Gestion des talents

Faut-il virer les bons trop moyens ?

Valeurs et engagement

Ce que Netflix nous dit (vraiment) sur le management – et pourquoi il faut faire différemment

En 2009, Netflix dévoile au monde son "Culture Deck", un document interne de 125 slides qui redéfinit les contours du management moderne. Plus de 20 millions de vues plus tard, ce manifeste continue de diviser. Son message ? L’entreprise n’est pas une famille, mais une « dream team » de champions, où seuls les meilleurs méritent leur place. Ce paradigme aussi clair que clivant pose une question brute : pour viser l’excellence, faut-il sacrifier l’humain ?

La philosophie Netflix : clarté radicale, exigence totale

Le Culture Deck repose sur quatre piliers : liberté, responsabilité, excellence, transparence. Netflix se revendique comme une « équipe de sport de haut niveau » : les bons moyens n'ont pas leur place. Le fameux "keeper test" est sans appel : si un manager estime qu’un collaborateur ne fait pas d’efforts particuliers, alors il est supposé le remplacer. Autrement dit, la seule justification à rester dans l’entreprise repose sur une performance jugée exceptionnelle et immédiatement visible – toute autre forme de valeur (loyauté, potentiel, stabilité) devient secondaire.

Dans ce modèle, l’élite est la norme, et le collaborateur moyen, un risque pour la performance collective.

Cette approche semble cohérente avec un environnement où la vitesse décisionnelle, la responsabilisation et l’adaptation sont clés. En supprimant la bureaucratie, Netflix revendique une agilité rare, permettant à ses équipes de prendre des décisions sans validation hiérarchique et de maximiser leur impact individuel.

Mais derrière cette responsabilisation apparente, la pression devient invisible et permanente : il ne suffit pas d’être bon, il faut être exceptionnel en continu.

Une pression silencieuse aux effets délétères

Cette culture de l’élite a un coût humain important. Plusieurs études montrent que :

  • 38 % des collaborateurs en environnement hypercompétitif développent un stress chronique (source : TELUS Health MHI, 2023).
  • Le turnover volontaire est plus élevé dans les organisations ultra-exigeantes (+24 %, Gallup 2022).

En valorisant exclusivement les « top performers », on finit par cultiver :

  • Une insécurité permanente (peur de devenir inutile).
  • Un individualisme exacerbé (coopération réduite, concurrence accrue).
  • Une loyauté conditionnelle (« je donne tant que je reste dans le cercle des élus »).

La recherche d’Amy Edmondson (Harvard Business School) sur la sécurité psychologique le montre : un environnement sans peur est indispensable à l’innovation durable et à la performance collective. Sans ce socle, les talents s’éteignent ou fuient.

La métaphore sportive : un miroir déformant du travail

Reed Hastings, CEO de Netflix, compare son entreprise à une équipe professionnelle de sport. Cette métaphore est puissante… mais piégée.

Transposée trop littéralement, elle produit des effets pervers :

  • Dans le sport, la compétition stimule. En entreprise, elle divise et isole.
  • Les athlètes bénéficient de staff médicaux, de repos, d’un calendrier saisonnier. Les salariés, eux, doivent performer toute l'année.
  • Une équipe de sport peut changer chaque saison. En entreprise, la stabilité des équipes est un atout-clé.

A la différence d’un sportif de haut niveau ou la carrière est courte, un collaborateur dans une entreprise doit « performer » pendant des années, Le plus étonnant est de voir aujourd’hui se plaindre du manque de loyauté de leur équipes !

Les entreprises qui miment la compétition extrême des ligues sportives finissent souvent par épuiser leurs collaborateurs, nier leur besoin d'appartenance et réduire la complexité humaine à des KPI simplistes.

Comme le souligne une étude de Plume & Bees (2023), la compétition permanente en entreprise entraîne une baisse de 27 % de la collaboration spontanée.

Une « dream team » ne fait pas une équipe performante Vouloir réunir uniquement des stars crée un biais d’homogénéité élitiste. On exclut :

  • Les profils atypiques, qui apportent souvent des idées non conventionnelles.*
  • Les "bons moyens" qui assurent la continuité et la stabilité.
  • Les jeunes talents en cours d’évolution.
  • L'utilité des profils « solides mais discrets »,
  • Le rôle des collaborateurs en phase d'apprentissage,
  • L’importance de la diversité cognitive et comportementale.

Une étude de Google (projet Aristotle) a révélé que la performance d’une équipe ne dépend pas de la somme des QI ou diplômes, mais de la qualité des interactions, de la prise de parole équilibrée, et de la sécurité psychologique ressentie.

Vers un modèle d’excellence humanisée : 4 leviers à activer

Faut-il jeter le Culture Deck ? Non. Mais il faut le relire avec un filtre critique. En croisant les apports des neurosciences, de l'éthique et de la psychologie organisationnelle, on peut proposer une alternative crédible et durable.

Voici 4 leviers concrets pour y parvenir :

Investir dans les profils en devenir Plutôt que d’éliminer les « bons moyens », donnons-leur les moyens de progresser. La fidélité s’ancre dans la reconnaissance et l’apprentissage.

Systématiser la sécurité psychologique Valoriser l’essai, tolérer l’erreur, instaurer des espaces de parole ouverts. C’est le socle d’un climat sain.

Diversifier les profils et les rôles Une équipe n’est pas une addition de clones performants, mais une alchimie de forces complémentaires.

Instaurer des rituels de feedback et de reconnaissance Pas de flou ni de froideur. Un feedback clair, régulier, et contextualisé, ancré dans la réalité du travail.

Netflix a eu le mérite de poser les bonnes questions. Mais sa réponse reste ancrée dans une logique productiviste peu compatible avec les enjeux d'engagement, de sens et de soutenabilité humaine. L'avenir du management se jouera ailleurs : là où l'on reconnaît que la performance durable repose d'abord sur l'éthique des relations, la fierté d'appartenance et l'intelligence collective.

Pour les entreprises, le vrai challenge n’est pas de construire une dream team, mais une team réelle, solide, résiliente, et alignée.
___________________________________________________

Sources : Références : Netflix Culture Deck (2009) – Amy Edmondson (Harvard) – Gallup Workplace 2022 – TELUS Health Mental Health Index 2023 – Project Aristotle (Google) – Plume & Bees (2023).

Outils et Ressources

Découvrez tout ce que propose ADP : articles, mises à jour législatives, publications, rapports d'analystes, formations, évènements, etc.

Voir toutes les ressources

Vous pouvez contribuer !

Vous souhaitez partager une réflexion, une expérience, une innovation RH ? N’hésitez pas à prendre la plume pour contribuer à RH info !

Contactez-nous