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Culture d'entreprise

L'Âme des entreprises

Si la démotivation était un désaccord entre deux âmes : celle de l'organisation, et celle de l'individu ?

Quand le désengagement n'est plus un problème de motivation[i]

Les chiffres sont connus, presque lassants à force d'être répétés : près de 9 salariés sur 10 se disent désengagés en France (source Elevo, 2021). Derrière ces statistiques, le malaise est profond : perte de sens, sentiment d'inutilité, impression d'être un rouage remplaçable. Depuis des années, les directions des ressources humaines cherchent la formule magique. On a changé les bureaux, les réunions, les logiciels, les modes de management. On a parlé de bienveillance, d'agilité, de reconnaissance. Et pourtant, le problème persiste.

Et si nous faisions fausse route ? Si la démotivation n'était pas un défaut de management, mais un désaccord entre deux âmes : celle de l'organisation, et celle de l'individu ?

Le symptôme d'une dissonance invisible

Chaque entreprise possède une culture, un style, une manière d'être au monde. Les sociologues parlent de culture d'entreprise, les stratèges de vision, les communicants de marque employeur. Mais ces termes, aussi précis soient-ils, oublient souvent une dimension essentielle : la vitalité. Une entreprise n'est pas seulement un ensemble de procédures et de contrats, c'est un organisme vivant, porté par des intentions, des émotions collectives, une mémoire partagée.

C'est ce que la tradition philosophique grecque appelait la psyché. En transposant cette idée au monde du travail, on peut parler d'un égrégore : une âme collective, composée de trois dimensions indissociables. D'abord l'identité (raison d'être, valeurs, mémoire), ensuite l'énergie (passion, intention, communication), enfin l'expression (forme, incarnation, outils). Quand ces trois dimensions vibrent ensemble, l'entreprise rayonne. Quand elles se désaccordent, elle se vide de son élan vital.

Ce désaccord, les salariés le ressentent confusément. Ils sentent que quelque chose sonne faux : que les discours ne coïncident pas avec les actes, que l'identité affichée n'est plus habitée. Alors, la confiance s'effrite, l'engagement se défait, et l'on finit par se protéger de l'égrégore au lieu de s'y relier.

Redonner place à l'âme dans l'entreprise

Dans L'Âme des entreprises (François Jametz, 2025), j'ai cherché à décrire ce que pourrait être une psychologie du travail réenchantée, qui prendrait au sérieux cette dimension invisible. Une hypothèse simple y est posée : si chaque collaborateur possède une âme singulière, alors cette âme entre en résonance, ou en dissonance, avec celle du collectif. Autrement dit : il ne suffit pas de recruter les bonnes compétences, il faut aussi que les âmes s'accordent.

Mais que recouvre ici le mot « âme » ? Il ne s'agit pas d'un concept religieux, mais d'une structure fonctionnelle. Dans mes recherches, j'en ai distingué cinq composantes :

  • l'Anima, pour les activités émotionnelles et sensorielles ;
  • l'Animus, pour la délibération, la mémoire et la raison ;
  • le Nexus, pour le lien social et la communication ;
  • le Rector, qui joue le rôle du Surmoi, assurant la conformité à la règle commune ;
  • le Dæmon, cette force intime qui nous inspire et nous oriente sans que nous sachions toujours pourquoi.

Chacun de nous possède ces cinq fonctions, mais leur équilibre varie selon les individus. C'est ce qui fonde un caractère, une manière d'être au monde, et par conséquent une manière d'être au travail. Ainsi, une entreprise où l'Animus domine (procédures, données, contrôle) aura du mal à accueillir des profils guidés par le Dæmon (intuition, créativité, passion). À l'inverse, une organisation très animique, toute en émotion et en entraide, risquera de frustrer les personnalités plus analytiques. Le désengagement peut alors s'expliquer comme une incompatibilité d'âmes.

Vers une nouvelle écologie du travail

Cette approche ouvre une perspective inattendue : traiter la question de la motivation non comme un problème à corriger, mais comme un symptôme d'écologie psychique. Dans cette écologie, l'entreprise n'est plus un simple lieu de production, mais un écosystème d'âmes en interaction. Le rôle du management devient alors de maintenir les conditions d'un équilibre vivant : veiller à la cohérence de l'égrégore, à la clarté du sens, à la qualité des résonances entre les individus et le collectif.

Un exemple simple : un manager qui encourage un collaborateur à grandir, à progresser, joue sans le savoir un rôle d'auctoritas, au sens latin du mot : faire croître. Il nourrit ainsi l'animus du collaborateur, mais aussi son daæmon, c'est-à-dire son élan profond. Cette croissance de l'âme est peut-être la véritable clé du bien-être durable au travail.

Expérimenter avant de conclure

Cette théorie n'en est qu'à ses débuts. Comme toute hypothèse, elle devra être testée, validée, confrontée à la réalité des organisations. Mais elle offre déjà un cadre stimulant pour repenser la fonction RH : non plus seulement comme gardienne des process, mais comme gardienne de l'âme. L'entreprise, au fond, ne se réinvente pas par des outils, mais par des compréhensions nouvelles de ce qu'est l'humain au travail.

C'est à cette réinvention que L'Âme des entreprises invite. Non pour ajouter un modèle de plus, mais pour proposer une métaphysique appliquée à la vie collective : comprendre que derrière chaque politique RH, il y a un souffle, un élan, une forme de spiritualité incarnée. C'est peut-être là, dans cette respiration commune entre le Moi et le Nous, que se joue l'avenir du travail.

Accueillir la critique sans travestir la pensée

On m’a parfois reproché le vocabulaire que j’emploie, jugé trop chargé de symboles ou trop éloigné des standards du discours managérial. Mais peut-on renouveler une pensée en se contentant du lexique qui l’a épuisée ? Parler d’âme aujourd’hui, comme l’a écrit François Cheng, c’est presque enfreindre un tabou. Le mot semble suspect : trop ancien pour la science, trop spirituel pour la technique, trop vivant pour les grilles d’évaluation. On préfère dire « psyché », à condition d’en parler dans les limites des canons psychologiques ou psychanalytiques. Pourtant, la psyché n’est que le nom grec de l’âme : il n’y a rien de mystique à rappeler cette filiation.

Mon propos est d’ordre symbolique, pas ésotérique. Dire Animus, Anima ou Rector, c’est désigner des fonctions du psychisme, des archétypes de fonctionnement humain qui orientent nos comportements. Ces mots ne s’opposent pas à la rigueur, ils la complètent d’une dimension philosophique, celle qui donne du sens à la rationalité. Si cette approche dérange, c’est peut-être parce qu’elle invite à penser au-delà du convenu : à rouvrir un champ que la culture contemporaine a refermé.
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Pour aller plus loin : se procurer le livre

L'âme des entreprises

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