Intelligence Collective : Comment le DRH peut-il en devenir le chef d’orchestre ?[1]

Quelques mois après la sortie d’un livre décapant sur l’intelligence collective écrit par Charlotte du Payrat[2], et auquel j’ai eu le plaisir de collaborer, il semble utile, comme elle le fait avec finesse dans le deuxième chapitre de cet ouvrage, de revenir sur le rôle éminent que peut jouer le DRH pour faire émerger et pérenniser des formes variées d’intelligence collective dans l’entreprise. C’est dans cette perspective que sont proposées ici trois pistes, largement développées dans le livre, qui peuvent permettre au DRH de devenir le chef d’orchestre d’une transformation de l’entreprise dont le fonctionnement nouveau, s’appuyant sur la confiance et l’harmonie, doit favoriser l’émergence d’une véritable intelligence collective.

Une écoute active des managers et des collaborateurs

C’est d’abord par une écoute active des managers et des collaborateurs que le DRH peut renforcer un climat de confiance et développer une harmonie conduisant les individus à mieux interagir et à coopérer. Il facilite ainsi le dialogue dans l’entreprise où chacun s’enrichit de la pensée de l’autre sans la disqualifier. Dans certaines situations où le dialogue est difficile, le DRH ne doit pas hésiter à accepter le conflit et jouer un rôle de médiateur.

Comme Charlotte du Payrat le souligne elle-même[3], dialogue et discussion se distinguent nettement : "Aujourd’hui, peu d’entreprises cultivent l’art du dialogue. Ce qu'elles nomment dialogue n'est bien souvent qu’une simple discussion. Or, la discussion vise souvent à imposer son point de vue au détriment de celui de l’autre : si l'avis de l’autre et divergent, il est alors minimisé, éludé… contrairement à la discussion qui comporte donc une forme de combat argumentatif, le dialogue est une investigation, la découverte de la pensée de l’autre dans un effort mutuel de compréhension. Il s’agit d’un échange sans calcul, sans recherche de valorisation personnelle. Assimiler la pensée de l’autre requiert de la confiance, de la réciprocité, et la conviction qu’il en découlera une richesse supérieure bénéfique."

Une capacité à comprendre les situations humaines complexes

C’est ensuite par une capacité à comprendre les situations humaines complexes que le DRH peut être un acteur clé pour faciliter l’émergence de l’intelligence collective. Ici se justifie pleinement le « H » de DRH, à savoir la valorisation de la dimension humaine d’une fonction trop souvent cantonnée dans des rôles administratif, juridique et gestionnaire. Il ne doit pas hésiter à mobiliser des outils qui relèvent de la psychologie pour prendre en compte, notamment, les émotions et les motivations des individus pour mieux les mettre en mouvement dans le sens du respect de l’autre et de la coopération.

Ici aussi Charlotte du Payrat nous éclaire[4] en nous donnant une vision du rôle du DRH s’appuyant largement sur l’intelligence émotionnelle : «Pour le DRH/RRH, l’écoute des émotions est essentielle afin de libérer les énergies et favoriser une libre circulation de la parole. Et cela passe par l’acceptation de toutes les émotions, positives comme négatives : savoir prendre en compte ces dernières par une écoute sincère permet d’éviter leur emballement ou leur propagation (contagieuse colère !). Lorsque qu’elles reposent sur les faits, des émotions mettent en exergue de réels dysfonctionnements générateurs de souffrances que le DRH/RRH doit pouvoir identifier »

Une responsabilité de gardien de l’éthique

C’est enfin par l’affirmation et la reconnaissance de sa responsabilité de gardien de l’éthique que le DRH peut renforcer la confiance et l’harmonie dans l’entreprise conduisant les individus à mieux interagir et à coopérer pour le bien commun. Il ne doit pas hésiter à agir contre les comportements toxiques, en particulier le harcèlement et le phénomène du bouc émissaire, pour éviter de détruire le climat de confiance qui est souvent long à construire. C’est donc sur sa capacité à « prendre soi » des personnes, en développant notamment leur résilience, que le DRH peut construire un environnement bienveillant[5] propice à l’émergence de l’intelligence collective.

Charlotte du Payrat insiste[6] sur la nécessité pour le DRH de faire preuve de transparence et de clarté : « Afin de préserver le rapport de confiance avec le salarié, le DRH/RRH doit être transparent et clair sur les éléments qu’il sera amené à partager avec le dirigeant et les managers. Bien évidemment, toutes les confidences qui touchent aux manières de travailler et à l’ intelligence collective n’ont pas vocation à être répétées nominativement. Concernant l’étude qualitative déjà évoquée, l’important n’est pas tant de rapporter le vécu individuel que d’aider à appréhender une vision ou une dynamique systémique collective… »

Le rôle de « fou du roi »

En définitive, comme le défend avec conviction Charlotte du Payrat dans son livre, le DRH doit pouvoir jouer le rôle de « fou du roi » qui ose exprimer des réalités que le dirigeant n’a pas toujours envie d’entendre. Il peut partager avec lui les visions des salariés, qu’il a rassemblées par l’écoute et sa compréhension de l’humain, afin de l’aider à affiner la sienne pour permettre l’émergence et la pérennité d’une véritable intelligence collective dans l’entreprise à commencer par le Comité Exécutif dont le fonctionnement exemplaire est un signe fort de changement pour tous les collaborateurs.

Pour pouvoir jouer ce rôle, le DRH doit pouvoir s’appuyer sur la confiance du dirigeant comme elle le souligne[7] : « Pour véritablement exercer son rôle, le DRH/RRH a besoin de l’appui et de la confiance du dirigeant. Il est essentiel que celui-ci soit convaincu des bénéfices que la création d’un univers tenant compte des logiques humaines apportera aux salariés et à l'entreprise… »

On le voit, le développement dans l’entreprise d’une véritable intelligence collective suppose un changement de paradigme dans la conception même de l’organisation avec une vision très éloignée des modèles hiérarchiques traditionnels que le DRH doit pouvoir porter en confiance au sein d’un Comité Exécutif. Ce sera peut-être l’un des premiers signes tangibles de la Raison d’Être et de l’Entreprise à Mission telles qu’elles ont été définies dans la loi Pacte votée en Avril 2019.

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[1] Cet article est une version plus longue que celle publiée par « Entreprise et Carrières » en Septembre 2019

[2] Du Payrat, C . (en collaboration avec CH Besseyre des Horts) : Orchestrer l’Intelligence Collective, Pearson, Octobre 2019.

[3] Du Payrat, C, op.cit., p.49

[4] Du Payrat, C, op.cit., p.56

[5] Chavanne, P.M, Truong, 0., Desjacques, Y. : Je manage avec bienveillance, le guide pratique, Eyrolles, Mai 2019

[6] Du Payrat, C, op.cit., p. 65

[7] Du Payrat, C, op.cit., p.65

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