Comment décider en période d’incertitude ?
Les limites de l’intelligence artificielle
C’est un euphémisme : nous vivons des temps de grande incertitude. Les motifs d’expectative ne manquent pas et semblent désormais marquer profondément nos comportements. Nombre de décisions sont marquées par des prises de risques avérées. Il est intéressant, dans ce contexte, de revenir sur l’étymologie du mot « crise », Krisis, de krinein, séparer, juger. Il faut faire preuve de discernement donc ; de décision entre risque et incertitude. Néanmoins il peut être important de ne pas tout mélanger, et de comprendre comment un processus de décision s’élabore en pareilles circonstances.
Il y a en effet une différence significative entre le risque et l’incertitude.
- Nous parlerons de risque lorsque nous nous trouvons devant une situation intégrant un certain nombre d'éléments aléatoires, dans laquelle il est possible d'identifier les différentes éventualités et leur affecter des probabilités objectives.
- Nous parlerons d’incertitude, en revanche, lorsque nous rencontrons des circonstances dans lesquelles on ne peut discerner raisonnablement l'ensemble des possibles, ni par conséquent leur attribuer de probabilités objectives.
Le décideur peut cependant, sur la base de la qualité et l'exhaustivité des informations dont il dispose, tenter de ramener l'incertitude au risque en s'appuyant sur une appréciation plus subjective des circonstances de son action. Etant partie prenante de la décision, le décideur ajoute de la sorte à son calcul décisionnel une intuition personnelle lui permettant d'évaluer les situations de risque en fonction de son propre positionnement. Il peut alors quand même encore distribuer des probabilités sur les conséquences qu'il envisage. La juste mesure du risque fait ainsi partie intégrante du talent du décideur. Elle ne fait pas abstraction du comportement du décideur face au risque ; c’est le facteur psychologique de la décision. Certains tenteront un coup de poker, là ou d’autres se cantonneront à la patience.
En réalité, dans la plupart des décisions complexes, la distribution des probabilités porte sur des évènements futurs et ne peut par conséquent être connue à-priori. Nous nous trouvons alors le plus souvent dans des situations dans lesquelles l’interaction complexe des environnements ne permet pas d’expérimenter le caractère reproductible d’une décision et que la mesure en est alors essentiellement subjective. C’est bien là que l’intelligence artificielle touche sa première limite.
On pourrait penser que l’expérience acquise, ainsi que l’histoire, permettent d’établir l’observation de principes propres à déterminer des critères extrapolables au futur. Mais il reste que cela ne permet pas la répétition d’une expérience aléatoire, puisqu’aucune de ces expériences et de ces évènements, par définition, ne sont reproductibles dans les circonstances exactes de leur déroulement originel. Les rapports des moyens aux fins peuvent, certes, supporter une certaine comparaison, mais la variété et la complexité indéfinie des circonstances de tous ordres en rend l’adaptation indécidable à priori.
Le processus de décision peut alors encore intégrer un calcul rationnel des risques, à condition de ramener le champ de réflexion aux seules conséquences envisagées de la décision – ce que permet uniquement une analyse stratégique pertinente – et de construire une distribution de probabilité sur ces conséquences.
Cette distribution ne pouvant s’appuyer sur une base statistique objective, le décideur définit lui-même la distribution de probabilité sur les résultats possibles de son action ; il la définit en fonction de ses informations et de son intuition ; il la définit même en tenant compte de l’influence de son propre positionnement et des perturbations qu’il introduit dans la réalité observée.
Une fois de plus, nous sommes en mesure de constater que le véritable nerf de la guerre, c’est l’information, le renseignement. La grande difficulté est de pouvoir et savoir attribuer à chaque information le degré de certitude ou de validité qui lui convient. Nous touchons là une deuxième limite de l’intelligence artificielle… qui demeure essentiellement inintelligente.
