Faut-il libérer l’entreprise ? a reçu fin novembre le prix du livre de l’année attribué par la revue Personnel de l’ANDRH. La publication de cet ouvrage, coécrit avec Nicolas Bourgeois, a généré ces derniers mois des échanges et des débats qui sont allés au-delà de nos attentes. L’éditeur nous a interrogés : pourquoi cet impact ? S’il espérait trouver ainsi une recette duplicable, notre retour l’a sans doute déçu. Pour autant, les éléments de réponse que nous avons identifiés fournissent des clés sur ce qui se joue aujourd’hui dans le monde de l’entreprise.

S’affranchir de l’héritage taylorien

Première clé, le consensus est désormais très large sur un point : le modèle organisationnel et managérial dont nous avons hérité est inadapté pour faire face aux enjeux contemporains. Caractérisé par une dichotomie forte entre décideurs et exécutants, par un mode de management descendant et par une inflation de normes et procédures pour consolider l’ensemble, il répondait pleinement au contexte d’industrialisation de masse. Dans un monde où c’est désormais le client qui est rare et non plus le produit, où les aspirations se sont transformées en profondeur et où la révolution informationnelle et relationnelle a rebattu les cartes, ce modèle ne correspond plus du tout aux enjeux.

Deuxième clé, les réponses du passé ont la peau dure. Certes ce modèle organisationnel et managérial est inadapté. Pour autant, il est encore largement dominant et les tentatives de le dépasser se révèlent souvent des échecs.

Deux raisons à cela. La première est d’ordre organisationnel : ce modèle fait système, chacune de ses composantes étant pleinement cohérente avec les autres. Comment transformer en profondeur les pratiques de management quand les processus de l’entreprise ont été construits dans une logique de contrôle ? Comment libérer l’initiative si le manager reste dans une posture de pouvoir ? La seconde raison est d’ordre culturel : nous avons tous grandi dans ce système, qui a structuré nos perceptions et nos comportements. Il est difficile de basculer dans un monde nouveau sans conserver un certain nombre de réflexes, conditionnés par ce passé.

Construire des réponses ad hoc

Troisième clé, les alternatives manichéennes délivrant une recette toute faite sont tout aussi inadaptées. Les démarches nouvelles qui sont proposées génèrent un réel engouement au regard du besoin de construire une alternative. Pour autant, il faut tout de même rester sérieux. Qui peut imaginer que la réponse réside, ce sont les termes d’Isaac Getz, dans un « leader libérateur », en charge de « la rééducation des salariés » pour « assurer leur bonheur » en étant « porteur d’une vision qu’il a construite » et en « supprimant les fonctions support, voire les managers » ?

Au-delà des dérives sectaires auxquelles renvoie ce type d’organisation et du ciblage des managers et des fonctions support, dont la pratique n’est que le résultat d’un système organisationnel, ce qui est aussi critiquable, c’est l’idée qu’il puisse y avoir un modèle aussi simpliste qui serait applicable partout.

Et c’est là qu’est la quatrième clé : le modèle organisationnel et managérial à construire par une entreprise ne peut être qu’une réponse sur mesure à ses enjeux spécifiques. L’entreprise doit choisir par quelle voie elle engage sa démarche de transformation. La réponse est d’abord tactique. Où l’entreprise éprouve-t-elle le besoin le plus impératif de se transformer ? À quel enjeu les dirigeants sont-ils sensibles en priorité ? Sur quoi les salariés se mobiliseront-ils ? C’est à partir des réponses à ces questions que l’entreprise pourra construire la réponse ad hoc adaptée à son environnement.

Ce qui émerge

Cinquième clé, des éléments partagés se dégagent néanmoins des transformations aujourd’hui à l’œuvre dans de nombreuses entreprises. Ce dont il s’agit en premier lieu, c’est de déplacer l’autorité et le pouvoir là où se trouvent l’information et la connaissance et de positionner la prise de décision là où cette dernière devra être mise en œuvre. L’autonomie est alors abordée comme le principe organisationnel qui permet d’assurer la meilleure performance, en déplaçant au plus près du client le pouvoir de décision et en donnant la possibilité à chacun de faire preuve d’intelligence des situations.

L’expérience montre qu’à partir du moment où l’organisation n’est plus gouvernée par les processus et les rapports hiérarchiques descendants, ce sont en premier lieu les caractéristiques culturelles et stratégiques partagées qui permettent de faire converger les activités individuelles. Elles participent du cadre de jeu dans lequel pourra s’exercer l’autonomie des individus. Promouvoir autonomie et responsabilité suppose donc de mobiliser sur des éléments de sens partagés par tous. Les deux notions sont indissociables : à défaut de sens, l’autonomie devient anarchie ; à défaut d’autonomie, le sens ne se matérialise pas.

Enfin la dimension organisationnelle doit être traitée. Alléger et simplifier le corpus bureaucratique interne qui, bien souvent vient entraver l’initiative. Repenser l’organisation à partir des flux clients. Construire des entités de travail à taille humaine disposant de vraies marges de manœuvre.

Sixième clé, l’entreprise doit s’alimenter des réflexions et expérimentations sur ces sujets. Quelle que soit l’opinion de chacun sur les voies à adopter pour construire le management des hommes et des organisations du XXIe siècle, il est indispensable que ceux qui pensent et font l’entreprise et sa transformation acceptent d’échanger, de débattre, de travailler ensemble à faire avancer la réflexion, en dépassant les positions de principe et les débats caricaturaux qui caractérisent parfois la société française.

Sur les innovations managériales, refusons le « pour ou contre » de principe. Quand les échanges sont relancés, sur tel ou tel thème, la qualité de vie au travail hier, l’entreprise libérée aujourd’hui, un autre demain, évitons de jeter le bébé avec l’eau du bain. Que m’apprennent ces débats et ces premières réalisations ? Qu’ai-je à en tirer pour mon entreprise ? Qu’y prendre, qu’y laisser, au vu des spécificités de mon organisation ?