Un récent décret publié au journal officiel du 31 juillet a adapté deux des critères définissant les catégories de salariés bénéficiaires d'une couverture sociale complémentaire objective[1].

En substance, ce décret adapte et actualise les références aux conventions et accords interprofessionnels relatifs aux garanties de prévoyance et santé des salariés, en tenant compte de l’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres.

Pour rappel, cet accord, avait dans le cadre de la mise en place du régime unifié AGIRC-ARRCO au 1er janvier 2019, annulé et remplacé les stipulations de la convention AGIRC du 14 mars 1947 et de l’ANI ARRCO du 8 décembre 1961. Cela avait eu pour conséquence indirecte de rendre obsolètes 2 des critères objectifs de bénéficiaires des régimes de protection sociale complémentaire (prévoyance et frais de santé) et retraite supplémentaire issus de ces accords remplacés, et fixés par l'article R.242-1-1 du code de la sécurité sociale.

Depuis cette réforme, l'article R.242-1-1 du code de la sécurité sociale n'a jamais été actualisé, maintenant cette référence à des textes annulés. C'est la raison pour laquelle ces adaptations étaient très attendues, afin de mettre en cohérence et sécuriser le cadre juridique du régime social de faveur attaché aux cotisations patronales de prévoyance complémentaire et de retraite supplémentaire.

Commençons par rappeler le contexte réglementaire du régime social de faveur (1), avant de faire le point sur les modalités d'adaptation des deux critères visés (2) et les conséquences sur les régimes actuellement applicables (3).

Le régime social de faveur attaché aux cotisations patronales de prévoyance complémentaire et de retraite supplémentaire

Les contributions patronales de prévoyance complémentaire et de retraite supplémentaire sont exonérées de cotisations sociales, sous réserve du respect de plusieurs conditions. Sans entrer dans les détails, certaines sont spécifiques aux régimes de prévoyance complémentaires (telle que la conformité au cahier des charges des contrats "responsables"), d'autres sont propres aux régimes de retraite supplémentaire (tel que le financement des opérations d'un régime à adhésion obligatoire).

Enfin, parmi ces exigences, certaines conditions sont communes aux deux régimes :

  • Caractère collectif ;
  • Caractère obligatoire du régime, sous réserve des dispenses d’affiliation autorisées
  • Modalités de mise en place du régime, versement des prestations par un organisme habilité, etc…

Le caractère collectif suppose que le régime couvre soit l’ensemble des salariés, soit une ou plusieurs catégories objectives de personnel (c. séc. soc. art. L. 242-1, II, 4° et R. 242-1-1 ; c. mon. et fin. art. L. 224-24).

Ainsi, l'article R .242-1-1 du code de la sécurité sociale fixe 5 critères admis de définition des catégories objectives de salariés :

  • L'appartenance aux catégories cadres ou non cadres ;
  • Un seuil de rémunération défini à partir les anciennes tranches des cotisations de retraite complémentaire ;
  • La place dans les classifications professionnelles ;
  • Le niveau de responsabilité, type de fonctions, degré d'autonomie ou l'ancienneté dans le travail (sous catégories fixées par les conventions de branches, accords professionnels ou interprofessionnels) ;
  • L'appartenance au champ d'application d'un régime légalement ou réglementairement obligatoire assurant la couverture du risque concerné ou à certaines catégories spécifiques de salariés définies par les stipulations conventionnelles (accord de branche, ou ANI).

Les deux premiers critères évoqués ci-dessus sont devenus obsolètes puisqu'ils font référence aux définitions données par la convention AGIRC du 14 mars 1947 et de l'ANI ARRCO du 8 décembre 1961, annulés depuis la fusion des régimes en vigueur depuis le 1er janvier 2019.

Bien que la direction de la sécurité sociale (DSS) ait confirmé le maintien de la possibilité de définir des catégories en référence aux critères précités et fixés par l'article R242-1-1, cette précision n'avait pas de valeur contraignante, figurant dans des textes non opposables d'un point de vue légal[2].

Les modalités d’actualisation des deux critères visés par le décret

L’appartenance aux catégories cadres ou non cadres

Le premier critère concerné, basé sur l'appartenance aux catégories de cadres et de non-cadres, résultait de l'utilisation des définitions issues des dispositions des articles 4 et 4 bis de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et de l'article 36 de l'annexe I de cette convention. En somme, il s’agit des catégories des cadres ("article 4"), des assimilés cadres ("article 4 bis") et des agents de maîtrise (non-cadres) qui cotisaient au régime de retraite complémentaire des cadres ("article 36").

 Ainsi, le décret du 30 juillet 2021 réintroduit les critères de "cadres" et "non cadres" dans la réglementation par référence aux articles 2.1 et 2.2 de l'ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres. En pratique, ces deux articles reprennent les définitions connues des "articles 4 et 4bis" de l'ancienne convention AGIRC de 1947 afin d'assurer une stabilité de la norme.

En revanche, les "article 36" ayant perdu leur raison d’être du fait de la fusion Agirc-Arrco, il n’existe pas d’équivalent dans l’ANI du 17 novembre 2017. Le décret du 30 juillet 2021 permet néanmoins d’intégrer à la catégorie des cadres certains salariés définis par accord interprofessionnel ou professionnel ou convention de branche sous réserve que l’accord ou la convention soit agréé par la commission APEC. Par ce biais, les anciennes catégories "article 36" pourraient perdurer ou ressusciter.

Concrètement, l'objectif de cette mesure est d'assurer une certaine souplesse en permettant aux branches professionnelles de "pouvoir assimiler à des cadres des catégories de salariés ne correspondant pas aux définitions établies par les ANI du 17 novembre 2017"[3].

Les seuils de rémunération définis à partir des anciennes tranches de cotisations

Le second critère actualisé est celui basé sur la définition des bénéficiaires selon les tranches de cotisations de retraite complémentaires définies par la convention AGIRC de 1947 et l’accord ARRCO de 1961. En somme, il s’agit des anciennes tranches 1, 2, et A, B et C.

Le décret du 30 juillet actualise l'article R.242-1-1 du code de la sécurité sociale par la référence à un seuil de rémunération égal à 1, 2, 3, 4 ou 8 PASS. De plus, une catégorie ne peut pas être constituée en regroupant les seuls salariés dont la rémunération annuelle excède 8 PASS (art 1,2°). En pratique, cela n'induit pas de changement par rapport aux règles actuellement en vigueur puisqu’il s’agit simplement d’une actualisation des intitulés.

Entrée en vigueur et conséquences sur les régimes actuellement applicables

Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur à compter du 1er janvier 2022.

Cependant, selon l'article 2 du décret, une période transitoire court jusqu'au 31 décembre 2024, en faveur des entreprises dont les actuels accords se réfèrent aux anciennes conventions AGIRC ARRCO, afin de leur laisser le temps de s'adapter.

En pratique, cela signifie que les régimes de prévoyance complémentaire et de retraire supplémentaires applicables continuent à bénéficier des exonérations au regard des anciens critères même s’ils ne sont pas conformes aux nouvelles règles, sous réserve qu'aucune modification des accords, conventions ou décisions unilatérales de l'employeur relative au champ des bénéficiaires des garanties n'intervienne avant cette même date (au risque de perdre le bénéfice du régime social de faveur). Par conséquent, d'autres modifications sont tout de même possibles (au niveau des garanties ou des cotisations par exemples).

De plus, le contrat ou règlement d'assurance devra être mis en conformité avec la nouvelle rédaction de l'article R.242-12-1 du code de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2025.

Bien évidemment, pour les entreprises qui mettent en place des nouveaux régimes, il y a d’ores et déjà lieu de tenir compte de l’entrée en vigueur prochaine de ce texte (soit à partir du 1er janvier 2022).

  Loyce Guillet

Consultante Droit social

 

[1] Décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021, JO du 31

[2] Lettres DSS à l’ACOSS du 25 février 2019, à la Fédération française des assurances – FFA- du 21 décembre 2018 et au Centre technique des institutions de prévoyance – CTIP- du 13 décembre 2018

[3] Cf. Notice du décret n°2021-1002