La confiance à l’épreuve du temps
De la stabilité institutionnelle à la vulnérabilité partagée
Selon une enquête récente de Gallup, seuls 21 % des salariés dans le monde se déclarent engagés au travail¹. Derrière ce chiffre alarmant se cache une mutation silencieuse : la confiance, autrefois adossée aux statuts et aux institutions, est devenue une ressource fragile, vivante, à entretenir au quotidien. Du monde stable d’hier à celui d’aujourd’hui, comment repenser la confiance comme fondement des relations professionnelles ? Et quel rôle peuvent jouer les porteurs de l’approche Trusted Advisor dans cet écosystème mouvant ?
De la loyauté institutionnelle à la confiance relationnelle
Avant les années 1990, au sein des entreprises, la confiance se transmettait presque naturellement. La stabilité du cadre de travail et la clarté des rôles offraient à chacun une forme de sécurité. La loyauté professionnelle s’appuyait sur les diplômes, les contrats et les carrières longues. La confiance se gagnait lentement, mais elle s’érodait peu.
Le commercial “de confiance” incarnait la réputation de son entreprise. Le manager “de confiance” exerçait son autorité dans un cadre où l’engagement relevait davantage du devoir que du choix. Cette ère correspondait à ce que le professeur Charles Handy appelait le contrat psychologique de la loyauté² : un échange entre sécurité et obéissance.
Avec la mondialisation, les crises financières, la digitalisation et la montée des organisations par projet, le monde est devenu plus volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA). La confiance, elle, s’est faite à la fois plus transactionnelle et plus relationnelle.
Les collaborateurs ont cessé de se fier aux titres pour évaluer la cohérence entre les paroles et les actes. Et les clients, de leur côté, ont commencé à accorder davantage de valeur à la capacité de leurs partenaires à naviguer dans l’ambiguïté plutôt qu’à simplement affirmer des certitudes.
Le modèle du Trusted Advisor : une nouvelle grammaire de la confiance
Cette évolution a trouvé une expression emblématique dans le modèle du Trusted Advisor, développé en 2000 par David Maister, Charles Green et Robert Galford³.
Ce modèle marquait un tournant décisif : le conseiller de confiance ne vend plus une compétence, il construit une relation.
Là où l’expert classique cherche à démontrer sa valeur, le Trusted Advisor cherche à créer de la valeur avec l’autre.
En faisant reposer sa posture sur la crédibilité (ce que je sais), la fiabilité (ce que je fais), l’intimité (la qualité du lien que je crée) et l’orientation client (la capacité à mettre réellement les intérêts de l’autre avant les miens), le Trusted Advisor redéfinit la confiance comme une équation vivante : elle ne se gagne plus par statut, mais par la qualité de présence et la cohérence entre intention et comportement.
Être un Trusted Advisor, c’est accepter de passer du rôle de sachant à celui de partenaire, du contrôle à la co-construction. Cela suppose une forme de vulnérabilité : oser dire “je ne sais pas”, accueillir l’incertitude, rester disponible quand l’autre vacille.
Le Trusted Advisor devient alors une figure d’ancrage dans un monde instable, non parce qu’il détient des certitudes, mais parce qu’il incarne une stabilité intérieure, fondée sur l’écoute active, la cohérence et la bienveillance.
Dans un écosystème où tout s’accélère, il rappelle que la confiance n’est pas un “plus” relationnel, mais la condition même du dialogue et donc de l’apprentissage.
Vers une écologie de la confiance
Ce qui s’expérimente dans la relation entre un Trusted Advisor et son client vaut, à une autre échelle, pour les organisations tout entières. La confiance n’est pas qu’une affaire d’individus : elle circule, se diffuse ou se rétracte selon la qualité des interactions.
Lorsqu’elle devient une culture partagée, elle forme une véritable écologie de la confiance. Elle relie les acteurs entre eux, crée un climat où les échanges sont possibles, l’innovation encouragée et les erreurs tolérées.
Les entreprises qui cultivent cette écologie en récoltent les fruits :
- Fidélisation accrue : les collaborateurs qui se sentent en confiance restent 50 % plus longtemps dans l’entreprise⁴.
- Engagement renforcé : les équipes à haut niveau de confiance enregistrent 74 % de stress en moins et 106 % d’énergie en plus¹.
- Performance commerciale : les vendeurs perçus comme dignes de confiance voient leurs taux de conversion augmenter jusqu’à 30 %⁵.
Mais cette écologie est fragile. Elle exige de réparer la confiance abîmée et de régénérer la confiance perdue, non par des slogans, mais par des actes : transparence, écoute et cohérence.
Le monde BANI : la confiance comme point d’ancrage collectif
Aujourd’hui, le monde n’est plus seulement incertain ; il est dit brisé, anxieux, non linéaire, incompréhensible⁶. Les crises se succèdent, les repères s’effondrent, les organisations se recomposent sans cesse. La peur, la fatigue et la fragmentation modifient profondément notre manière de travailler ensemble.
Dans un environnement désormais qualifié de BANI, la confiance n’est plus simplement un atout relationnel : elle devient la première condition de toute forme de cohésion collective. Avant même de parler de performance, d’efficacité ou d’innovation, il faut pouvoir restaurer un sentiment de sécurité psychologique, un socle de reliance entre les individus.
Sans ce socle, les meilleures stratégies s’effritent, les initiatives se fragmentent et les talents se désengagent. La confiance devient ainsi le point d’entrée indispensable pour réapprendre à faire corps, avant de prétendre faire mieux.
Dans un tel contexte, la confiance ne peut plus simplement se décréter : elle doit être ressentie. Elle devient, en tant que telle, un climat émotionnel à entretenir au quotidien.
Le Trusted Advisor, gardien de la relation
Le Trusted Advisor de cette ère n’est plus seulement un expert : il agit comme le gardien de la relation. Il crée un espace de sécurité psychologique, permet la réflexion, aide à trier le vrai du flou, du faux, du fake. Il devient une figure d’ancrage dans un monde de flux.
Comme l’exprimaient lucidement Robert C. Solomon et Fernando Flores dans Building Trust (1980) :
“Trust is not a matter of character, but of interaction and commitment.
It is something we build, nurture, and rebuild through dialogue.”⁷
Aujourd’hui plus que jamais, accorder sa confiance n’est plus une vertu individuelle, mais un acte de foi dans l’autre et dans les autres ainsi qu’une pratique vivante et une conversation continue, sans lesquelles aucune problématique contemporaine ne peut être efficacement résolue.
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- Gallup, State of the Global Workplace Report, 2024.
- Charles Handy, The Age of Unreason, 1989.
- David Maister, Charles Green & Robert Galford, The Trusted Advisor, 2000.
- PwC, Workforce Trust Survey, 2023.
- Salesforce Research, The State of Sales, 2022.
- Acronyme proposé par Jamais Cascio (2020).
- Robert C. Solomon & Fernando Flores, Building Trust in Business, Politics, Relationships, and Life, 1980.
