L’entité économique au sens de l’article L 1224-1 du code du travail peut-elle être issue de plusieurs entreprises ?

Les salariés ont été engagés par les sociétés Intel Corporation (Intel) et Intel Mobile Communications France (IMC).

Les sociétés Intel et IMC appartenaient au groupe Intel lequel a procédé, courant 2016, à une réorganisation de ses activités au niveau mondial.

Le 1er juillet 2017, l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, exploitée par les sociétés IMC et Intel Corp, a été reprise par la société Newco, créée pour cette opération laquelle est devenue la société Renault Software Labs, appartenant au groupe Renault.

Les contrats de travail de quatre-cent-soixante salariés employés par les sociétés IMC et Intel ont été transférés à la société Newco.

Néanmoins, ces salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et obtenir la condamnation de leur employeur à leur payer diverses sommes liées à la rupture injustifiée de leur contrat de travail ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'une prime projet et d'actions gratuites.

La Cour d’appel les a débouté de leurs demandes après avoir constaté que l'article L. 1224-1 du code du travail était applicable.

De leur côté, les salariés considèrent que l’article L. 1224-1 du code du travail n’est pas applicable à leur situation, au motif que l’activité transférée provenait en réalité de deux entreprises distinctes.

Ils faisaient notamment valoir que la mise en œuvre de ce texte supposait le transfert d’une entité économique autonome qui ne pouvait être constituée que d’une seule et même société, et non par référence à l'activité exercée au niveau d'un groupe de sociétés.

Cette analyse a été rejetée par la Cour de cassation.

En effet, il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que l'entité économique autonome dont le transfert entraîne la poursuite de plein droit avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés qui y sont affectés s'entend d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.

Pour la Haute Juridiction, il s'en déduit donc que l'existence d'une entité économique autonome est indépendante des règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service exerçant une activité économique, en sorte qu'une entité économique autonome au sens des dispositions du texte susvisé peut résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe.

Dans la mesure où la cour d'appel a constaté que :

  • l'activité de recherche et développement sur les logiciels embarqués, développée par les sociétés IMC et Intel, constituait une activité autonome, distincte des autres activités exercées par le groupe Intel France relatives à la conception de circuits intégrés, vente/marketing, support client,
  • que cette activité était dotée d'équipes de salariés dédiées dont l'expertise était spécifique et poursuivant un objectif propre,
  • que les fonctions supports - services finances, services généraux, administration générale des sites - nécessaires à l'exercice de cette activité avaient été transférées de même que les moyens corporels et incorporels spécifiquement affectés à l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, tels les équipements et les licences informatiques, le matériel de laboratoire audio encore utilisé, les baux et les contrats de maintenance, de sous-traitance ainsi que les contrats conclus avec les fournisseurs,
  • et que l'activité de recherche et de développement des logiciels embarqués transférée à la société Newco en vue de sa reprise ultérieure par la société Renault Software Labs avait conservé son identité et avait été effectivement poursuivie dans des conditions analogues,

elle a pu déduire le transfert d'une entité économique autonome dont l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués développée par les sociétés IMC et Intel était poursuivie par le cessionnaire et, par voie de conséquence, le maintien de plein droit des contrats de travail des salariés relevant de cette activité avec le nouvel employeur.
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Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 juin 2023,

N°22-14.834 22-14.835 22-14.836 22-14.837 22-14.838 22-14.839 22-14.840 22-14.841 22-14.843 22-14.844 22-14.845 22-14.846 22-14.847 22-14.848 22-14.849,

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