Sous quelles conditions les aides à la conciliation des vies personnelle et professionnelle sont-elles efficaces ?

Le flou des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle, autrefois dénoncé, est désormais assumé par des salariés qui veulent tout mener de front : travail, famille, loisirs, engagements associatifs, etc. Que peut-on penser des divers services proposés par certains employeurs tels que services d’aide à la garde d’enfants, implantation ou financement d’une crèche d’entreprise, services de lavage de voiture, pressing et repassage, conseil juridique et financier, etc. Est-ce pertinent ? 

Tout dépend du contexte managérial. 

Ce qui compte relève moins des caractéristiques objectives de l’aide à la conciliation que de de sa légitimité perçue. Pour illustrer cette idée, je m’appuierai sur une enquête que j’ai réalisée avec Sandrine Frémeaux pour le compte du comité de direction d’un centre commercial s’interrogeant sur l’opportunité de cofinancer une crèche associative en vue d’obtenir des places réservées aux salariés. Noble initiative qui devait a priori être bien accueillie par le personnel. Pourtant, plusieurs points ont mis en cause la légitimité du projet et conduit à son abandon :

· Le manque de considération des situations personnelles 

Les salariés se plaignant d’un manque d’empathie de leur manager direct estiment que le projet ne règle pas les difficultés quotidiennes en grande partie liées à l’organisation rigide du travail : réunions fixées à des heures tardives, manque de liberté dans le choix des jours de congés, absence d’aménagement des horaires. Une employée à laquelle son manager a refusé un aménagement d’horaires ironise : «Lechef a refusé en disant que si on commence à s’occuper de la vie personnelle des uns et des autres on ne s’en sort plus. Et voilà que maintenant j’apprends qu’on veut financer une crèche associative. C’est quoi la logique ? ». 

· Le non-respect des obligations contractuelles 

Les employés frustrés de constater que leurs heures supplémentaires ne sont pas payées, et au mieux partiellement récupérées, ont une vision négative du projet de cofinancement d’une crèche : «Si leur souci est véritablement de nous aider à concilier notre vie professionnelle avec notre vie privée, alors ils n’ont qu’à commencer par nous payer les heures sup ! » 

· Le refus du télétravail

À l’instar des employés, les managers de proximité se trouvent confrontés à un manque de liberté dans l’organisation de leur temps de travail. Leur souhait de réaliser certaines tâches à domicile se heurte à la culture du présentéisme selon laquelle arriver tôt et partir tard est le signe d’un engagement sans faille. Le projet de cofinancement de crèche leur apparaît ainsi en décalage avec la réalité. 

· La peur d’un renforcement des exigences 

Entrevoyant le projet comme un signe de méconnaissance des besoins réels, les salariés - cadres et non cadres - craignent un renforcement des exigences du supérieur hiérarchique en matière de disponibilité, au prétexte que les enfants peuvent être pris en charge sur des créneaux étendus (7h-21h). 

Se focaliser sur le management plutôt que sur les services.

Parce que l’octroi de services personnels aux salariés suscite bien des peurs et des fantasmes, il est important que l’entreprise ne tienne pas pour acquises les retombées positives de toute démarche favorable à la conciliation des vies personnelle et professionnelle. Avant de porter son attention sur la création de nouveaux services, il convient de remettre à plat le dispositif managérial en prenant en compte les contraintes personnelles des salariés et en leur laissant de l’autonomie dans l’organisation de leur temps de travail. C’est bien à ce niveau que se concentrent les attentes prioritaires des salariés. Conscientes de cette réalité, certaines DRH s’engagent à l’occasion des négociations obligatoires à ne pas fixer de réunions avant 9 heures, après 17 heures, le mercredi, pendant les périodes de congés scolaires. Elles prennent également le parti d’organiser des formations de courte durée ou à distance, et de favoriser le télétravail tout en respectant un droit à la déconnexion.

Agir en priorité sur les sources professionnelles du débordement.

Pour appréciables qu’elles soient, ces mesures d’aide ne suffiront pas à assurer le bien-être au travail des salariés s’ils se voient fixer des objectifs démesurés et priver des moyens nécessaires pour les atteindre. Il paraît inopportun, voire cynique, de vouloir réduire les débordements du travail sur la vie personnelle par la seule mise en place de dispositifs d’aide à la conciliation. C’est d’abord sur les sources professionnelles du débordement qu’il convient d’agir. Et cela passe par une profonde réflexion collective sur le travail réel, sur sa charge, sur les critères de qualité, sur les difficultés, sur les moyens nécessaires. L’effervescence actuelle sur le télétravail peut y participer, à condition que le débat ne se restreigne pas à la question du temps de travail mais englobe un sujet plus large : le travail.

Tags: Services à la personne Télétravail Travail à distance Management