Mars 2023

Depuis sa création, le droit de grève a évolué et a été progressivement encadré.

Au vu du contexte actuel, il est intéressant de (re)voir ce qu’est une grève, ainsi que les obligations et droits des salariés, comme de l’employeur dans l’exercice de ce droit et enfin ses conséquences sur le contrat et en paie.

Une grève, qu’est-ce que c’est ?

La grève ne fait pas l’objet d’une définition légale. C’est alors la jurisprudence qui, progressivement, a établi une définition, et par conséquent un cadre du droit de grève. La Cour de cassation a défini la grève comme étant une cessation collective totale et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles. Selon cette définition pour qu’un mouvement soit qualifier de grève il faut remplir 3 conditions :

1. Une cessation du travail

Si la grève se caractérise par un arrêt de travail, tout arrêt de travail n’est pas une grève. Ceci s’explique par l’interdiction de certaines formes de grève tel que la grève perlée, grève tournante ou encore le lock-out.

L’arrêt de travail doit être total et sur une période de travail effectif rémunéré.

2. Une concertation des salariés

La grève se caractérise aussi par une cessation collective de travail. La grève ne peut donc, en principe, être le fait d’un seul salarié. Ainsi, le fait pour un salarié de cesser le travail durant 2 jours consécutifs sans participer à un mouvement collectif dans l’entreprise ou répondre à un appel à la grève national ne peut être qualifié de grève (Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863). Sauf à ce qu’il soit l’unique salarié de l’entreprise (Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 93-42.247).

Cette caractéristique implique une décision préalable et concertée des salariés. Cela ne veut pas dire qu’une grève ne peut pas être spontanée, mais elle doit traduire une décision commune des salariés d’entamer un mouvement revendicatif.

3. Des revendications professionnelles

Les revendications invoquées à l’appui d’une grève doivent avoir un caractère professionnel, en cas d’arrêts de travail pour des motifs autre que professionnel, ceux-ci n’ont pas la qualification de grève et ne peuvent par conséquent bénéficier des protections accordées à ce droit.

L’appréciation du caractère professionnel des revendications est acceptée d’une façon large par la jurisprudence. En effet, il peut s’agir de :

  • Revendications à caractère salarial
  • Revendications relatives aux conditions de travail
  • Revendications relative à l’exercice du droit syndical
  • Revendications portant sur la défense de l’emploi
  • Grève de solidarité interne (interne à l’entreprise)
  • Grève de solidarité externe (en soutien à une autre entreprise)
  • Grève politique : la grève peut avoir un aspect politique tout en reposant sur des motifs professionnels, mais il ne faut pas que la grève ait pour unique but d’affirmer une position politique

Les limites du droit de grève

1. Les limites légales

Selon la Constitution, le droit de grève s’exerce dans les limites de la loi qui la règlemente. Cependant, on remarque que le législateur n’est que très peu intervenu dans cette règlementation pour ce qui est des salariés du secteur privé, il est à ce titre plus intervenu pour apporter des protections aux salariés grévistes.

A l’inverse, le législateur est intervenu pour encadrer, voire limiter ce droit dans le secteur public, notamment du fait du principe de continuité du service public.

Il existe aussi des limites ne concernant que certains secteurs tel que le transport terrestre de voyageurs pour les entreprises ou établissements du secteur privé ou public, concourant directement au transport aérien de passagers.

2. Les limites conventionnelles

Ces limites conventionnelles ne sont pas valables, en effet les partenaires sociaux ne peuvent pas limiter ou règlementer le droit de grève des salariés du secteur privé, sauf pour le secteur du transport aérien de passagers.

3. Les mouvements illicites

Par mouvements illicites, les juridictions entendent les situations qui ne correspondent pas à la définition de la grève donnée plus tôt. Les salariés participant à ces mouvements commettent des fautes professionnelles. De plus, n’étant pas couvert par le droit de grève et ses protections associées, ces salariés encourent des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement.

4. L’abus du droit de grève

Cette hypothèse vise la situation où le mouvement est à la base licite, mais devient illicite en raison des circonstances dans lesquelles il évolue.

Il y a abus du droit de grève lorsque celle-ci entraîne ou risque d'entraîner la désorganisation de l'entreprise elle-même. (Cass. soc., 4 nov. 1992, n° 90-41.899, ; Cass. soc., 18 janv. 1995, n° 91-10.476 ;Cass. soc., 11 janv. 2000, n° 97-18.215).

La conséquence du mouvement illicite est que les salariés parties au mouvement perdent les protections apportées par le droit de grève. Leurs actions sont susceptibles d’être sanctionnées dans les conditions du droit commun.

D – L’exercice du droit de grève par les salariés

Pour exercer son droit de grève de manière licite, le salarié ne doit accomplir que peu de formalités. Dans un cas général, le salarié n’est pas soumis à la délivrance d’un préavis, mais dans le cas des entreprises privées chargées de la gestion d’un service public, la grève doit être précédée d’un préavis précisant le début et la durée de ce mouvement (C. trav., art. L. 2512-1 et L. 2512-2), tout comme les entreprises du secteur public ou encore les entreprises investies d’une mission de service de transport des personnes.

Une grève ne saurait cependant être déclenchée sans une connaissance par l’employeur de revendications professionnelles. La communication de ces revendications peut se faire par tout moyen et doit se faire au plus tard au moment de l’arrêt de travail, il peut donc s’agir du jour même (Cass. soc., 22 oct. 2014, n° 13-19.858). Par conséquent, la grève dite surprise est autorisée puisque si l’employeur doit avoir connaissance des revendications, la grève n’est pas subordonnée au rejet de celles-ci ou à une tentative de conciliation (Cass. soc., 4 avr. 1990, n° 88-43.910 ; Cass. soc., 26 févr. 1981, n° 79-41.359).

Dans l’exercice de ce droit, les salariés grévistes doivent faire attention à la manière dont ils vont exprimer leurs revendications professionnelles au risque sinon d’effectuer des actions, qui du fait de leur potentielles dérives, vont leur faire perdre le bénéfice des protections salariales liés au droit de grève.

C’est notamment le cas de l’occupation des locaux et des piquets de grève. En effet, l’occupation des locaux de l’entreprise lors d’une grève est possible, mais dès que cette occupation constitue un trouble manifestement illicite, l’employeur peut demander au juge des procédures accélérées au fond (anciennement juge des référés). On parle alors d’un acte abusif ou d’exercice anormal du droit de grève, comme par exemple interdire l'accès de l'usine au directeur et au personnel non-gréviste qui est considéré comme un acte abusif (Cass. soc., 21 juin 1984)

Toutefois, la jurisprudence admet que lorsque l'occupation des lieux de travail est symbolique et momentanée et qu'aucune entrave n'est apportée par les grévistes à la liberté du travail, elle ne constitue pas un acte abusif.

Concernant le piquet de grève, il consiste en un groupement de salariés grévistes devant l’entrée de l’entreprise. Cette forme de grève licite peut devenir illicite si elle aboutit à une logique de blocage, soit du personnel non-gréviste de l’entreprise (Cass. soc., 8 déc. 1983, n° 81-14.238), ou bien des véhicules entrainant ainsi une désorganisation dans l’entreprise (Cass. soc., 30 juin 1993, n° 91-44.824)

Le salarié gréviste utilisant son droit de façon normal va ainsi bénéficier des protections accordées à ce droit. La première est une protection de l’emploi : le seul fait de faire grève ne saurait justifier la rupture du contrat de travail. La seconde est une interdiction de toute sanction, toute disposition ou acte allant dans ce sens est réputé nul de plein droit (C. trav., art. L. 1132-2).

Mais cette protection du salarié tombe lorsque le salarié commet une faute lourde lors de la grève. Cela peut autoriser le licenciement du salarié fautif. Cette faute lourde suppose une participation personnelle du salarié aux faits illicites. Cette limite est très encadrée par la jurisprudence. En effet, la faute doit être lourde, une faute grave ne suffirait pas à justifier le licenciement, et la participation personnelle du salarié doit clairement être établie par l’employeur. (Cass. soc., 28 nov. 1991, n° 90-43.798 ; Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-43.739).

Par faute lourde, il peut s’agir par exemple :

  • D’entrave à la liberté du travail (le fait par des grévistes de s'opposer au travail d'autrui, même pour une courte durée ; Cass. soc., 10 févr. 2009, n° 07-43.939)
  • Occupation des locaux (le fait d'occuper les locaux de l'entreprise et de s'y maintenir au mépris de trois décisions de justice exécutoires ; Cass. soc., 30 avr. 1987, n° 84-41.871)
  • Menaces, injures ou actes de violence (le fait de frapper un autre salarié qui refusait de s'associer à un mouvement de grève ; Cass. soc., 26 mai 1981, n° 79-41.623)
  • Rétention ou dégradation des biens appartenant à l’entreprise (le fait de procéder, par rétention des clés de contact pendant deux heures, au blocage de véhicules destinés à un service d'ambulance ; Cass. soc., 25 févr. 1988, n° 85-45.262).

Tout licenciement prononcé en dehors de ce cadre sera requalifié comme nul et entrainera la réintégration du salarié.

Les conséquences sur le contrat de travail & traitement en paie de la grève

La grève conduit à une suspension du contrat de travail, pour la durée de la grève (C. trav., art. L. 2511-1). Sauf preuve contraire de sa part, un salarié est réputé gréviste pour toute la durée du mouvement auquel il s'est associé. (Cass. soc., 14 avr. 1999, n° 97-42.064).

Cependant, pour les représentants du personnel participants à une grève, leur mandat représentatif n’est pas suspendu et ils ont ainsi une liberté de circulation dans l’entreprise au titre de leurs missions de représentant.

La suspension du contrat va avoir pour conséquence la suspension du paiement du salaire sur la période la grève au sens stricte. Ainsi, le temps consacré à la remise en marche des machines ne peut permettre à l’employeur de procéder à un abattement du salaire supérieur à l’arrêt de travail du salarié (Cass. soc., 6 juin 1989, n° 85-46.435). La réduction du salaire est donc faite de manière proportionnelle, la retenue effectuée au-delà constituerait une sanction pécuniaire et donc prohibée.

L’abattement de salaire pour la grève doit être calculé sur l’horaire mensuel des salariés, et non par jours calendaires, même lorsque la convention collective prévoit que les nécessités inhérentes à la profession ne permettent pas de déterminer la répartition des heures de travail. (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 97-41.900)

En cas de grève durant la journée de solidarité, la retenue sur salaire opérée par l'employeur doit correspondre au nombre d'heures qu'auraient accomplies les salariés concernés s'ils avaient travaillé ce jour-là.

Pour les jours fériés, la jurisprudence pose un principe de non-paiement des jours fériés compris dans la période de grève, même pour le 1er mai. (Cass. soc., 14 avr. 1999, n° 97-42.064, Cass. soc., 5 févr. 2002, n° 99-43.898).

Dans le cas de salariés sous convention de forfait jour, la retenue est calculée différemment. Pour ces salariés, à défaut d'accord collectif ayant fixé d'autres modalités, la retenue sur salaire en cas de grève d'un salarié en forfait jours se calcule en fonction d'un salaire horaire « fictif » lorsque la grève est d'une durée inférieure à la journée complète ou à la demi-journée. ( Cass. soc., 13 nov. 2008, n° 06-44.608).

En revanche, lorsqu'un accord collectif précise qu'aucune retenue sur salaire peut être effectuée en cas d'absence inférieure à une demi-journée, cette règle doit être appliquée en cas de grève. Aucune retenue ne doit donc être opérée sur la rémunération des intéressés au titre des heures de grève. (Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-45.291)

La réduction proportionnelle doit aussi se faire sur les accessoires du salaire, notamment les indemnités pour frais professionnels.

Cependant, la réduction ou suppression d’un prime à un salarié gréviste peut être discriminatoire, sauf à ce que les autres absences, hormis celles assimilés à un temps de travail effectif entrainent la même réduction ou suppression (Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-42.677).

L'exercice du droit de grève ne doit pas faire l'objet d'une mention sur le bulletin de paie. (C. trav., art. R. 3243-4).

Malgré tout, il peut y avoir des cas particuliers où l’employeur doit maintenir le salaire de ces salariés grévistes. Cette hypothèse se rencontre uniquement dans le cas où les salariés ont été contraints à l’arrêt de travail pour obtenir le respect de leur droit essentiel : la grève est une réponse à un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations. A titre d’exemple, il peut s’agir :

  • Du non-paiement des heures supplémentaires (Cass. Soc. 29 mai 1996, 94-41.948).
  • Du refus d’appliquer la convention collective de l’entreprise (Cass. soc., 4 déc. 2007, n° 06-42.463)

Ce cas peut aussi se rencontrer en cas d’exécution d’un service minimum à la demande de l’employeur ou en application d’un accord d’entreprise, ou par un accord de fin de conflit.

Les autres obligations de l’employeur en matière de grève

L’employeur a l’obligation de fournir du travail aux salariés non-grévistes. En effet, pour ceux-ci, il n’y a pas de suspension du contrat, la relation contractuelle doit ainsi se poursuivre. Mais l’employeur peut connaitre une situation contraignante dans l’entreprise du fait de la grève, rendant ainsi la poursuite du travail impossible. Dans cette situation, l’employeur pourra ne pas respecter cette obligation (Cass. soc., 4 oct. 2000, n° 98-43.475), et à ce titre il pourra ne pas maintenir le salaire des non-grévistes (Cass. soc., 11 mars 1992, n° 90-42.817).

L’employeur ne peut recourir à des contrats temporaires, ou à durée déterminée pour remplacer les salariés absents suite à un conflit collectif de travail (C. trav., art. L. 1242-6 et L. 1251-10)

Florian COSTE

Juriste Droit Social