Une réponse possible au défi de l’emploi des seniors de plus de 55 ans[1]

A l’heure de la réforme très controversée des retraites, une catégorie de salariés a été au cœur du débat : celle des seniors de plus de 55 ans qui, comme le souligne Gilles Gateau, Directeur Général de l’APEC dans un entretien de l’été 2022, ont encore un quart de leur vie active devant eux[2]. Déjà en mars 2021, Gilles Gateau avait alerté, dans l’une de ses chroniques publiées dans le magazine « Entreprise & Carrières »[3], sur la nécessité de ne pas oublier les seniors dans le cadre de la reprise économique qui était assez fortement engagée. L’une des solutions pour rendre le travail attractif pour les seniors de plus de 55 ans ne serait-elle pas de repenser l’organisation du travail notamment sur le plan du temps de travail ? C’est dans cette perspective que nous proposons dans cet article de réfléchir à la mise en place de la semaine de 4 jours comme une réponse possible aux défis de l’emploi des seniors.

Oui, le talent existe aussi à 55 ans et au-delà !

Si l’attraction et la rétention de jeunes talents constituent en effet un enjeu stratégique clé pour les entreprises à l’heure d’une grande démission dont on voit poindre certains signes préoccupants avec 470.000 démissions en France au premier trimestre 2022 (+20% par rapport à 2019)[4], il n’en reste pas moins que les quinquagénaires et les sexagénaires constituent une réserve de talents que les autres pays Européens n’hésitent pas à mobiliser pour faire face à la pénurie de compétences si l’en juge par les 71% de taux d’emploi en 2020 des 55-64 ans en Allemagne et au Danemark avec la Suède arrivant en tête avec 77%[5] ! Alors pourquoi ce manque relatif d’intérêt des employeurs Français pour les talents seniors ?

Selon une étude récente de l’APEC : « l’âge renvoie notamment à un certain nombre de représentations négatives chez les recruteurs qui présupposent souvent que les cadres seniors auront des prétentions salariales plus élevées, une moindre adaptabilité, et un horizon temporel limité par la proximité de la retraite. À cela s’ajoute, pour ceux ayant accédé au statut de cadre en interne, la concurrence de jeunes cadres plus diplômés[6]». Il n’est pas question ici d’opposer les générations et ceci d’autant plus que nous avons défendu avec Marie Manin D'Haegeleer l’avantage concurrentiel que représente pour les entreprises le management intergénérationnel[7].

Ces freins au maintien ou à l’embauche des personnes de plus de 55 ans sont bien réels mais ils ne justifient aucunement de céder au jeunisme ambiant tant les seniors ont beaucoup à apporter à l’entreprise comme le montre une autre étude de l’APEC[8] qui souligne que, pour les cadres seniors, les qualités professionnelles et le niveau d’expertise sont perçues parmi les contributions les plus importantes. Par ailleurs, c’est aussi la capacité des seniors à transmettre des compétences et à prendre du recul qui est majoritairement reconnue par les entreprises qui valorisent ainsi leurs compétences de savoir-être à l’heure où les « soft skills » sont devenues déterminantes dans des contextes de travail de plus en plus hybrides. Quant aux critiques souvent formulées sur les difficultés des seniors à accepter le changement et à maitriser les nouvelles technologies, elles peuvent être facilement maitrisées si l’entreprise accepte de continuer à investir dans leur développement.

Les entreprises, et les DRH en particulier, auraient tout intérêt à développer et multiplier les actions visant à valoriser leurs seniors ou en attirer de nouveaux au sein de leurs organisations. Par exemple, comme le propose l’APEC[9] : tutorat favorisant la transmission intergénérationnelle des savoirs, formation continue, adaptation du temps de travail en proposant d’autres formes d’organisation du temps pour les seniors comme le temps partiel ou le développement de la semaine de quatre jours. Autant d’initiatives qui permettraient aux entreprises de capitaliser sur l’expérience et le savoir des cadres seniors, internes ou recrutés de l’extérieur, tout en offrant à ces derniers une poursuite et fin de carrière valorisante, enrichissante et en adéquation avec leurs aspirations. Nous allons nous intéresser maintenant au développement de la semaine de quatre jours comme une réponse possible au défi de l’emploi des seniors.

La semaine de 4 jours : une réponse possible au défi de l’emploi des seniors

Dans un contexte de post-pandémie marqué par un questionnement sur la place du travail notamment avec le développement des multiples formes d’organisations hybrides[10], le choix d’un nombre croissant de petites et moyennes entreprises de faire le test de la semaine de 4 jours peut sembler anachronique. Cette idée n’est pas nouvelle, loin de là. C’est en effet en 1993 que Pierre Larrouturou, soutenu par Gilles de Robien, propose une formule valorisant un aménagement du temps de travail en France. La loi de Robien est votée en 1996 et permet entre 1996 et 1998 à près de 400 entreprises françaises de bénéficier d’avantages fiscaux à condition d’appliquer la semaine de 4 jours. Certaines de ces sociétés pionnières (assurances, industries alimentaires, banques) continuent d’ailleurs à suivre la formule malgré l’abrogation de la loi de Robien avec la promulgation des lois Aubry dès les années 2000[11]. C’est d’ailleurs l’une de ces entreprises, Yprema[12], spécialisée dans le recyclage de matériaux de déconstruction, qui est aujourd’hui l’une des plus anciennes en France à avoir adopté en 1997 et surtout conservé la semaine de 4 jours avec 81 salariés en 2021.

Mais alors pourquoi un tel engouement pour une vieille idée : la semaine de 4 jours ? Ce qui s’apparente à une nouvelle mode devient en effet un phénomène mondial si l’on en juge par le nombre grandissant de pays qui, à l’image du Royaume Uni[13], ont fait entre 2022 et début 2023 des expériences particulièrement réussies de semaines de 4 jours concernant des dizaines d’entreprises et des milliers de salariés [14]. La réponse à cette question tient, en partie, au phénomène de la grande démission, relativement limité en Europe et en France en particulier[15], qui pousse les entreprises à rechercher des offres d’expérience salarié de plus en plus différenciantes pour attirer et surtout retenir les talents dont elles ont cruellement besoin. Sur ce plan, les seniors de plus de 55 ans constituent, comme nous l’avons souligné plus haut, une réserve de talents que l’on peut remobiliser en leur offrant la possibilité de travailler différemment en 4 jours au lieu de 5.

Dans cette perspective, la semaine de 4 jours peut être en effet présentée comme une réponse durable à la demande, clairement formulée depuis la pandémie, d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle particulièrement pour les seniors de plus de 55 ans. Parmi les autres avantages souvent mentionnés, on voit souvent citer : (1) moins de stress et d’épuisement des travailleurs et travailleuses, (2) le renforcement de la marque employeur (3) une meilleure productivité, (4) la réduction du chômage parce qu’il y aurait besoin de plus de personnel pour compléter et mieux répartir de temps de travail comme le défendait en 1993 Pierre Larrouturou, (5) un bénéfice réel pour le climat parce qu’il permettrait aux entreprises de réduire les déplacements et de faire des économies d'énergie dans les bureaux[16].

Au passif de la semaine de 4 jours, quelques experts, comme Benoit Serre DRH de l’Oréal France et VP de l’ANDRH, remettent en cause certains de ces avantages notamment le premier (moins de stress et d’épuisement) qui risque au contraire de s’aggraver si la mise en œuvre n’est pas correctement préparée sans compter les risques de perte de lien social entre collègues qui ne se voient jamais. D’autres conséquences négatives sont également soulignées[17] : (1) des journées de travail plus longues si l’on conserve la durée hebdomadaire de 35h avec 8,75h par jour (à comparer aux 7h légales), (2) des difficultés pour réorganiser l’entreprise avec des métiers et des activités qui n’ont pas les mêmes flexibilités, (3) une baisse de salaire possible difficile à accepter en ces temps difficiles de hausse rapide de l’inflation, (4) un risque accru de désengagement comparable à ce qui est observé dans l’organisation hybride entre celles et ceux qui peuvent bénéficier de la semaine de 4 jours et les autres.

En définitive, toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, peuvent apprendre d’expériences réussies comme celle depuis début 2021 de LDLC, pionnier du e-commerce dans le secteur de la distribution de matériel informatique et électronique, dont le dirigeant-fondateur Laurent de la Clergerie n’hésite pas à affirmer « pour moi, la semaine de 4 jours s’inscrit dans un véritable projet d’entreprise qui fait du bien-être le pilier de la performance collective ». A charge donc pour les entreprises, et leur DRH, de créer les conditions, notamment par le développement de la poly-compétence, pour que la semaine de 4 jours soit simultanément la concrétisation d’une autre expérience du travail réussie pour les salariés, notamment pour les seniors de plus de 55 ans, et un facteur pérenne de performance pour l’entreprise.
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[1] Cet article est une version adaptée de deux chroniques publiées en août et octobre 2022 par l’auteur dans l’hebdomadaire « Entreprise & Carrières ».

[2] Interview de Gilles Gateau par Corinne Lhaïk, L’Opinion, 9 Août 2022.

[3] Gateau, G. : «N’oublions pas les seniors », Entreprise & Carrières, n°1521, du 29 mars au 4 avril 2021, p.21

[4]https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/la-grande-demission-gagne-la-france-1776822

[5] Source : INSEE : « Emploi, chômage, revenus du travail », éditions 2021

[6] APEC : « Les cadres seniors de plus de 55 ans demandeurs d’emploi, pratiques et difficultés de recherche d’emploi », janvier 2022, p.10

[7] Manin D’Hageleer, M. & Besseyre des Horts, CH : « La mixité générationnelle en entreprise, un levier de performance qui fait sens et donne du sens aux collaborateurs », Entreprise & Carrières, n°1577, du 23 au 29 mai 2022, p.22

[8] APEC : « Les cadres seniors : des profils à forte valeur ajoutée, notamment en période de crise », juin 2021.

[9] APEC : « Les cadres seniors : des profils à forte valeur ajoutée... », p.21

[10] Autissier, D., Peretti, JM., Besseyre des Horts, CH : Les nouvelles organisations hybrides, MA Eska Editions, 2022

[11] Rajteric, L. : « Semaine de 4 jours, un aménagement du temps de travail profitable à tous ?, Asana, 12/1/2022 https://asana.com/fr/resources/4-day-work-week

[12] Rodier, A. : « La semaine de quatre jours pour travailler plus », Le Monde.fr, 6/9/2022.

[13]https://www.nouvelobs.com/economie/20230221.OBS69853/ce-que-nous-apprend-le-test-de-la-semaine-de-quatre-jours-au-royaume-uni.html

[14]https://fr.euronews.com/next/2022/06/15/semaine-de-quatre-jours-quels-sont-les-pays-qui-l-ont-adoptee-et-est-ce-une-reussite

[15] Besseyre des Horts, CH : « La grande démission : un risque limité mais des actions à mener’, Entreprise & Carrières, n°1562, du 7 au 12 février 2022, p.22

[16]https://www.nicematin.com/faits-de-societe/travail-et-si-la-semaine-de-quatre-jours-devenait-la-norme-790939

[17] Rajteric, L. : « Semaine de 4 jours.... », op.cit.

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