Garder le sens de sa vie au travail grâce à l’écriture
        La spirale de la réduction de l’écrit et de l’oral
Quand les S’Miles ou les abréviations tiennent lieu de texte écrit, comment reconstituer le sens qui manque à l’organisation ?
Sens et rôle de l’écriture jusqu’à la perte de la main[1]
Bref historique de sa naissance à nos jours
On s’accorde généralement pour affirmer que l'écriture cunéiforme[2] est née vers 3400 av. J. -C., dans le sud de l'Irak, et que son usage s'est répandu de la Méditerranée à l'Iran au cours des trois millénaires et demi de son existence. Cependant, la découverte des écritures de l'ancienne Mésoamérique très éloignées des sources du Moyen-Orient, prouve que l'écriture a été inventée plus d'une fois. Les chercheurs reconnaissent maintenant que l'écriture peut s'être développée indépendamment dans au moins quatre civilisations anciennes : la Mésopotamie (entre 3400 et 3100 av. J.-C.), l'Égypte (environ 3250 av. J.-C.), la Chine (vers 1200 av. J.-C.) et les zones de plaine du sud du Mexique et du Guatemala (vers 500 av. J.-C.)
L'écriture est un événement qui a eu un impact considérable sur les sociétés humaines, même si elle n'a pas forcément été perçue comme révolutionnaire au moment de son invention. Elle sert traditionnellement à marquer le basculement de la préhistoire à l’histoire, même s'il faut plutôt caractériser le changement qui se produit à cette période par l'ensemble des évolutions politiques, sociales et culturelles qui sont liées à la « révolution urbaine ».
- L’écriture inclusive difficilement oralisée est-elle représentative d’un basculement de notre société vers d’autres valeurs ?
 
Les systèmes de communication
L’écriture connaît plusieurs formes de systèmes de communication. Les systèmes de communication symbolique se distinguent des systèmes d’écriture. Avec ces derniers, il est généralement nécessaire de connaître la langue parlée associée pour comprendre le texte. En revanche, les systèmes symboliques, tels que les panneaux d'information, la peinture, les cartes géographiques et les mathématiques, ne nécessitent souvent pas de connaissance préalable d'une langue parlée. Plusieurs questions se posent :
- La communication par les couleurs, le graphisme ou les signes de ponctuation est-elle suffisante pour entamer un dialogue ? Comment les prononcer ?
 
L’oralité est liée à l’écrit dans toute sa complexité et réciproquement.
Le but de l’écriture
Il existe trois critères d'écriture pour tous les systèmes d'écriture. Le premier est que l'écriture doit avoir un but ou une sorte de signification, il y a forcément un message communiqué dans le texte. Deuxièmement, tous les systèmes d'écriture sont composés d'une série de symboles qui peuvent être créés sur une surface, qu'elle soit physique ou numérique. Enfin, les symboles utilisés dans le système d'écriture doivent imiter la parole afin que la communication soit possible. Questions :
- L’écriture fonctionnelle et réduite des mails à un seul objet, le licenciement d’un collaborateur par SMS sont-ils suffisants pour exposer une problématique confisquée à son seul résultat, une action à réaliser ou une rupture professionnelle non convenue et souvent non préparée ?
 
- L’écriture doit être signifiante c’est-à-dire, mobiliser le répertoire de savoirs de la personne pour qu’elle fabrique un signifié, un sens singulier à la sollicitation extérieure. Comment comprendre son licenciement sans explication ?
 
La confiscation de la parole atrophie la langue écrite
Chaque communauté humaine possède un langage, une caractéristique considérée comme une condition innée et déterminante de l’humanité. Cependant, le développement des systèmes d'écriture et la supplantation partielle des systèmes traditionnels de communication orale s'avèrent être sporadique, inégale et lente. Une fois établis, les systèmes d'écriture dans l'ensemble changent plus lentement que leurs homologues parlés et conservent souvent des traits et des expressions qui n'existent plus dans la langue parlée.
- Les entreprises ont tendance à confisquer la parole afin que le personnel se cantonne dans le « bien-disant » Comment dans ces conditions écrire ce qui n’est pas dit ?
 
L’écriture est le moyen de transmettre les connaissances
Le plus grand avantage de l'écriture est qu'elle fournit l'outil par lequel la société peut enregistrer des informations de manière cohérente et plus détaillée, ce qui ne pouvait pas être réalisé aussi bien auparavant par la parole. L'écriture permet aux sociétés de transmettre des informations ainsi que de partager et de préserver les connaissances. L'invention de l'écriture n'est pas un événement ponctuel mais un processus graduel initié par l'apparition de symboles peut-être d'abord à des fins culturelles.
- L’écriture est élaborée et fabrique un sens pour la personne qui la lit. Comment transmettre un savoir sans l'écrire ? La Loi du 5 septembre 2018 a compris tout l’intérêt d’écrire les explicitations du professionnel à propos de sa pratique afin qu’elle puisse être transmise.
 
L’impact des nouvelles technologies sur l’écrit
À partir de l'époque moderne, la nature de l'écriture est en constante évolution, notamment en raison du des nouvelles technologies. Le stylo, la presse typographique, l’ordinateur et le téléphone mobile sont autant de développements qui modifient ce qui est écrit et le support sur lequel l'écrit est produit. Particulièrement avec l'avènement des technologies numériques, les caractères peuvent être formés par la pression d'un bouton, plutôt que par un mouvement physique avec la main.
Le marquage sociétal des individus se fait désormais par l’oral dont la faiblesse de la retranscription écrite ne saurait donner un sens au message. L’écrit suit un oral qui se passe désormais de la main dont le rôle se limite à appuyer sur le bouton du clavier numérique…
- L’écriture limitée à l’expression d’un symbole qui correspond à l’appauvrissement du langage parlé est désormais dans l’incapacité de continuer à jouer son rôle de transmission de la connaissance !
 
L’impact de l’écriture sur le développement de l’intelligence et de la communication
Le rôle de l’écriture est important. Elle est la mémoire du temps et une sorte d'attracteur étrange de la liberté de pensée.
L’écriture, mémoire de ceux qui nous ont précédés
À l’instar du mouvement Woke, lors des épreuves du baccalauréat, les grands auteurs[3] de siècles passés sont réécrits dans un français actuel. Cette transformation fait l’impasse sur la découverte de la culture et de la société à l’époque où le chef-d’œuvre a été rédigé. N’étant plus retranscrit de la même façon qu’au moment de sa rédaction, le système de perception de l’individu enregistrera un récit contemporain qui aura perdu la signification originale qu’il voulait transmettre. Cet anachronisme écrasera le temps de l’histoire et de l’apport du savoir qui y est lié. La fiction qui appartient au passé n’aura pas de vécu en termes civilisationnels. L’instant présent est privilégié au détriment des autres temporalités. L’écriture, mémoire du temps, n’aura pu remplir sa fonction, apporter une connaissance des mœurs et de la société d’avant notre époque. Comment pourrait-on comparer les pratiques et les coutumes dans ces conditions ? Et surtout comment comprendre l’évolution de la société ?
- En entreprise la traçabilité des fichiers supérieurs à 6 mois est supprimée pour « faire de la place » La suppression d’une mémoire collective est devenu familière presque normale. C’est la vie des gens que l’on efface d’un clic
 
L’écriture un attracteur étrange de la liberté de pensée
La forme des lettres écrites au mieux et la lecture de celles que l’on écrit au clavier à défaut résonnent en mémoire interne. Tel un attracteur inopiné, les mots ainsi constitués appellent les idées qui se sont endormies en mémoire longue afin de les associer. Il suffit d’un élément pour se souvenir des situations de référence. Et soudain, tous ces matériaux du passé sont présents à l’esprit, pour en faire autre chose. La créativité n’a pas de frontières. L’invention si invention il y a, aura pour porte étroite, la limite de l’innovation.
- Dans cette constellation d’idées, la personne est libre, libre d’aller et de venir dans l’espace du temps. La création n’a pas d’autre artifice. Et l’on voudrait que les individus soient libres quand on les contraint dès le départ dans leur processus de fabrication d’idées nouvelles ?
 
« Soyez libres et je vous contrains » est une recette infaillible pour générer un conflit interne chez le collaborateur. Les managers auraient-ils peur d’être dépassés par les idées de la « base » ?
À quoi à qui sert la perte de l'écriture ?
Les causes et les raisons sont multiples et interfèrent entre elles. L’oralité d’une langue française que l’on a peine à reconnaître s’écrira difficilement. J’aime bien écouter chanter Aya Nakamura mais je suis dans l’incapacité d'écrire ce qu’elle fredonne !
L’usage de l’écriture semble être devenu le moyen de s’insurger contre une société que l’on réfute, celui d’une génération ou d’un groupe singulier qui pense trouver dans un mode d’expression dénaturée celle de sa liberté. Pourtant, les mots sont puissants et ouvrent la porte de la liberté de pensée, celle de la construction d’un imaginaire à partir du réel. Une sorte de réalisation du Soi intime vers lequel chacun tend.
La vie ne saurait se résumer à suivre un protocole qui ne laisse pas la place aux opinions subjectives. Ecrire, c’est déjà donner une représentation de la vie, sa représentation. La vie comme on l’aimerait, comme on la voudrait. L’espoir est à portée de notre main. Il suffirait de l’écrire.
Et si l’entreprise y pensait ?
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[1] Michel Renouard « Naissance des écritures » Ed. Ouest France 2024
[2] Cunéiforme : Écriture utilisée en Mésopotamie dont les éléments sont en forme de coin ou de clous (coin a donné cunéiforme). Les humains se servent d'un calame taillé, en bois ou roseau. Ils prennent leurs notes sur des tablettes d'argile humides qu'ils font ensuite sécher.
[3] Tels « Les misérables » de Victor Hugo
