IA dans les RH : bravo les DRH, mais… attention quand même !
Les professionnels des RH raffolent de l’IA générative. Ils s’en servent déjà dans leur pratique quotidienne. Loin de l’image ringarde et frileuse qu’ils arboraient presque comme une médaille lors des révolutions digitales précédentes, ils sont cette fois-ci aux premiers rangs des enthousiastes et des early adopters. C’est l’un des enseignements de notre Baromètre de l’IA appliquée aux RH. Alors, victoire ? Mmmh… Prudence. Oui, je sais, je ne suis jamais content. Mais je suis là pour ça.
Le verre à moitié plein : un engouement inhabituel et bienvenu
96% des professionnels RH déclarent connaître au moins « un peu » l’IA – dont la moitié « assez bien » ou « très bien ». 83% l’utilisent déjà à titre personnel dans leur pratique professionnelle. Et 76% d’entre eux estiment que l’IA va transformer significativement les RH. Pourtant, à peine plus de 2 ans se sont écoulés depuis que l’irruption dans le grand public des IA génératives a poussé sur le devant de la scène l’ensemble des technologies fondées sur l’intelligence artificielle. Les plus expérimentés d’entre nous se souviennent pourtant d’une époque où la profession se montrait beaucoup plus frileuse avec l’innovation digitale ; où les promesses d’automatisation de la paie ou de la gestion des temps étaient accueillies avec suspicion et scepticisme ; où certains se cramponnaient à leurs fichiers Excel ou érigeaient des barrières infranchissables autour de leur base de données antédiluvienne.
La littérature RH des années 1990-2000 abordait de fait régulièrement la question. « La fonction RH est une des dernières fonctions de l’entreprise à laquelle a été dédiée une solution ERP », pouvait-on ainsi lire dans une thèse en sciences de gestion datant de 2002. La complexité d’une fonction hautement composite, la confidentialité des données, l’origine professionnelle des DRH, souvent issus de filières psycho, la priorité accordée aux fonctions commerciales et de production… Tout cela s’est combiné pour ralentir la digitalisation des RH. Nul doute que le chantier DSN aura souvent contribué à accélérer le mouvement. Je m’attendais donc, je le reconnais, à davantage de réticences de la part des professionnels des RH face à la déferlante déclenchée par l’IA générative. Les chiffres ont parlé : j’ai douté à tort.
On peut sans doute apporter une nuance : l’IA générative grand public, c’est nouveau, mais l’intelligence artificielle dans les RH ne date pas d’hier. C’est une révolution humaine, mais (seulement) une évolution technologique. On le voit dans notre Baromètre : le recrutement est la fonction RH la plus avancée en matière de déploiement d’outils fondés sur l’IA. Et c’est précisément celle qui utilise depuis le plus longtemps cette technologie. En clair, les professionnels RH iraient plus vite dans leur adoption des nouveaux outils parce qu’ils sont déjà familiers de l’IA.
Le verre à moitié vide : mais on va où ?
Il reste que l’enthousiasme des professionnels RH se fonde avant tout sur une utilisation personnelle de ces outils. Seuls 37% d’entre eux déclarent évoluer dans un service RH qui a déployé des solutions utilisant l’IA. Et quand on regarde dans le détail, il s’agit surtout d’usages de création de contenu assez basiques : 55% de nos répondants utilisent l’IA dans ce sens - pour générer du texte, prendre en notes des réunions, synthétiser des échanges ou des documents… Seuls 12% s’en servent pour optimiser ou automatiser des processus.
En définitive, 82% des professionnels RH voient dans l’IA une opportunité pour la fonction RH, mais concrètement, comment comptent-ils s’y prendre ? En ont-ils une idée claire ? Ma crainte, c’est qu’ils soient actuellement sous l’empire de l’effet « bluffant » de ces solutions, sans feuille de route précise pour les déployer de façon profitable dans leur département.
Pour ma part, je suis comme tout le monde : bluffé par ces nouveaux outils. Mais à titre personnel – et je prends un risque professionnel en disant ça – je n’ai pas la moindre idée de comment, concrètement, l’IA va révolutionner les RH.
Un DRH averti en vaut 12
Je vois 2 grands ensembles de facteurs d’incertitude :
- Les facteurs internes. Quels outils choisir, dans la jungle de l’offre de marché actuel ? Comment distinguer le gadget du game changer? Comment anticiper les conséquences organisationnelles ? Comment prioriser et articuler les chantiers ? Comment embarquer les équipes ? Comment éviter le gaspillage ? Comment limiter les risques ?
- Les facteurs externes. Les évolutions technologiques liées à l’IA sont loin d’être stabilisées. La recherche continue à progresser à grandes enjambées, pendant que les applicatifs continuent à être développés tous azimuts. Dans le même temps, des problèmes de fonds persistent : l’usage de l’IA est-il soutenable au point de vue énergétique ? L’IA générative est-elle économiquement viable ? A tout confier à l’IA, y a-t-il un risque de pertes de compétences ? De perte de contrôle ? Juridiquement, les données RH, sensibles et personnelles, peuvent-elles vraiment être confiées à des robots imprévisibles, ou faudra-t-il inclure des limitations qui feront perdre tout intérêt aux outils ?
Au bout de ce tunnel d’incertitude, il y a encore cette question existentielle : si l’IA automatise les RH, il y aura-t-il encore des professionnels RH ? Après tout, IBM se vante déjà d’avoir automatisé 94% des tâches en RH, et d’en profiter pour réduire drastiquement les effectifs en ressources humaines pour embaucher à la place des commerciaux et des développeurs. Si, comme moi, on reste persuadé que la fonction RH est essentielle et stratégique, il va falloir se battre pour le démontrer…
Je ne cherche pas à démotiver les troupes (non, je vous assure !). L’ouverture et l’optimisme sont d’excellentes attitudes, et je me réjouis grandement de la curiosité des professionnels RH vis-à-vis de l’innovation en intelligence artificielle. C’est juste que… ça ne va pas être simple, et je ne voudrais pas qu’on sous-estime l’ampleur de la tâche – et celle des incertitudes qui l’entourent. Ceci étant dit, haut les cœurs, et en avant !
