Pourrait-on « accorder » le champ des ressources humaines avec une conscience de soi devenue mature ?

La crise économique et sanitaire questionne le rapport entre l’entreprise et ses salariés. Se réduit-il désormais à une application numérique chacun dans la solitude de son bureau ou est-ce l’opportunité pour enfin considérer la globalité de la personne, son Être, dans son rapport au travail ?

Le règne du principe de disjonction

Le capitalisme naissant de la première révolution industrielle fut l’instigateur de la séparation entre la personne et le résultat de son travail. Dans l’indifférence des conditions d'existence et de labeur des exécutants, des fortunes particulières ont été élevées au rang de statut social. Alors, un peu partout sur la planète, ont débuté le règne des organisations gagnantes et celui des entrepreneurs Rois.

Le risque de mort au travail et le mouvement socialiste international du début du siècle dernier ont généré les Lois sociales de protection et de prévoyance d’après-guerre, ainsi qu’assoupli les règles du droit du travail. Ce mouvement s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui sur des champs contingentés déjà relatifs aux conditions d’emploi. Et il a buté sur l’impact des contraintes du travail sur tout ce qui compose l’engagement individuel, notamment l’émotion transcendée par la recherche d’une finalité personnelle. Le questionnement de la part du symbolisme de chacun dans l’accomplissement de sa tâche n’a pas encore reçu de réponse.

Existent sans coexister, les nantis reconnus et les autres. La grande masse troque son travail contre une récompense monétaire et parfois une reconnaissance personnelle ponctuelle. On retrouve indifféremment dans cet ensemble, les cadres, les ouvriers, les employés et les autoentrepreneurs. N'a-t-on jamais pensé que le supplément d’âme que la personne investit dans son travail est ce qui construit l’image de l’entreprise ? N’y aurait-il pas là une captation pirate du symbolisme de l’individu ? Alors, le principe de disjonction entre l’Être et le résultat de son travail serait consommé.

L’intention est centripète et la motivation centrifuge

Quand, à la fin du siècle dernier, la notion de « ressources » humaines a émergé, elle donna ses lettres de noblesse au principe de disjonction. La logique compétences a parachevé le tout en rejetant le terreau où avait poussé la plante. Le résultat des soins du géniteur, ses compétences, monta en flèche au firmament des obligations du poste de travail sans que la part de l’intention centripète de « l’œuvrier » à la pérennité de sa tâche, orientée vers lui, soit aussi prise en compte. L’Infant résultat a chassé les mobiles de son créateur. L’entité n’a retenu que la part de la motivation individuelle tournée vers l’enrichissement de sa satisfaction productive et financière, mouvement centrifuge, disjoncteur de l’Être et de son dessein.

Est-ce à l’entreprise de prendre en compte les états d’âme de ses salariés ? Le cadre contraint n’est-il pas nécessaire pour arriver à la perfection du geste ? On connaît déjà la réponse à ces questions et on aurait pu continuer à faire l’impasse sur les états d’âme au travail et obliger les personnes à suivre des procédures incontournables encore longtemps. Mais un syndrome de rupture a surgi, l’excentration des autres au travail sur fond de crise sanitaire.

Le manque d’interrelation met en conscience des besoins individuels non satisfaits

Les méandres conflictuels nés à la croisée des chemins entre les orientations centrifuges de l’entreprise et les orientations centripètes de l’individu au travail bénéficiaient pour être aplanis, de la règle théâtrale de l'unité de lieu, d’action et de temps apportée par l’entité, le restaurant, le club sportif ou l’université. Tous ces endroits d’interrelation sont désormais réglementés ou interdits pour mieux se méfier d’un voisin porteur potentiel d’une mort virale.

L’interaction in situ et de visu disposait de grands avantages. La non-satisfaction d’un soi compressé par l’assujettissement d’objectifs insistants avait pour terrain d’expression la relation à l’autre, catalyseur des non-dits et des pulsions refoulées. On s’était exprimé, ce qui avait aidé à prendre de la distance avec ses rumeurs destructrices. On avait écouté, touché un Autre dont la charge émotionnelle et/ou cognitive était peu ou prou aussi importante que la sienne. Voilà, c’était « reparti pour un tour » !

L’augmentation de la technologie informatique compensera-t-elle le manque de contact charnel avec l’autre ? Peut-il encore exister une rencontre réelle sur tous les plans de nos perceptions avec nos alter ego pour leur délivrer tout ce que l’on ne leur dit plus ou tout ce que l’on ne peut pas leur écrire, restreints que nous sommes par l’écriture fonctionnelle des applications numériques ? Dans un autre temps, même les réseaux sociaux avaient compris qu’on ne pouvait pas passer outre la rencontre réelle. Grâce à leurs applications, on avait la capacité d’organiser des apéros, des rave parties ou des concerts…

Les directions RH sont-elles allées trop loin ou pas assez ?

Les directions des RH arrivent à une croisée des chemins. Soit, elles prendraient en compte l’intégralité de la personne au travail et leur activité évoluerait vers l’accompagnement thérapeutique au mieux. En ce cas, les RH changeraient de métier et risqueraient de perdre le but de leur mission, donner le « La » et l’instrument aux salariés pour satisfaire la finalité de l’entité qui les emploient, car ce sont aussi des employés. Quant à la gestion administrative ou même le management, qu’elles n’aient aucune inquiétude, l’intelligence artificielle y pourvoit déjà ! Des robots questionneurs résolvent des conflits relationnels et les bénéficiaires de cette rencontre d’un autre type se disent soulagés…

Soit, les RH pourraient restreindre le champ de leur domaine et revenir à ce qui se faisait il y a très longtemps : l’exigence de la tâche pour réussir les objectifs de l’entreprise sans prendre en compte les altérations individuelles de la performance. Pourquoi pas ? Si ce n’est que dans ce cas de figure, le chemin parcouru interpelle aujourd’hui le statut du contrat de travail. Comment peut-on exiger une performance dans un cadre qui n’offre plus toutes les sécurités d’une convention réduite à sa seule soumission, à moins de lever les contraintes de l'exécution du travail ? La mise en avant de la responsabilisation de l’individu aurait pour corollaire, sa liberté de choisir ses ressources et ses processus, qu’il soit cadre ou non cadre. Le contrat de moyens ferait place au contrat de résultat. Alors, serions-nous tous en puissance des autoentrepreneurs ?

Aller vers une maturité de la conscience de soi

Entre entreprise libérée, marque employeur ou parcours collaborateur des initiatives ont émergé. La frontière entre libération de l’Être et contraintes au travail reste floue et surtout instable. Le mouvement de la « Raison d’Être » recherche encore ses marques et n’a pu résoudre les conflits entre une orientation centripète individuelle et une motivation centrifuge demandée par l’entreprise à son personnel. Leur alliance est-elle impossible ?

Le télétravail a libéré l'autonomie individuelle sans pour autant changer les fondamentaux du contrat de travail. Les « belligérants » continuent à s’accrocher à leurs privilèges, droit de soumettre pour les uns contre droit à la protection pour les autres. Cet univers conçu dans les affres d’un hier dépassé a bien du mal à résoudre les problématiques sécuritaires et globalisantes d’aujourd’hui. Le moment est celui où, grâce au relais des médias, les prises de position « identitaristes » des uns pèsent autant que la voix d’un chef d’État ; quand par ailleurs, le stress au télétravail monte en puissance chez les isolés sans que le mobile du mal-être soit identifié. La pérennité des modes de vie synchroniques qui prennent appui sur le passé en y intégrant les évènements de l'instant, est remise en cause. Ceux-ci n’ont pas absorbé le devenir aléatoire des ruptures structurelles et individuelles.

La conscience de soi dont le socle repose sur ce qui est cher à chacun, son côté symbolique, met dans l’assiette de la Roberval ce qu’elle voudrait recevoir en contrepartie du travail. Cette charge est bien lourde pour l’entreprise : comment pourrait-elle rééquilibrer le poids des deux côtés de la balance entre une conscience individuelle et une conscience collective qui n’ont pas encore atteint leur maturité ?

Y voir clair, enfin, serait le vœu d’un individu dans une société qui ne permet plus sa libre expression sous peine de culpabilisation. Choisir sa propre limite d’action et de pensée sans qu’elle soit imposée, ni par une entité ni par les médias, plus qu’un enseignement, c’est une éducation et elle commence à l’école. Mais ceci est une autre histoire !

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