Qui n’a jamais qualifié « d’incompétent » un collègue, un collaborateur ou même son manager ? Parfois à tort, par aigreur ou méconnaissance des contraintes auxquelles il était confronté… mais aussi parfois à raison, par réel agacement de constater une fois de plus une erreur dans un dossier ! L’incompétence pénalise non seulement le projet mais également les personnes compétentes qui compensent tant bien que mal.

L’incompétence génère des erreurs ou imprécisions

Nous ne parlons pas dans cet article de l’incompétence du jeune diplômé ou même du stagiaire, qui est passagère et s’explique par une inexpérience qui sera vite comblée. Son poste, et donc son encadrement, devraient être adaptés au niveau d’expérience attendu, de fait.

Rappelons que l’erreur est humaine et que même le plus compétent des collaborateurs n’est jamais à l’abri d’une étourderie : s’il n’est jamais souhaitable de commettre des erreurs, elles restent néanmoins acceptables si on les reconnaît, les corrige et en tire des enseignements.

Cependant, l’incompétence dont on parle ici est celle qui nécrose certaines organisations, celle qui s’ignore et se répète. Elle se caractérise par l’incapacité à faire ou à comprendre ce qu’il faut faire de manière récurrente et continue. Ceux derrière qui on passe en s’exclamant « @*$# !!! C’est ni fait, ni à faire, tout est à refaire ! ». Les brasseurs de vent, plus que de bières, ne lisent les situations ni dans leur ensemble ni dans le détail, et à force de survoler risquent bien de s’écraser. La désinvolture, qui consiste à survoler sans jamais entrer dans les sujets et conduit certains à se détourner des conséquences de leur inaction, révèle une certaine forme d’incompétence. Car en effet, la compétence n’est utile qu’au service du projet et de son collectif.

De l’inexpérience à l’ignorance en passant par l’incompréhension, les origines de l’incompétence sont nombreuses. Nous ne cherchons pas à en débusquer les fondements, mais à en comprendre les conséquences. D’ailleurs, nous accepterons l’amalgame qui consiste à confondre « le manque de connaissances ou de l'habileté pour faire quelque chose »[1] et l’absence de volonté ou d’intérêt pour la chose, car ils conduisent aux mêmes résultats : erreur, inconsistance, insuffisance, manquement, flou non-artistique… les maux, eux, ne manquent pas.

Toutes ces incompétences, bien qu’elles n’appellent pas la même indulgence, conduisent aux mêmes résultats. Loin du pourquoi du comment, seule la finalité du projet et la manière d’y parvenir nous préoccupent. Et cela, seules les personnes compétentes l’ont non seulement compris mais tellement intégré qu’elles mettront tout en œuvre pour y contribuer.

Seules les personnes compétentes et engagées corrigent l’incompétence

Ce qui n’est pas fait, ou pas bien fait, devra être fait ou refait. Si l’air s’échappe de la roue, quelqu’un devra mettre une rustine ou changer le pneu. Et c’est rarement celui qui est à l’origine de l’erreur qui s’en rend compte et cherche les moyens de la corriger.

À l’inverse de l’incompétence, la personne réellement compétente l’est non seulement sur son poste mais également en périphérie. Si elle n’est pas omnisciente, elle s’intéresse néanmoins aux implications de son action sur les activités des autres. Cette attention continue permet non seulement d’identifier les manquements à corriger mais également les solutions à mettre en œuvre pour répondre à un besoin. Seule une personne non seulement compétente mais également engagée saura alors débusquer en temps et en heure l’incompétence qui l’entoure.

Recevoir un dossier truffé d’erreurs nécessite évidement de les corriger avant d’espérer toute analyse, sans parler de la confiance altérée qui pousse alors à vérifier toutes les informations communiquées ou à préciser l’imprécision. S’il peut être tentant de faire preuve de désinvolture et de laisser l’erreur cachée là où elle se trouve, y céder revient à perdre son titre de « compétent » ou « d’engagé », car le compétent engagé ne baisse pas les bras. Cependant, non seulement il risque de ne pas en tirer profit, mais en plus il pourrait en être pénalisé.

Le compétent, ce mal-aimé.

Loin de passer pour le héros, sauveur du projet et défenseur du bien commun, celui qui corrige l’autre est souvent accusé de perfectionnisme, pointé du doigt comme un rabat-joie et ainsi condamné à une double peine.

D’abord, par l’investissement, voire le surinvestissement que sa compétence et son engagement exigent, il risque de s’épuiser à être vigilant et attentif à la moindre tâche, à réfléchir aux moindres impacts et agir en conséquence. Car le compétent engagé le sait : pour rester compétent, il doit faire preuve d’une attention de tous les instants. Et comme il est engagé, il ne peut se détourner de l’erreur une fois qu’il l’a identifiée, il cherchera à la corriger pour s’éviter les maux de ventre et autres tourments à l’idée de ne pas avoir fait correctement son travail. Au-delà de l’attention épuisante que la compétence exige, corriger les erreurs des autres demande également du temps. Si ce temps n’est pas perdu pour le projet, il l’est néanmoins sur son propre périmètre et peut mettre à risque l’atteinte de ses propres objectifs. Bien sûr, le compétent n’est pas naïf, il ne perdra pas de temps à corriger ce qui ne lui servira pas, la bonté de cœur a des limites. Mais pour le reste, il s’engagera à la hauteur de ce qu’il croit nécessaire pour le projet, dans l’ombre, à l’instar du brillant Cyrano qui souffle des vers à l’incompétent Christian, caché sous le balcon de Roxane.

Il pourrait retourner l’erreur à l’envoyeur ou s’en référer au-dessus, mais la prétention de celui qui sait et qui l’affirme devient une accusation pire que l’erreur elle-même. Le compétent engagé, qui ne voudrait pas se retrouver le dindon de la farce, devra faire preuve de diplomatie, une charge supplémentaire à porter. En effet, celui qui aurait l’insolence d’oser révéler les insuffisances de son collègue (et nous ne parlons pas ici de son chef) pourrait être taxé de ne pas « jouer collectif » par ce manager qui ne s’approche pas suffisamment du terrain pour savoir ce qui s’y passe, préférant afficher (et ce n’est que pure logique d’affichage) qu’il ne s’intéresse qu’à la finalité. Si bien sûr, nous ne remettons pas en question l’importance du projet à placer au-dessus des intérêts individuels, ceci n’est réaliste qu’à condition de faire preuve d’équité dans la reconnaissance des contributions de chacun. Privilégier l’égalité totale à l’équité conduira à accentuer le sentiment d’injustice du compétent engagé, une des sources de son mal-être.

Cette absence de reconnaissance devient alors criante : que le compétent engagé corrige dans l’ombre ou qu’il le dise haut et fort, il n’en tire que réprimande et moquerie. Pointé du doigt ou ignoré, le compétent engagé risque de devenir au choix incompétent ou désengagé, car las d’être devenu Sisyphe, dont la pierre est le fardeau des erreurs des autres.

Vive l’incompétence ?

A l’écriture de ce pamphlet quelque peu caricatural, nous pourrions nous risquer à croire que l’on préfère l’incompétence tranquille aux tourments de la compétence. Loin de nous cette idée ! Dénoncer n’a pour seule fin d’inviter chacun à se questionner et à se mobiliser pour préférer la compétence engagée.

D’abord, chacun a un rôle à jouer : se former, se questionner, veiller à lever le nez pour s’intéresser aux impacts de son activité sur celle des autres, entrer dans les sujets, demander quand on ne sait pas et chercher à progresser sont les marqueurs du compétent engagé et nous pouvons tous le devenir.

Ensuite le management, bien sûr. S’intéresser aux résultats est évidemment une bonne chose, mais cela ne suffit pas. Amis managers, ouvrez la porte de votre bureau (ou votre fenêtre Teams !) et intéressez-vous à la manière dont votre équipe résout les problèmes. S’il n’est pas question de chercher les coupables et de moquer l’incompétence, il convient néanmoins de reconnaître et valoriser ceux qui placent le projet au-dessus de leur intérêt et ont su non seulement débusquer l’erreur mais surtout la corriger. Deux thèmes sont alors à approfondir pour quiconque s’y intéresse : la bienveillance et le droit à l’erreur.

La Direction des Ressources Humaines ne peut, elle non plus, se détourner du sujet : la compétence au service du projet n’est-elle pas au cœur des sujets dont elle a la charge ? Sur un marché du travail tendu, la rétention de nos dits « talents » semble être une priorité. Et qui de plus talentueux que notre compétent engagé ? Tous les services de la DRH sont alors concernés, du recrutement à la formation en passant par la gestion des carrières. La direction des ressources humaines doit poser un cadre et des garde-fous : allant de l’évaluation des compétences et de la performance, en passant par les politiques de reconnaissance et un soutien des managers dans leur encadrement, jusqu’à de réelles réflexions sur la gestion de la non-performance.

L’incompétence ignorée met à mal le projet à coup d’erreur et d’imprécisions, mais pénalise également les personnes compétentes qui s’engagent dans une perspective collective. Face à ces injustices, le compétent engagé pourrait être tenté de se désengager ou de s’engager ailleurs. Il est de notre responsabilité à tous, collègue, manager, directeur, RH de les préserver pour espérer les voir rester au sein de nos collectifs.


[1] Définition de « incompétence » selon le Larousse

Tags: Compétence Incompétence Engagement