Le DRH, l’IA et les soft skills !
« Le roi, pour punir la ville, fit abattre le beffroi d’où l’on avait sonné le tocsin de la rébellion. » Juvénal des Ursins[1]
Cette décision de Charles VI[2] bouleversa durablement la vie sociale des Français, nous en ressentons encore les effets à ce jour. La volonté de marquer le territoire royal fut par la destruction du beffroi ce qui brisa l’orgueil de la cité aussi prospère que marchande.
A Rouen en 1382 les révoltes antifiscales, elles existaient déjà à l’époque de la Harelle[3] ont provoqué l’instrument du pouvoir de la souveraineté du roi pour dominer l’autonomie locale. Rouen fut soumis à une imposition alourdie, la perte de ses privilèges et à la destruction de son symbole de pouvoir. Il fallut attendre 7 ans pour reconstruire une tour d’horloge issue du projet du Gros-Horloge[4] en 1389.
Il existe un lien direct entre destruction du beffroi comme symbole de pouvoir et la naissance du Gros-Horloge comme nouvelle discipline du temps mécanique. Jehan de Felains, maître horloger rouennais, a inventé la sonnerie des quarts[5]. La mesure du temps par cette évolution technologique a été bouleversante. L’horloge mécanique rigoureuse a remplacé l’horloge humaine habituée à l’observation des éléments naturels et à l’intervention des religieux.
S’agit-il d’un remplacement ou d’une assistance ?
l’IA (assiste ou remplace) et les soft skills, oui, mais quoi ?
« Keep calm and carry on », « Gardez votre calme et poursuivez votre chemin », gouvernement britannique[6].
La technologie remplace-t-elle ou assiste-t-elle l’être humain ? L’exemple du Gros-Horloge de Rouen est significatif. Avant la technologie le temps était indiqué par les cycles naturels jour/nuit, saison et par les cloches monastiques qui rythmaient les offices religieux. Avec la technologie le temps devient indépendant des habitudes et met en place une contrainte collective qui échappe l’homme. Ce raisonnement est une interprétation qui ne résiste pas à l’analyse du premier degré. Le temps est toujours maîtrisé par l’être humain qui décide inlassablement quand le Gros-Horloge doit sonner. La technologie ne le remplace pas, l’assistance demeure sous la décision, elle se limite à l’apport d’information et au soulagement physique de devoir sonner les cloches.
La technologie du Gros-Horloge développe de nouveaux champs de tensions, d’abord religieux, l’église perd son monopole de l’information sur le temps, ensuite sociale sur la gestion du travail et des activités commerciales soumis à une gestion précise et enfin politique par l’appropriation de la gestion du temps par le pouvoir municipal.
Le XIVème siècle propose une illustration éternelle qui prend naissance dans l’antiquité avec l’invention des moulins hydrauliques puis les moulins à vent, les forges hydrauliques, l’imprimerie de Gutenberg, les métiers à tisser, etc. Cette situation est perpétuelle. L’intelligence artificielle nous propose son lot de rejets, d’incrédulités, de la peur des croyants constatant leur perte de pouvoir et d’hégémonie, celle des opérateurs sur le terrain qui doivent vivre une nouvelle organisation de leurs activités et enfin celle des politiques qui sont devant une nouvelle approche de leurs relations avec leurs concitoyens.
l’IA (assiste ou remplace) et les soft skills, oui, mais comment ?
« L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence... voilà l'équation » Averroès[7].
Il faut se pencher sur ce que l’on entend quand il est question d’intelligence artificielle. « L’intelligence est la faculté qui offre la capacité de l’esprit à saisir les rapports entre les idées, à en comprendre les causes et les effets pour raisonner avec clarté. Cette fonction est distincte de la mémoire, de l’imagination [8]». Cette possibilité s’applique sur différents champs tels que l’intelligence :
- Cognitive : raisonnement logique, mémoire, capacité d’abstraction.
- Adaptative : aptitude à trouver des solutions dans des contextes nouveaux.
- Créative : capacité à imaginer, inventer, produire des idées originales.
- Émotionnelle : compréhension et régulation de ses émotions et de celles des autres.
- Sociale : aptitude à coopérer, communiquer et interagir efficacement.
Cette liste est indicative, car chacun est libre de définir son propre champ d’intelligence.
Elle devient artificielle quand elle est gérée par une procédure systématique composée d'étapes finies et non ambiguës dont l’exécution procède du simple recette de cuisine, au complexe dont la limite est la capacité de traitement numérique de l’ordinateur. Il est observable que cette procédure, cet algorithme ne fait que ce que l’être humain lui demande.
Les soft skills quant à elles sont définit depuis 1970 par l’armée étasunienne, repris tous les ans par le World Economic Forum et depuis janvier 2025 par une norme Afnor.
Conclusion
« Don’t worry, be happy » ; « Ne t’en fais pas, sois heureux » Bobby McFerrin[9] oui mais pas n’importe comment.
Ne pas s’inquiéter fait appel à la vigilance de l’usage au lieu de stigmatiser le principe. Selon ce bon Albert Einstein, dont il est possible d’interpréter la pensée : « Ce n’est pas la technologie qui est dangereuse, ce sont les idiots qui l’utilisent. » Il avait de très bonnes raisons de réfléchir sur ce thème. Il était convaincu que la science devait servir la paix, et que les scientifiques avaient une responsabilité morale face aux conséquences de leurs découvertes : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » disait-il.
L’usage d’une technologie peut être maîtrisé, raisonné ou imbécile. La radioactivité maîtrisée et raisonnée est connue pour les usages médicaux, la version imbécile est illustrée par la vente du radium sous la forme d’une crème au service la beauté[10]. Il en est de même aujourd’hui pour le botox. Cette toxine, dit botulique, est l’une une substance létale des plus performante. Son utilisation maîtrisée et raisonnée concerne son usage médical pour traiter des maladies neurologiques, urologiques, des troubles musculaires, des situations de chirurgie réparatrice, etc. La dimension imbécile prend corps pour manipuler l’apparence, créer des standards irréalistes, ou dans des pratiques clandestines, dont le résultat aussi négatif qu’irréversible est sans appel.
L’intelligence artificielle est un instrument d’une puissance inouïe, capable d’éduquer, de soigner, de créer. Mais entre les mains de crétins ou de malveillants voire les deux en même temps, elle devient une machine à fake news, manipulations, arnaques, plagiats, harcèlements automatisés sans que les utilisateurs comprennent qu’il s’agit de traitements statistiques numérisés.
Ces différentes technologies mises en parallèle sont puissantes et ambivalentes. Le véritable danger est présent quand la technologie le dispute à l’ignorance, cela force l’indignation. Le manque de culture scientifique, l’obsession du paraître, ou la course au profit transforment des avancées en menaces.
Utiliser des outils puissants sans discernement, sans compétences comportementales, c’est transformer la responsabilité en irresponsabilité, parfois même en crime. Je laisse Paracelse conclure sur l’usage des technologies : « Tout est poison, rien n’est poison, seule la dose fait le poison. »
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[1] Jean Juvénal des Ursins, 1388‑1473, homme d’église français. Chronique de Charles VI, attribuée à, éd. Michaud et Poujoulat, 1836.
[2] Charles VI dit le Bien‑Aimé puis Charles le Fou, 1368‑1422, roi de France de 1380 à 1422.
[3] Ivy Cousin, « La révolte de la Harelle à Rouen en 1382 », Escapades Historiques, 2023
[4] Aurélie Désannaux, Mesure du temps et histoire des techniques : les débuts de l’horlogerie en Normandie (XIVᵉ‑XVIᵉ siècles), Annales de Normandie, 2010
[5] R.-L. Hainaut, Jehan de Felains. Constructeur du Gros-Horloge de Rouen. Inventeur de la sonnerie des quarts, Rouen, 1887.
[6] Slogan britannique de 1939 conçu par le Ministry of Information, Ministère de l’Information,
[7] Abū al-Walīd Muḥammad Ibn Aḥmad Ibn Rochd dit Averroès en latin ; 1126 – 1198, homme de lettre Andalou.
[8] Source : Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1751 et 1772, œuvre monumentale du siècle des Lumières visant à rassembler et diffuser l’ensemble des connaissances humaines.
[9] Bobby McFerrin, 1950- , musicien américain.
[10]“Crème Tho-Radia : la beauté radioactive” : article retraçant le succès publicitaire de cette crème dans les années 1930 https://www.lhistoire.fr/cr%C3%A8me-tho-radia-la-beaut%C3%A9-radioactive
