Entre l’entreprise et la personne, l’improbable alliance…

Pour l’entreprise, identifier en aval des besoins individuels non révélés ne fait pas partie du processus de recrutement. Et pourtant, la soutenabilité de l’emploi en dépend…

Pour une entité, identifier en aval lors du recrutement, des besoins individuels non révélés, ne fait pas partie du questionnement à propos du profil de poste. Si le travail reste un échange contractuel du type, « rémunération contre obéissance », l’entreprise est un artefact qui ne passera pas sa vie au travail car il n’est pas humain. La personne, si ! Alors ne serait-il pas temps de prendre en compte ses besoins fondamentaux tant pour préserver son intégrité professionnelle que pour favoriser sa performance ?

Pour l’individu, la crise sanitaire a révélé l’importance du rapport au temps et à la distance de l’entreprise. Comme à son habitude, celle-ci a objectivé le phénomène sous la forme d’applications quantitatives du type, mobilité professionnelle ou organisation du travail personnalisée. Une nouvelle pyramide des besoins a vu le jour, et son sommet serait la satisfaction de la recherche du sens au travail. La propension fondamentale de l’individu qui génère la vocation n’a pas même été effleurée !

Classifier, organiser sur un plan collectif ce qui est du ressort de l’intuition ou de l’aspiration de chacun serait un contre sens notable et contreproductif car chacun est unique. Le service des « ressources humaines » sera-t-il prêt à piloter et non conduire la personne suivant son profil de personnalité ? Alors, lors du recrutement, afin de se relier à la complexité humaine, peut-être suffirait-il au recruteur de poser au candidat trois questions « simples » …

Générer une alliance entre l’entreprise et l’individu, s’inscrit déjà dans les tâches élémentaires de travail

Le terme alliance est symbolique. Selon l’approche systémique, il révèlerait l’union probable entre deux personnes, résultat d’un pacte ou d’une entente. L’intention des parties au pacte ou à l’entente serait d’atteindre un but commun dans une interrelation qui le favoriserait.

Peu d’entreprises ont inscrit dans leur statut leur « Raison d’être » comme le permettait la Loi N.O.T.R.E. de 2011. Et pour celles qui l’ont fait, ont-elles actualisé le lien entre leur logique de résultat à court terme et la recherche de « L’Etre social » avec leurs salariés ? En quoi, la poursuite de la rentabilité apporterait-elle un sens au travail à l’individu ?

Pour lui, la perception d’un sens au travail, s’inscrit déjà dans chaque tâche élémentaire. A titre de témoignage, en quoi vérifier le serrage d’un boulon par un robot apporte-il du sens au travail à l’ouvrier de la chaîne de fabrication ? Il y a une vingtaine d’années, j’avais questionné sur son activité un compagnon de l’atelier de montage du prototype de l’avion A380. Il m’avait répondu, presque offusqué : « Madame, je construis un avion ! »

Tout était dit.

Une des questions éventuelles que pourrait poser le candidat au poste, et à laquelle le recruteur aurait à répondre : en quoi l’action élémentaire de la personne contribuera-t-elle au sens de son travail et à la réussite finale du « but » de l’entreprise ?

La réponse n’appartient pas (seulement) à la mise en place d’un contrat d’intéressement ou au mangement par objectif. Le travail envisagé sera-t-il en capacité de véhiculer ce supplément d’âme qui suscitera chez la personne une adhésion sans faille à son métier ?

La grande oubliée du recrutement, la « propension fondamentale » de l’individu

Ignorée du recrutement (et pas seulement !) la prise en compte des besoins fondamentaux de la personne demeure souvent inconnue. Par la suite, son ignorance sera susceptible de générer un mal-être au travail qui ne pourra pas être soigné car sa cause restera inconnue.

Pour témoigner du phénomène, l’exemple d’un centre de formation dont l’activité principale était la « réinsertion » de cadres au chômage. Sa population était composée en majorité d’ingénieurs de plus de 50 ans confrontés à l’argument de l’âge, avancé par les recruteurs ; et aussi de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur qui, malgré tous leurs efforts, n’avaient pas trouvé d’emploi.

La logique compétence les avaient amenés à rechercher un poste équivalent ou connexe à celui précédemment exercé ou pour lequel ils avaient obtenu leur diplôme. Jusqu’au moment où, confrontés à leurs difficultés, avec l’équipe pédagogique, nous décidions d’aller plus loin que les évidences de la compétence. Et d’explorer, avec l’accord des personnes concernées, leur « propension fondamentale ».

Loin de nous l’idée de décortiquer le profil psychologique des stagiaires ! Simplement, d’explorer avec eux ce qui les inciterait à choisir une orientation plutôt qu’une autre.

Pour exemple, un ingénieur stagiaire au chômage, s’était orienté vers le domaine de la chimie et avait occupé un emploi dans une grande entreprise. Rapidement, il avait compris qu’il manquait quelque chose d’essentiel à la façon dont il occupait son poste. Spontanément, dans un organisme tiers faisant le lien entre les entreprises et le conseil en production de produits chimiques, il avait reconfiguré son activité en public relation. Sa « propension fondamentale » était son goût pour l’interrelation. Dans l’institution, il avait créé ex nihilo, les circonstances de situations favorables pour renseigner les responsables d’entité. Le domaine de la chimie lui servait de prétexte pour satisfaire son but, rendre service.

Après avoir identifié sa « propension fondamentale » et l’avoir aidé à la transposer dans d’autres activités dont la compétence clé était la qualité de l’interrelation ; il retrouva un poste bien éloigné du précédent, dans un cabinet d’affaires !

Au centre de formation, les exemples de retour à l’activité furent nombreux à révéler des « erreurs de casting. » Ainsi :

- L’ingénieure qualité avait confondu l’ingénierie cognitive des procédures et celle de la main pour la décoration intérieure ;

- La pharmacienne du back office dont le talent d’organisatrice fut reconfiguré dans l’événementiel ;

- Ou le jeune diplômé en génie civil qui avait horreur de travailler à l’extérieur. Sa propension fondamentale était d’exercer une activité de bureau ce qui le prédisposait au poste d’ingénieur conseil, et non à celui de maître d’œuvre sur les chantiers.

Le constat fut simple. En amont de toute orientation de carrière, et pour que son emploi soit supportable pour lui ; la compétence et le diplôme résultaient déjà de la satisfaction de la « propension fondamentale » de l’individu !

Le mariage entre compétence, diplôme et propension fondamentale porte un nom : la vocation. De la vocation au mal-être au travail, il existe toutes les nuances d’un emploi qui comblera peu ou prou sa propension fondamentale !

Une autre question à laquelle aurait à répondre le recruteur, en quoi le poste proposé satisfera-t-il l’aspiration la plus importante du candidat ?

Le rapport au temps, élément structurant la santé mentale au travail

La crise sanitaire a redécouvert le travail à distance comme substitut à l’emploi domicilié au siège de l’entreprise. Et cette distance a parfois résolu les difficultés relationnelles de la personne avec son manager ou ses collègues. Paradoxalement, le salarié s’est octroyé une plus grande liberté d’organisation de son temps de travail malgré des consignes données à distance qui se faisaient plus prégnantes…. Pour l’individu, l’effet ressenti fut à l’origine du sentiment d’une plus grande autonomie envers l’entreprise.

Le rapport au temps est personnel et chacun à le sien. Il n’est en aucun cas un obstacle à l’accomplissement de la tâche. C’est un élément structurant de l’activité de la personne qui doit être satisfait à moins de mal vivre son travail.

Le rapport au temps peut revêtir des aspects variés.

Pour exemple, l’employée au guichet d’une institution, n’arrivait pas à gérer la somme d’informations qui lui arrivait dans le même espace de temps : la gestion de la file d’attente des usagers ; la prise en compte de leurs demandes individuelles ; ainsi que les téléphones, les mails ou les visites des collègues. Et ce, malgré toutes les formations à la gestion du temps (réputées) adaptées qu’elle avait suivies. Son poste lui imposait un rythme rapide et simultané quand son rythme intérieur était successif et long.

Consciente de cet état de fait, la direction de l’agence décida de faire un essai et madame B… occupa un bureau fermé où on lui confia des dossiers contentieux. Elle accomplit alors des miracles de performance !

Suivant leur rapport au temps, rapide ou long, les emplois de la logistique, des transports, de l’étude de dossier ou de l’analyse conviendront ou pas à la personne. Suivant sa préférence temporelle, l’individu se situera plutôt dans le passé tels les archivistes ou les historiens ; dans le présent tels les commerciaux ou les contrôleurs aériens ; ou dans le futur tels les responsables projet ou les innovateurs de la R&D. Certains managers peuvent s’étonner de la révélation d’une compétence lors d’un projet. Le rapport au temps de la personne y est souvent pour quelque chose !

Se tromper de temporalité est dramatique pour la santé mentale. La personne ne comprendra pas forcément l’origine de son mal-être et l’imputera peut-être à des causes (externes) telles les conditions de travail. Quand la raison des difficultés est interne, le rapport au temps.

Si, pour des contraintes économiques, on ne choisit pas toujours son emploi, il est essentiel d’alerter à quel moment le point d’équilibre de la somme d’informations que l’on peut traiter dans le même espace de temps est dépassé. Ainsi qu’identifier sa préférence temporelle pour ne pas se tromper de métier ! Le Burn out ou les RPS sont les résultantes obligées de l’erreur de casting du rapport au temps !

Afin d’identifier la préférence temporelle du candidat, le recruteur pourrait lui poser une question analogique à la suivante : quelle est la période de sa vie qui le marque le plus ? Complétée par : apprécie-t-il l’exécution d’un grand nombre d’opérations dans le même temps ?

Si l’individu accepte de répondre aux trois questions simples formulées ci-dessus, « la balle sera dans le camp » de l’entreprise. En tiendra-t-elle compte ? Les arrêts de travail lui coûtent sans doute plus cher que de satisfaire les besoins fondamentaux de ses salariés !

De facto, du recrutement aux RPS, c’est toute l’organisation du travail qui serait désormais interrogée !

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