Manager la performance : un dispositif RH inadapté
Pour gérer la performance dans le contexte taylorien, un modèle s’est généralisé dans les années soixante-dix et reste en place dans de nombreuses entreprises. Il a pour pièce maîtresse un entretien annuel centré sur la fixation et l’évaluation d’objectifs, et un manager positionné comme l’acteur central, avec un processus pour l’animer.
Mais le contexte a changé : accélération des transformations, environnement plus complexe de l’entreprise, modèles d’autorité différents, développement du travail du savoir, nouvelles aspirations des collaborateurs, besoin de transversalité, pénuries de compétences, etc. Résultat : le modèle de management de la performance individuelle dont nous avons hérité n’est plus du tout adapté. D’ailleurs, seules 36 % des sociétés européennes jugent leur système actuel efficace selon Towers Watson.
Et clairement, notre expérience de conseil nous enseigne que rares sont les dispositifs vraiment bien adaptés aux enjeux business qu’ils sont supposés soutenir. La lassitude et le rejet sont partout présents face à un exercice formel et très souvent vidé de son sens.
Ce que signifie « manager la performance humaine »
Comment pourrait-on définir la performance individuelle de manière inchangée alors que toutes les entreprises sont, ou seront, confrontées un jour ou l’autre à une question majeure, celle du caractère durable de leur performance globale ? Des auteurs vont jusqu’à mettre en avant la nécessité pour elles de raisonner désormais en termes de « robustesse » plus que de performance. Ils définissent cette robustesse comme la capacité de l’entreprise à assurer sa stabilité à court terme et sa viabilité à long terme, malgré des fluctuations de plus en plus intenses et répétées.
Mais revenons à la notion de performance. De nombreuses organisations ont intégré une équation simple et démontrée par de nombreuses études empiriques : l’épanouissement au travail permet de générer de l’engagement, ce qui conduit à la performance. Manager la performance c’est, tout simplement, faire en sorte que chaque collaborateur oriente son action précisément vers la stratégie de l’entreprise, pour aider à sa réalisation, quel que soit la place que l’on occupe.
Cette approche suppose par ailleurs de mieux articuler performance individuelle et performance collective, qu’elle soit au sein de l’équipe ou entre les équipes. La notion de « contribution individuelle à la performance collective » est intéressante à ce titre.
Notons enfin que de nombreuses organisations intègrent désormais une dimension qualitative à la notion de performance. Atteindre ses objectifs (les « quoi ») est certes essentiel. Mais la façon dont ils ont été atteints (les « comment ») n’est pas neutre.
Mais soyons clairs : il s’agit en grande partie d’un récit plus que d’une réalité ! Le plus souvent les référentiels de comportements, de « bonnes pratiques », la mobilisation des valeurs de l’entreprise ou autres sont des éléments très anecdotiques dans le poids qu’ils représentent au regard des critères quantitatifs.
L’animation de la performance
Si le management de la performance a pour objectif de relier les contributions individuelles et collectives (équipe, entités, projets) avec la stratégie d’entreprise, il doit donc être calqué sur cette dernière. Par exemple, si les points de passage d’une transformation sont trimestriels, alors l’appréciation doit l’être aussi ; si l’enjeu est de rationaliser les coûts, alors les objectifs individuels doivent être mis à jour en conséquence ; si la coopération est un facteur clé de succès, alors l’appréciation doit inclure tous les feedbacks possibles, etc. Comment est-il possible que la stratégie bouge tous les deux ou trois ans et que le dispositif qui la soutient reste, lui, immuable ?
Imaginer que la performance ne se gère qu’une fois par an via un entretien dédié relève d’une simplification caricaturale. Des organisations ont approfondi leur approche non pas seulement à l’occasion des rendez-vous formels, mais en continu. Ce qui suppose de renforcer en arrière-plan dans l’organisation la culture de la performance, présente à des degrés divers dans les entreprises en fonction de leur histoire. Cette approche passe également par une animation ajustée en fonction de la demande et du besoin du collaborateur, celui-ci étant différent selon son niveau d’engagement et sa maîtrise des compétences requises.
L’évaluation de la performance
Quatre tendances peuvent être observées et devraient se généraliser d’ici 2030 :
- Il s’agit tout d’abord de basculer d’une évaluation jugement-sanction à une évaluation orientée développement, ce qui suppose une véritable transformation des postures et mentalités. Tous les questionnaires d’évaluation comprennent cette dimension, mais combien de managers peuvent ou savent jouer le jeu ?
- L’entreprise doit par ailleurs réaliser un vrai travail sur l’équité et sur l’objectivation de cette évaluation, qui doit être menée beaucoup plus finement que la seule analyse quantitative des indicateurs de résultat.
- Elle se doit de prendre en compte les changements dans l’organisation du travail, notamment le développement du travail hybride, pour adapter son approche de l’évaluation.
- Enfin, elle doit impérativement assurer une exploitation poussée des résultats de l’évaluation. Ce qui suppose des interfaces repensées des résultats de l’évaluation avec les autres domaines RH, en premier lieu desquels figurent rémunération, développement des compétences, parcours et pratiques de management.
Bouger l’approche
Il est urgent de considérer les processus de management de la performance comme flexibles, adaptables aux enjeux opérationnels et donc évolutifs. Six axes peuvent être identifiés pour mettre en œuvre une nouvelle approche :
- Positionner le management de la performance comme un processus au cœur de l’activité, avec un impact sur la performance globale de l’entreprise.
- Dès lors, définir le dispositif et les critères de performance à partir des priorités stratégiques : développement produits, taux d’équipement, pénétration d’un marché, rupture technologique, évolution souhaitée des comportements, etc.
- Se nourrir des pratiques externes. Il existe en effet des initiatives fournissant un panel de solutions innovantes : critères uniquement qualitatifs, logique plus collective, évaluation de la performance à 360 degrés, remise en cause du variable, etc.
- Associer les parties prenantes le plus en amont possible. En effet, il s’agit souvent de faire bouger les représentations, les habitudes et parfois même la manière de travailler. Le processus pour faire accepter les transformations, par exemple sur la part variable de commerciaux, peut s’avérer long.
- Décortiquer le processus de la création de valeur de l’entreprise : où est-elle générée, par qui, selon quel rythme, dans quelles conditions ?
- Anticiper la gestion de la performance au quotidien et ne pas imaginer un dispositif sans disposer des moyens de mise en œuvre : outils d’animation et de simulation, SIRH. Par exemple, pour une entreprise de 2 à 10 000 salariés, le coût de gestion de la part variable est amorti à la condition qu’elle représente plus de 3,5% du salaire de base en moyenne.
Le dispositif de management de la performance doit a minima rapporter plus qu’il ne coûte !
