Le concept de culture d’entreprise a été popularisé dans les années 1980. En partie passé en désuétude, il n’en est pas moins utile pour considérer l’entreprise et son système d’(inter)actions comme un tout dans sa complexité. Et ainsi peut servir de levier afin de négocier un changement dans une entreprise sans le forcer.

La culture d’entreprise revisitée

À l’aube des années 1980 a surgi un étrange concept : la culture d’entreprise. Au départ, il s’agissait surtout pour les entreprises étatsuniennes d’imiter les japonais dont les entreprises devenaient florissantes. Quelles sont les spécificités du Japon ? Comment prendre le pays du soleil levant pour modèle ? Cette vision de la culture apparait assez sommaire, voire ouverte à des analyses stéréotypées, réductrices de ce qu’est une entreprise japonaise ou non. Néanmoins, la question de la culture avait le mérite d’avoir été posée… et si elle semble être passée de mode, nous pouvons nous demander en quoi elle est pertinente pour penser une organisation.

Mais qu’est-ce que la culture d’entreprise ? Je reprends la définition de l’un de ses théoriciens les plus notables, le sociologue des organisations Edgar Schein : l’ensemble des suppositions partagées par les membres d’une organisation pour résoudre leurs problèmes. Nous pouvons en effet supposer qu’une organisation, c’est-à-dire un ensemble de personnes réunies en vue d’une (ou plusieurs) finalité(s) commune(s), rencontre des problèmes. Elle a des clients, des fournisseurs, des employés, des actionnaires, des voisins… Des parties prenantes, en bref. Ceci montre que l’action d’une entreprise (voire de tout être) ne peut qu’être en interaction. Or dans ces interactions, des problèmes se posent… Il faut négocier ou remplir tel ou tel contrat ou engagement. Faire face à une crise (sanitaire, énergétique ou autre)… Garantir la cohésion du corps social. Et donc négocier, prendre et exécuter des décisions plus ou moins adéquates.

Décision et (inter)action

Ces décisions ici ne sont pas que celles des dirigeants, mais de tout membre du corps social de l’entreprise. Décider, c’est juger, faire (ou ne pas faire) un choix entre plusieurs options. Ce que nous faisons tous, tout le temps. Ainsi, en accord avec Michel Crozier et François Dupuy, devons-nous supposer que tout (inter)acteur est rationnel, quel que soit sa place dans la hiérarchie ou à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation. Et qu’il faut ensemble toujours négocier et exécuter la décision avec les autres membres en plus de la prendre… Ainsi, une organisation peut être surtout définie tel un système d’(inter)actions.

Mais pourquoi parler de culture en vue de penser ce système d’actions ? Qu’est-ce que cela apporte ? Nous savons tous qu’il est frustrant de s’entendre opposer un « nous avons toujours fait ainsi » (qu’il peut nous arriver d’opposer de même). Ce qui montre que beaucoup de nos actions sont faites par habitude, accoutumés d’agir de telle ou telle manière. Nos actions, et peut-être les pensées qui vont avec, ont donc souvent un caractère conservateur qui rend toute volonté de changement, de modifier une réalité ou un état des choses donné malaisé. Telle pourrait être la raison de la fameuse résistance au changement… Encore nous faut-il bien nous rappeler que tout homme ou femme est rationnel et ne résiste donc pas sans raison au changement. Pour reprendre le sous-titre du troisième tome de Lost in management de Dupuy, nous devons dire « On ne change pas les entreprises par décret ».

Culture et sous-cultures : une transformation négociée

La culture d’entreprise serait en bref synonyme du système d’interaction qu’est cette entreprise, de l’organisation et non de sa structure (ou organigramme ou hiérarchie) pour reprendre encore Dupuy. Elle ne serait pas décretable, décidable par simple proclamation ou discours émis par un dirigeant ou son département de communication. Au contraire, elle serait plutôt la construction établie au fil des interactions entre les différentes parties de l’organisation, direction comprise. Or ces parties peuvent être qualifiées de sous-cultures en tant qu’elles ont leurs spécificités propres. Ce n’est pas la même expérience que d’être ouvrier, employé ou cadre. Ainsi, comprendre cette culture, c’est comprendre l’entreprise à la fois dans son unité comme un tout et dans sa complexité avec ses différentes facettes qui sont celles de son travail. Travail dont elle tire sa valeur pour ses différentes parties prenantes.

Dès lors, pour qu’il y ait changement (par exemple, la fameuse digitalisation qui a été imposée à marche forcée lors de la pandémie), il apparait nécessaire de comprendre l’organisation avec sa culture et ses suppositions partagées. La décision de la direction ne va-t-elle pas contre les habitudes, voire des intérêts de ses parties prenantes ? Y-a-t-il un moyen de négocier avec celles-ci pour que cette décision soit acceptée et surtout exécutée, et sinon quel serait les alternatives ? Plus qu’un simple outil de communication sur les valeurs, l’analyse de la culture apparaît tel un moyen d’intelligence ou d’(auto)compréhension de l’organisation avec l’ensemble des ressources humaines qui la composent. Et donc fournir un levier pour un changement (ou une transformation ?) négocié, et non forcé de celle-ci.

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