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Management et leadership en entreprise

La malédiction de la simplification

simplification et complexité

Il faut simplifier. Tout le monde est d’accord. On ne le fait pas. Quand on le fait, c’est encore plus complexe.

On pourrait appeler cela la malédiction de la simplification et le mal se répand, dans la société en général, le fonctionnement de l’Europe, l’éducation, la vie quotidienne et évidemment dans les entreprises. Les politiciens en mal de voix l’ont bien compris et le grand soir de la simplification s’inscrit en première page des programmes électoraux, en écho à une demande générale. Le complexe est partout, si l’on entend par là – on peut discuter la définition mais pas le phénomène – ce qui implique de nombreux éléments aux interactions imprévisibles avec une réelle difficulté à prévoir des résultats ou trouver des solutions simples.

Tout le monde exige de la simplification et deux options se présentent. La première consiste à ne rien faire et à laisser la complexité se complexifier, et les manuels de procédures, comme les codes et les référentiels, s’alourdir indéfiniment ; la seconde consiste à vouloir, parfois le plus sincèrement du monde, simplifier : c’est un thème et des actions constantes en France depuis au moins les années 70[1] : le problème c’est qu’en général le résultat n’est plus simple que pour les simplificateurs alors qu’il s’avère encore plus complexe pour les autres ; et chaque fois que l’on veut simplifier le code du travail, il prend encore du poids.

C’est à croire qu’il en va de la simplification comme de la stratégie selon Luttwak[2] : les actions en la matière conduisent souvent à l’inverse de l’effet recherché ou, dit autrement, plus on se concentre sur une stratégie, plus on a des chances d’obtenir l’effet inverse de ce que visait cette même stratégie. Il en existe différentes versions comme celle de la résistance accrue générée par une stratégie affirmée ou le contournement par les troupes allemandes de la ligne Maginot censée pourtant en arrêter la progression.

Mais les conséquences douloureuses de la complexification n’en sont pas moins là ; il faut donc savoir que faire avec la complexité et la revendication de simplification. On se plaint de la complexité mais notre monde l’est, comme nos sociétés diverses, fragmentées, « archipellisées » comme le disait déjà Jean-François Revel dans les années 90 ; il en va de même pour le business avec toutes les contraintes, normes, précautions, réglementations qui lui sont imposées ; il en va de même pour la plupart d’entre nous, citoyens, producteurs, consommateurs dont les besoins, envies et exigences ne sont pas simples à saisir et honorer. Nous voulons légitimement toujours plus de sécurité et d’assurance, nous revendiquons la prise en compte de notre singularité et cela se traduit immanquablement par la complexité de mise en œuvre de n’importe quel principe apparemment simple quand il figure sur un projet électoral. Plus encore dans notre civilisation « systèmophile » et addictive aux règles, la mécanique de la bureaucratie est telle que l’on n’est jamais allé assez loin dans l’élaboration de procédures visant à l’instauration d’un bonheur universel.

Reconnaissons aussi que la complexification est un grand marché qui permet à beaucoup d’entreprises et de prestataires de prospérer sur la vague de la sophistication technocratique et la purification des règles ; certains disent même[3] de façon ple us machiavélique que cela permettrait parfois de conquérir et garder le pouvoir, voire même de gouverner plus aisément quand personne ne comprend plus rien.

Les effets délétères de la complexité ambiante n’en demeurent pas moins. Le premier est celui, pour beaucoup, d’avoir l’impression de ne plus rien comprendre à la marche du monde et de ses sociétés comme à leur propre activité et rôle. Et comment s’engager si on ne comprend rien ? Cela laisse la place à tous les promoteurs d’idées simples qui résument frauduleusement la réalité du monde à quelques simplismes pour se faire élire. Le deuxième effet, au niveau du travail spécifiquement, est pour beaucoup de ne pas comprendre à quoi sert leur travail quand il ne s’agit plus que de contribuer à la baleine bureaucratique dont on ne voit plus le sens. Ce deuxième effet est dual car il y a ceux qui souffrent de cette incompréhension et ceux, de plus en plus nombreux, qui s’y sont habitués, tels les « shadocks » qui continuent fidèlement de pomper.

Il existe aussi un troisième effet encore plus néfaste, c’est l’impression justifiée que donne la complexification de ne pas laisser du temps, de l’énergie et de l’attention à ce qui le requiert vraiment, le métier, l’attention à l’autre, la performance tout simplement. Insidieusement, la mesure de cette performance glisse de la contribution au bien commun vers la soumission aux prescriptions des organisations complexes.

Alors, si ces effets sont aussi unanimement observés et reconnus, pourquoi les efforts louables de simplification échouent-ils souvent ? Nous n’examinerons pas les cas évidents où la simplification n’est qu’une démarche démagogique au service d’intérêts particuliers ; nous nous intéressons plutôt à tous ces cas d’efforts sincères mais vains de simplifier la vie. A l’époque où la durée des séminaires de leadership permettait aux participants d’apprendre et pas seulement d’en saisir le parfum fugace, je pratiquais un exercice consistant à demander à des stagiaires de définir la procédure la plus simple et claire pour faciliter le travail d’autres opérateurs. Cela se passait toujours de la même manière : avec la meilleure volonté et bienveillance du monde, ils voulaient tellement être simples, clairs et précis que la procédure finale était d’une complexité telle que les opérateurs avait vite fait de la mettre de côté et de se débrouiller tout seul pour effectuer la tâche…

Si la simplification ne fonctionne pas, c’est souvent parce que quelques angles morts sont négligés. Premièrement, on oublie que la complexité, ce ne sont pas les règles mais l’usage qui en est fait. Toutes les règles requièrent de l’intelligence dans la manière de les comprendre et de les appliquer ; l’observation même des organisations montre la distance prise par chacun dans leur application ; le problème est donc moins de changer ou renforcer les règles quand cela ne va pas que de comprendre comment les acteurs les utilisent. Quand survient le besoin de simplification, le premier réflexe devrait être de revenir à la sociologie des organisations avec les stratégies individuelles, les effets pervers ou le désir mimétique.

Deuxièmement, on s’y prend mal pour simplifier, on fait de l’élagage en considérant que la complexité ne se mesure qu’à la densité de règles qu’il s’agit d’éclaircir ; on en vient à éliminer de nombreuses règles ou détails qui se justifiaient pour traiter des situations spécifiques et les personnes concernées sont encore plus désarçonnées de voir qu’avec la simplification, leur situation particulière n’est plus prise en compte. On n’aime pas la complexité, on aime encore moins que sa situation particulière ne soit pas traitée.

Troisièmement, simplifier n’est pas une amélioration universelle, c’est un changement et on observe les mêmes peurs et résistances face à la simplification que face à n’importe quel changement ; finalement on s’habitue à la complexité, c’est le changement que l’on n’aime pas.

Alors que faire pour contrer les effets mauvais de la complexification ? La réponse est évidemment que chacun fait ce qu’il peut en la matière mais de la même manière qu’il est préférable de chercher vos clés là où vous les avez perdues plutôt que là où il y a de la lumière, il existe trois mots à garder en tête quand on agit sur les effets de la simplification. Ils peuvent aider à lever le nez du guidon pour ne pas se tromper d’objectifs : en effet l’objectif n’est pas la simplification mais de mieux faire son travail en en éliminant les effets délétères des systèmes.

Tout effort en la matière doit être guidé par une certaine idée du bien. C’est grandiloquent mais concrètement, cela concerne ce vers quoi tend l’entreprise : mieux servir le client, créer de la valeur, améliorer l’expérience des salariés, se développer, … La liste est longue mais c’est ce que le fonctionnement quotidien doit aider à mieux faire : l’enjeu n’est pas la simplification. Mais encore faut-il savoir ce que l’on veut !

Ensuite, c’est le mot de confiance. Le fonctionnement d’une organisation, c’est du travail ensemble, avec de nombreuses interdépendances. Pour ce faire on a besoin d’une certaine sécurité, de pouvoir anticiper le comportement des autres. Qu’est-ce qui garantit le comportement des autres ? Dans des groupes amicaux, voire dans certaines structures-affectivo- partenariales, c’est la confiance qui permet la prise du risque de l’autre. Dans le village de ma jeunesse personne ne fermait la porte de sa maison, c’était quand même plus simple, mais cela ne faisait pas la fortune des vendeurs d’alarme ; dans des entreprises idéales, on n’appelle pas l’expert des milliers de pages du code du travail avant d’assumer les relations sociales, l’employeur n’imagine pas le coup fourré de l’employé et l’inverse est tout aussi vrai : pas besoin de contrats trop épais, de règlements et de conseils juridiques. La clé en la matière ne serait-elle pas alors le travail sur la confiance ? Un Himalaya comme dirait un ancien premier ministre mais retenons au moins une chose : on a plutôt tendance à faire confiance à quelqu’un avec qui on a l’impression de partager quelque chose ? Qu’est-ce que chaque manager ou dirigeante partage avec ses collaborateurs ?

Enfin le mot d’engagement. Qu’y a-t-il d’apparemment plus complexe dans les organisations actuelles que le mode projet ? Il est très clairement défini par ses promoteurs mais se traduit souvent pour les participants par une grande difficulté à saisir les contours de leur zone d’autorité ou de responsabilité ; cependant beaucoup ont fait l’expérience de grandes réussites grâce à ce mode de travail et celles-ci ne tenaient pas tant à la qualité des logiciels utilisés qu’à l’engagement des membres de l’équipe-projet. Et si la solution aux effets délétères de la complexification n’était pas la simplification mais l’engagement. Cela ne rend pas la solution plus facile mais cela permet au moins de faire porter ses efforts au bon endroit.
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[1] Le Clainche, M Histoire de la débureaucratisation et de la simplification administrative. Constructif n°72, novembre 2025.

[2] Luttwak, E. Le paradoxe de la stratégie. Paris : Odile Jacob, 1989.

[3] Bichot, J. La minocratie : compliquer pour régner. Constructif, n°72, novembre 2025

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