De nombreuses entreprises sont confrontées à un paradoxe dans leurs pratiques de communication interne, et cela prend des proportions plus sensibles lorsqu’il s’agit du cœur même de sa politique et de ses orientations stratégiques. Comment attirer et conserver des talents sans les impliquer dans un engagement stratégique clair qui donne sens au travail ?

  • D’un coté, le cercle restreint des comités de direction se dépense souvent sans compter pour se donner de la visibilité et concevoir des stratégies opportunes, en des temps très contraints et des conjonctures très circonstanciées ;
  • De l’autre, la démultiplication de ces orientations dans l’entreprise – par une laborieuse communication descendante – prend un temps difficilement mesurable et est habituellement très peu accompagnée d’indicateurs qualitatifs. De ce fait, les dirigeants – faute d’une communication ascendante opérationnelle – perdent à peu près de vue le devenir de leurs projets, dès lors que commence le processus de mise en oeuvre.

Il en résulte habituellement un certain désarroi, de part et d’autre d’ailleurs.

Nous pouvons apporter ici quelques remarques de méthode. Toute élaboration stratégique repose sur une représentation « imaginaire » du réel. Ce terme appelle une précision : ce qui est « imaginaire » n’est pas faux, mais correspond en l’occurrence à une vision anticipée et projetée de l’avenir, à partir des éléments d’analyses constatables aujourd’hui. Elle demande donc à être suivie et ajustée avec le temps ; ou plus exactement : en « temps réel ».

La mise en œuvre de la stratégie rend nécessaire une décomposition des fins générales en objectifs intermédiaires progressifs, assurant la continuité du processus, tant en termes de communication qu’en termes d’actions. La façon de concevoir cette décomposition permet aux dirigeants d'indexer la « représentation imaginaire » initiale sur une « actualisation réelle », résultant de l'exécution de l’action d’une part ; de l’évolution des environnements d’autre part.

Le processus stratégique doit être conçu comme une action continue, et non pas réduite au caractère discret d'actes de décision ponctuels et indépendants les uns des autres. Nous pouvons comparer ce phénomène à celui de la marche à pied : c'est l'enchaînement et la coordination des pas successifs effectués par le marcheur, qui font de la marche une action continue. Chaque pas peut être conçu comme ponctuel et isolé, mais il ne saurait le rester, dès lors qu'il s'agit de se rendre à un point plus éloigné. Il faut alors adapter ses pas au type de marche envisagé.

Il y a là cependant un paradoxe qu'il est important de bien mesurer. C'est, en effet, en fonction de la destination qu'il s'est fixée que le marcheur entame son action : c'est le dernier pas à faire qui fait le premier et chacun des suivant. Mais les contraintes qu'il rencontre au cours de sa marche concrète l'obligent à infléchir et rectifier constamment la direction de chacun de ses pas, jusqu'au dernier : si bien que c'est aussi le premier pas et chacun de ceux qui lui a succédé… qui font le dernier.

Il en est de même dans le processus stratégique : la fin est première et commande au présent, mais le présent effectué commande peu à peu au futur et à la fin poursuivie. Pour le dire autrement encore, la fin générale de tout le processus est première dans l'intention, mais elle est dernière dans l'exécution.

C’est pourquoi la décomposition de la fin générale en objets particuliers peut permettre d'identifier, trier et classer des étapes permettant de contrôler le processus, à condition de concevoir tout autant le mode de communication interne que le mode d’exécution de l’action. Ce contrôle repose non seulement sur une capacité d'analyse des écarts entre le prévu et le réalisé, mais encore sur l'opportunité prévue et ménagée d'infléchir la trajectoire du processus en question. La manière de cibler le moment et le contenu de ces opportunités peut être déterminant pour le succès de la démarche d'ensemble : c’est l’objet propre d’une communication ascendante de qualité. Elle doit constituer, pour ainsi dire, le premier impératif stratégique.

Les moyens et méthodes ne manquent pas ; mais peut-être une telle communication n’est-elle tout simplement pas encore entrée dans les mœurs managériaux et humains de nos organisations ?

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