rassurantes du passager qui vous rassurent mais plutôt les formes qui commencent de se dessiner de part et d’autre de la route et même si vous ne savez pas encore si ce sont des arbres ou des poteaux, vous commencez de comprendre qu’un vrai monde existe… On ne communique jamais suffisamment sur tout ce qui se fait dans les organisations : cela ne rassure pas mais cela montre que la réalité managériale ne se réduit pas à ces sources de peur.

Quatrièmement, il est dommage que l’on ait progressivement perdu ce souci de permettre aux personnes de gagner en autonomie et de prendre progressivement plus de responsabilité dans nos organisations. Certains voulaient le faire pour gagner en performance, d’autres pour honorer une certaine éthique de travail dans la subsidiarité, mais il est une autre raison pour ne pas baisser les bras en la matière, c’est de permettre aux personnes de gagner en capacité d’action en se confrontant progressivement à des situations où elles expérimentent et apprennent à gérer cette peur.

Il est possible que cette dernière partie ne rassure pas beaucoup le manager confronté aux situations angoissantes et apeuré lui-même ou elle-même de se positionner vis-à-vis de son équipe. Il ou elle fera comme toujours dans ces cas- là : ce qu’il peut. Mais si au moins cette discussion l’a alerté à la vraie question de la gestion de la peur présente partout aujourd’hui, même dans nos organisations et même chez les tenants du « même pas mal », cela sera déjà ça de fait !

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