analyse

Maladie et congés payés : la loi DDADUE adaptant le code du travail

Mai 2024

Episode n°3 relatif aux congés payés acquis pendant les périodes de maladie ! Le gouvernement a déposé un amendement pour mettre le Code du travail en conformité avec le droit européen et les jurisprudences du 13 septembre 2023, dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole (dit DDADUE), projet ayant fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire le 4 avril 2024. La loi a ensuite été publiée au Journal Officiel du 23 avril 2024, loi n°2024-364 du 22 avril 2024[1].

Les jurisprudences de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023[2] visant à contourner l’incompatibilité du droit français avec le droit européen concernant l’acquisition de congés payés pendant les périodes de maladie ou d’accident du travail ont fait couler beaucoup d’encre. S’en est suivi une saisine du Conseil Constitutionnel par la Cour de Cassation par le biais de deux questions prioritaires de constitutionnalité, dont l’avis a été rendu le 8 février 2024[3].

Le gouvernement n’avait pas d’autres choix que de sécuriser la situation pour les employeurs de droit privé, les cours d’appel appliquant strictement le raisonnement de la Cour de Cassation pour les litiges soulevés devant elles depuis le 13 septembre dernier.

A l’occasion de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi dit DDADUE mi-mars 2024, le gouvernement a déposé un amendement, qui a été modifié à la marge en commission mixte paritaire le 4 avril 2024, devenu alors l’article 37 du projet de loi DDADUE. Le Conseil d’Etat a aussi eu l’occasion de donner son avis sur les évolutions envisagées le 13 mars 2024, avant le dépôt de l’amendement gouvernemental.

Avant de faire le point sur les évolutions votées dans le cadre du projet de loi DDADUE, nous vous renvoyons vers :

  • L’article d’info d’experts du mois de Novembre 2023[4] pour davantage de détails sur les jurisprudences et les questionnements soulevés.
  • L’article d’info d’experts du mois de Mars 2024[5] pour la décision du Conseil Constitutionnel sur les QPC envoyées par la Cour de Cassation
  • L’avis consultatif du Conseil d’Etat du 13 mars 2024[6].

Sans saisine du Conseil Constitutionnel après l’adoption du projet de loi DDADUE[7], celle-ci a été promulguée et publiée au Journal Officiel le 23 avril 2024.

Attention, cet article a été rédigé en l’état des connaissances du 30 avril 2024. Il est donc possible qu’il y ait des évolutions entre la rédaction et la publication de l’article.

Les évolutions prévues par l’article 37 de la loi n°2024-364

Comme évoqué ci-avant, cet article 37 de la loi DDADUE vient mettre le code du travail en conformité avec le droit européen et les jurisprudences de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023.

Congés payés et maladie

C’est « la » grande nouveauté ! L’article L. 3141-5 du code du Travail prévoit désormais que « les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou à une maladie n’ayant pas un caractère professionnel » sont assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés[8]. Autrement dit, les salariés en arrêt maladie non professionnelle vont continuer d’acquérir des congés payés.

Le gouvernement a souhaité différencier l’acquisition des congés payés des salariés en arrêt maladie non professionnelle de celle applicable pour les autres salariés travaillants ou en accident du travail ou encore en maladie professionnelle (cf ci-dessous pour l’accident du travail et la maladie professionnelle).

Ainsi, est créée un nouvel article L. 3141-5-1 dans le Code du travail. Désormais, et par dérogation à l’acquisition classique de congés payés, un salarié en arrêt de travail pour maladie non professionnelle acquerra 2 jours ouvrables de congés par mois[9], dans une limite de 24 jours ouvrables par période de référence.

Sans changement, la loi ne modifie pas les règles d’équivalence favorables aux salariés prévues par le Code du travail[10], à savoir 4 semaines de travail ou assimilées équivalent à un mois, 24 jours ouvrables équivalent à un mois, etc.

Lorsque le salarié sera absent sur toute la période de référence, il ne pourra pas aller au-delà de 24 jours ouvrables de congés payés acquis au titre de son absence maladie non professionnelle. Dès lors qu’il alternera périodes de maladie non professionnelle et périodes de travail effectif, son plafond maximal de jours de congés acquis repasse à 30 jours ouvrables.

En pratique, certaines conventions collectives ou usages d’entreprises octroient d’ores-et-déjà des congés payés pendant les périodes de maladie non professionnelle des salariés.

Outre cette acquisition limitée de congés payés, les modalités de calcul de l’indemnité de congés payés dans le cadre de la règle du 10ème sont modifiées. Ainsi, il convient de reconstituer la rémunération que le salarié aurait perçue s’il avait travaillé, en retenant uniquement 80% de cette reconstitution pour alimenter la base de calcul du 10ème congés payés[11].

Sans changement, la loi ne modifie pas l’obligation de comparaison de la règle du maintien de salaire et de la règle du 10ème pour calculer l‘indemnité de congés payés, qui s’effectue soit à chaque prise de congés, soit à la fin de la période.

Congés payés et accident du travail-maladie professionnelle

L’article L. 3141-5 du code du Travail est modifié pour lever la limitation temporelle d’un an à l’acquisition des congés payés pendant un arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle.

Désormais, les salariés en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle acquerront des congés payés pendant toute la durée de leur arrêt de travail[12], y compris s’il s’étend au-delà d’un an.

Sans changement, les salariés acquièrent 2,5 jours ouvrables par mois et leur indemnité de congés payés est calculée en fonction du salaire reconstitué qu’ils auraient perçu s’ils avaient travaillé.

En pratique, il y a donc un traitement différencié des salariés en arrêt de travail pour motif professionnel et pour motif personnel.

Période de report pour les congés acquis non pris en raison d’un arrêt de travail

Est créée une obligation d’information à la charge de l’employeur, à l’issue de tout arrêt de travail, quelle qu’en soit sa durée. Ainsi, l’employeur devra porter à la connaissance du salarié, dans le mois qui suit la reprise de travail[13] :

  • Le nombre de jours de congés dont il dispose
  • La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.

L’information se fait par tout moyen, y compris potentiellement via le bulletin de paie, dès lors que l’employeur peut justifier de la bonne réception de l’information par le salarié.

Cette information est essentielle puisqu’elle marque aussi le point de départ de la période de report de 15 mois lorsque le salarié est dans l’impossibilité de prendre, au cours de la période de prise des congés payés, tout ou partie des congés payés qu’il a acquis (quelle que soit l’origine de l’acquisition : temps de travail effectif, maladie, ATMP, etc.) en raison d’une maladie ou d’un accident[14].

Cette période de report de 15 mois s’applique quel que soit le motif à l’origine de l’arrêt de travail : professionnel ou non. Il « suffit » que le salarié n’ait pas pu prendre tout ou partie des congés acquis sur la période de prise.

Cette durée de 15 mois est un minimum légal, elle peut être augmentée par accord d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut, par un accord de branche[15].

Au-delà de ces 15 mois de report, si le salarié n’a pas pris la totalité des congés payés reportés alors qu’il est revenu normalement dans l’entreprise, ils sont perdus[16].

Des règles spécifiques de décompte de la période de report de 15 mois sont fixées pour les salariés dont le contrat de travail est suspendu depuis au moins un an à la date de fin de période d’acquisition des congés payés. Pour ces salariés en longue maladie, le report est également de 15 mois, à l’exception suivante près : le point de départ du report est situé « à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle les congés ont été acquis »[17]. Autrement dit, la période de report de 15 mois peut débuter alors même que le salarié est toujours en arrêt de travail, sans attendre la reprise du travail et sans information du salarié.

L’idée est de ne pas octroyer un report illimité des congés payés pour un salarié en longue maladie, puisque ceux-ci seraient vidés de leur objet et finalité.

Si le salarié revient avant la fin de la période de report de 15 mois, celle-ci est suspendue jusqu’à ce qu’il ait reçu l’information de l’employeur[18]. Elle reprendra pour la fraction de report restante.

Retour sur les droits antérieurs : jusqu’au 1er décembre 2009

La loi prévoit une application rétroactive à compter du 1er décembre 2009 jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi, soit le 24 avril 2024 lendemain de la publication au Journal Officiel, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des règles conventionnelles plus favorables qui étaient en vigueur à la date d’acquisition des congés payés, sur les points suivants[19] :

  • De la règle d’acquisition de congés payés durant un arrêt maladie, dans la limite de 2 jours ouvrables par mois et 24 jours ouvrables par an ;
  • De la période de report des congés payés de 15 mois, dont les modalités et le point de départ varient selon la durée de l’arrêt de travail.

L’application rétroactive ne peut pas conduire à ce qu’un salarié bénéficie de plus de 24 jours ouvrables de congés payés par année d’acquisition, après prise en compte des jours déjà acquis sur cette période.

Il n’est pas prévu d’application rétroactive de la suppression de la limite temporelle d’un an pour l’acquisition de congés payés pendant un arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.

Les salariés dont le contrat de travail est en cours à la date de publication de la loi bénéficient d’un délai de forclusion de deux années pour faire valoir leurs droits[20]. Il s’agit ici de l’octroi de jours de congés payés, sous réserve que le salarié n’ait pas déjà acquis au moins 24 jours ouvrables de congés payés sur les périodes d’acquisition précédentes.

A noter qu’aucune disposition spécifique n’est prévue pour les salariés dont les contrats de travail ont été rompus à la date de publication de la loi. Dans l’exposé des motifs de l’amendement gouvernemental, celui-ci indiquait qu’il convient d’appliquer les règles de prescription de droit commun, à savoir une prescription triennale[21] au titre d’une action en paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés.

Et maintenant, que faire ?

Il s’agit ici d’une synthèse des dispositions prévues par l’article 37 de la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 dite DDADUE, tout juste publiée au Journal Officiel à la date de rédaction de cet article.

Pour autant, ces quelques lignes modifiant le Code du travail soulèvent énormément de questions pratiques.

A titre d’exemples, nous pouvons citer :

  • En cas de maladie infra mensuelle, quelle règle de proratisation doit être appliquée ?
  • A quel moment doit être fait l’arrondi sur le nombre de jours de congés payés acquis en cas d’alternance de périodes travaillées et non-travaillées ? Au global à la fin de la période d’acquisition ou sur chaque fraction d’acquisition à la fois au titre du temps de travail effectif et à la fois au titre de la maladie non professionnelle ?
  • Comment doit-on articuler l’application des règles d’équivalence en matière d’acquisition de congés payés (conduisant à neutraliser l’impact de 4 semaines d’absence sur le droit à congés, le salarié ayant alors la totalité de ses congés payés) et l’obligation d’information de l’employeur au retour de chaque arrêt de travail ? Nous avons donc potentiellement une information en cours de période d’acquisition portant sur un droit qui n’aura pas été abattu pour le salarié.
  • Quelle articulation doit-être faite avec les dispositions conventionnelles ? Comment apprécier le caractère plus favorable ?
  • Comment doit-être calculé le nombre de jours de repos d’un salarié en forfait annuel en jours qui aurait acquis moins de jours de congés du fait d’un arrêt pour maladie non professionnelle ou qui aurait bénéficié d’un report de congés payés ?
  • Concernant l’indemnité de congés payés, seule la partie relative au 10ème est modifiée. Le maintien de salaire reste-t-il à l’identique avec une prise en compte de la rémunération reconstituée maladie en intégralité ou doit-on également prendre en compte 80% de la rémunération reconstituée maladie au titre du maintien de salaire congés payés ?
  • Le report de 15 mois porte-t-il sur la totalité des congés payés acquis n’ayant pas pu être pris ?
  • Comment doit-on considérer les arrêts de travail dérogatoires pendant la pandémie de Covid-19 (garde d’enfant, cas contact notamment) pour l’acquisition des congés payés ?

Ce n’est ici que quelques exemples de toutes les questions soulevées par ces nouveautés. Nous avons sollicité la DGT et les services du Ministère du travail pour obtenir les réponses à ces questions, parmi d’autres.

Les réponses à ces questions sont structurantes pour nos développements futurs. A défaut de réponse de l’administration, il est probable que des positionnements ADP soient pris, avec pour objectif de rendre un service le plus sécurisant possible pour nos clients.

Soyez assurés que les équipes juridiques et fonctionnelles d’ADP travaillent sans relâche sur le sujet.  

Elodie Chailloux

Responsable Veille légale et DSN

[1] Loi n°2024-364 du 22 avril 2024, JO du 23 : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2024/4/22/2024-364/jo/texte

[2] Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.340, FPBR, n°22-17.638, FPBR, n°22-10.529 et n°22-11.106, FPBR, n°22-14.043, B

[3] Décision Conseil Constitutionnel n°2023-1079 QPC du 8 février 2024, Journal Officiel du 9 février. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049112159 

[4] https://www.fr.adp.com/ressources/documentations/articles/e/maladie-et-conges-payes-retour-sur-les-jurisprudences.aspx

[5] https://www.fr.adp.com/ressources/documentations/articles/e/maladie-et-conges-payes.aspx

[6] https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-portant-sur-la-mise-en-conformite-des-dispositions-du-code-du-travail-en-matiere-d-acquisition-de-conges-pendant-les-periodes-d-arret-maladie

[7] Il convient de noter que les dispositions nouvelles pourront toujours faire l’objet de future question prioritaire de constitutionnalité (QPC) auprès du Conseil Constitutionnel. Rappelons que seul le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les intentions du gouvernement via l’avis du 13 mars 2024, le Conseil Constitutionnel n’ayant pas fait l’objet d’une saisine postérieurement à l’adoption de la loi par les parlementaires.

[8] Loi n°2024-364, art 37, I, 2°, b) ; C. Trav. Art L. 3141-5 modifié

[9] Loi n°2024-364, art 37, I, 3° ; C. Trav. Art L. 3141-5-1 nouveau

[10] C. trav. art L. 3141-4

[11] Loi n°2024-364, art 37, I, 8°, b) ; C. Trav. Art L. 3141-24, I modifié

[12] Loi n°2024-364, art 37, I, 2°, a) ; C. Trav. Art L. 3141-5 modifié

[13] Loi n°2024-364, art 37, I, 4° ; C. Trav. Art L. 3141-19-3 nouveau

[14] Loi n°2024-364, art 37, I, 4° ; C. Trav. Art L. 3141-19-1 nouveau

[15] Loi n°2024-364, art 37, I, 6° ; C. Trav. Art L. 3141-21-1 nouveau

[16] Sous réserve de l’interprétation souveraine des tribunaux dans de futurs litiges, à l’exception vraisemblablement du cas où le salarié aurait été de nouveau en arrêt de travail l’empêchant de prendre les congés payés, au regard de l’interprétation donnée par les éditeurs juridiques à l’arrêt CJCE 10 septembre 2009, Vicente Pereda, C-277/08.

[17] Loi n°2024-364, art 37, I, 6° ; C. Trav. Art L. 3141-21-2 nouveau

[18] Loi n°2024-364, art 37, I, 6° ; C. Trav. Art L. 3141-21-2 nouveau

[19] Loi n°2024-364, art 37, II, 1er et 2ème alinéas

[20] Loi n°2024-364, art 37, II, 3ème alinéa

[21] C. trav. art L. 3245-1

La Ligne Sociale d'ADP

Dédiée à nos clients, ADP vous propose la Ligne Sociale, un service d’assistance pour toutes les questions relatives à l’application du droit social.

Accédez à la Ligne Sociale d'ADP
La Ligne Sociale d'ADP

Les Matinales de l'actu sociale ADP. L'agenda de la saison 2024-2025

En savoir plus 
Les Matinales de l'actu sociale

Ressources connexes

Le bulletin de paie expliqué par les experts d'ADP

outil

Le bulletin de paie expliqué par les experts d'ADP

FAQ

Qu'est-ce que le talent management ?

rapport d'analyste

Évaluation PEAK Matrix 2020 d'Everest Group pour les solutions de paie multi-pays