La crise économique, sociale et sanitaire que nous traversons depuis mars 2020 a révélé et approfondi le fossé qui divise les entreprises françaises en matière de pratiques RH. D’un côté, des innovateurs qui bougent, changent et expérimentent dans leur gestion quotidienne des ressources humaines ; de l’autre, des entreprises arcboutées à une conception « XXe siècle » des RH et qui se refusent à toute remise en cause. Dans la crise, les premières ont moins souffert que les secondes. Le point en chiffres, avec le 4e baromètre national de l’expérience collaborateur.

Une faille préexistante à la crise

L’idée que l’Humain est le moteur de l’entreprise ne date pas d’hier. La littérature managériale des années 1980 le proclamait déjà haut et fort à qui voulait l’entendre, et on pourrait remonter plus haut. L’évolution de l’économie et de la société au cours des deux dernières décennies a cependant conféré une réalité stratégique tangible et urgente à ce postulat. Ce n’est plus une déclaration de bonne intention ; c’est une nécessité concrète. Mais toutes les entreprises n’intègrent pas cet impératif au même rythme.

L’un des enseignements du 4e baromètre national de l’expérience collaborateur[1] est que les innovations RH sont corrélées les unes aux autres : les entreprises qui développent une démarche d’amélioration continue de l’expérience collaborateur – les « EX Players » – sont aussi celles qui expérimentent le plus en matière d’organisation du travail.

Les EX Players les plus expérimentés – définis comme ceux qui ont déployé une politique d’expérience collaborateur depuis plus de 3 ans – étaient ainsi 3 fois plus nombreux à pratiquer le télétravail avant la crise que les entreprises réfractaires à la démarche (celles qui ne pratiquent pas et ne souhaitent pas pratiquer l’expérience collaborateur). Elles recouraient également 2 fois plus aux réunions à distance et 5 fois plus au flex office.

Dès avant mars 2020, l’écart était donc déjà sensible entre les innovateurs RH et les autres.

L’expérience collaborateur, avantage comparatif RH

La crise sanitaire a révélé l’ampleur de cet écart. Le confinement du printemps 2020 a été un moment particulièrement décisif. Les entreprises ont été soumises à un véritable stress test de leurs pratiques RH : il a fallu organiser à distance tout ce qui pouvait l’être, réduire ou arrêter l’activité de certains collaborateurs, parfois intensifier et réorganiser l’activité de certains départements… Les entreprises qui disposaient déjà de circuits d’écoute et d’amélioration étaient mieux préparées. Celles qui pratiquaient déjà le télétravail disposaient des outils et des repères nécessaires à sa généralisation.

Résultat : les EX Players confirmés ont 2,5 fois plus de chances d’avoir trouvé « très facile » la mise en place du télétravail, et 3 fois plus susceptibles de penser de même sur le maintien du lien social pendant la période. Cette agilité est constitutive de ces entreprises : 85% des EX Players ont changé leur organisation de travail au-delà du confinement, ou vont le faire. Les réfractaires ne sont que 50% à le déclarer. Ce qui signifie que pour une sur deux, la crise sanitaire n’implique aucune exigence d’adaptation organisationnelle sur la durée !

Qui survivra dans le « monde d’après » ?

La réticence au changement a des conséquences. La façon dont nombre de managers et de dirigeants se cramponnent au présentiel malgré les injonctions gouvernementales illustre la persistance de cette fracture. Selon une étude du ministère du Travail, 34% des 1 300 entreprises interrogées n’ont pas mis en place le télétravail sur les postes où il est réalisable. Ce qui signifie que sur les 65% de salariés qui étaient encore en présentiel total début mars, une part importante pourrait rester à la maison. Certains sont peut-être en présentiel par choix. Mais le plus souvent, chacun sait ce qui se produit : pour reprendre les termes très synthétiques d’Emmanuelle Léon, experte RH citée dans la presse, « On a encore l'idée que quand on échappe au regard, on échappe à la discipline ».

Ces entreprises font ainsi courir un risque sanitaire à leurs collaborateurs, en plus d’encourir elles-mêmes un risque juridique parfaitement évitable, pour ne pas remettre en question leurs certitudes RH. Quand on sacrifie l’efficacité au dogme, la sanction du réel n’est pas loin. Les données du baromètre sont rassurantes : les pratiquants de l’expérience collaborateur représentent désormais 43% des entreprises. Le chiffre a augmenté de 8 points cette année, malgré la crise, et de 18 points au total depuis 2019. L’innovation RH s’imposera d’elle-même, que ce soit par conversion des récalcitrants ou… par sélection naturelle.
________________________________________________________________________________________________________

[1] Baromètre national de l’expérience collaborateur vue par les acteurs RH, 4e édition, réalisé par Parlons RH et ses partenaires Groupe Crédit Agricole S.A., UKG, Cornerstone, SD Worx, Les Petits Chaperons Rouges et KPAM.

Tags: Expérience collaborateur RH Covid-19